Datation de l’exposition des morphologies glaciaires par nucléides cosmogéniques in situ

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Enregistrement des variations du glacier par les morphologies glaciaires

Le passage d’un glacier dans une vallée ne la laisse pas indemne. Entre le frottement de la glace sur la roche qui la supporte, qui est un processus érosif efficace modelant le paysage, et les débris abandonnés par le glacier, il existe de nombreux modelés glaciaires qui marquent le passage d’un glacier. Les étudier permet entre autre d’avoir des informations sur l’extension du glacier. Au cours de ces travaux de thèse, les modelés glaciaires étudiés sont les polis glaciaires et roches moutonnées, ainsi que les moraines.

Modelage des polis glaciaires et roches moutonnées

L’érosion glaciaire est à l’origine de linéations visibles sur la surface des roches qui ont été au contact de la glace. Ces linéations sont créées par le transport de débris à la base du glacier, qui frottent sur les surfaces rocheuses lors du déplacement de la glace (e.g. Bennet and Glasser, 2009). Elles sont appelées dans ce contexte stries glaciaires (Figure 1.2). Les stries ne sont généralement pas très profondes, quelques millimètres, mais peuvent parfois être poursuivies sur plusieurs mètres. Ces stries sont orientées parallèlement au flux de glace. Une surface érodée par le passage du glacier et présentant des marques de stries est appelé poli glaciaire.
Certains modelés particuliers de polis glaciaires à l’échelle du paysage ont été décrits et nommés. C’est le cas par exemple des roches moutonnées (Figure 1.2), qui sont des modelés glaciaires pouvant atteindre l’échelle du kilomètre (Glasser and Bennett, 2004) et présentant une asymétrie qui reflète les deux types d’érosion sous-glaciaire : l’arrachement et l’abrasion. L’érosion par arrachement fait appel à deux processus, la fragmentation de la roche présente sous le glacier puis le déplacement de ces fragments par le glacier. L’érosion par abrasion est due au frottement sur la roche réalisé par les débris rocheux transportés à la base du glacier, et est à l’origine des stries décrites précédemment. Ainsi sur une roche moutonnée, la partie en amont et supérieure, en contact avec la glace, est abrasée. On peut y retrouver notamment la présence de stries. Tandis que sur la face aval, où la surface est décollée de la glace, l’érosion par arrachement de blocs prédomine, donnant lieu à une morphologie beaucoup plus anguleuse (Anderson and Anderson, 2010).
L’étude et la datation de telles surfaces érodées par le glacier peut permettre d’avoir des informations sur la durée depuis laquelle elle a été abandonnée par le glacier, apportant ainsi des éléments importants à la reconstitution des chronologies glaciaires. De plus, il est également possible d’estimer les taux d’érosion sous-glaciaire, encore peu investigués de par la difficulté méthodologique de les déterminer. Pourtant, cela peut contribuer à mieux comprendre la dynamique de la glace, les forces appliquées sur la roche et les processus physiques en découlant et ainsi améliorer la reconstitution de la masse glaciaire (Herman et al., 2015) et ainsi mieux appréhender la modification du paysage par le glacier.

Formation des moraines

Les moraines (Figure 1.2) sont construites par le dépôt des débris transportés par le glacier depuis les zones situées en amont jusqu’à une zone localisée en aval (Anderson and Anderson, 2010). La nature des débris déposés est très variable et dépend de ce qui est transporté par le glacier. Leur taille peut aller de celle des silts à des blocs de plusieurs mètres. La taille des moraines dépend de plusieurs facteurs : la densité de débris transportés par le glacier, la vitesse d’écoulement du glacier (dont va dépendre le flux d’arrivée des débris) et la durée pendant laquelle le glacier conserve une même extension (Bennet and Glasser, 2009). Au niveau du front du glacier, les moraines déposées sont qualifiées de frontales et sont déposées perpendiculairement à l’écoulement du glacier. Des moraines peuvent également être construites au niveau des flancs du glacier, cette fois parallèlement à l’écoulement. Ces moraines dites latérales peuvent être jointes aux moraines frontales (Anderson and Anderson, 2010). Une moraine peut être déposée au cours de plusieurs épisodes de glaciation, dans ces cas il est possible que la stratification des dépôts ne soit pas toujours parallèle à la crête de la moraine. La moraine est alors dite composite.
Ainsi les moraines marquent une extension du glacier dans le passé, les étudier peut donc apporter des informations utiles à la reconstitution des fluctuations passées d’un glacier (e.g. Balco, 2011; Mackintosh et al., 2017). Cependant, l’enregistrement morainique n’est que partiel. En effet, les moraines peuvent être dégradées après leur dépôt, par une ré-avancée du glacier qui efface les précédentes moraines sur son passage, ou simplement par les processus érosifs sur le long terme. C’est pourquoi plus on remonte dans le temps plus il est difficile de se reposer uniquement sur l’enregistrement des moraines (Kirkbride and Brazier, 1998). De plus, les informations apportées par les moraines sont biaisées vers les périodes d’extension des glaciers, et n’apportent pas d’informations concernant les périodes de retrait. Il peut donc être intéressant de coupler leur étude à celle d’autres objets, tel que les polis glaciaires (Ivy-Ochs and Briner, 2014).

Reconstitutions climatiques à partir des modelés glaciaires

Reconstitutions basées sur la reconstruction de la LEG

Des relations empiriques reliant les précipitations et la température à l’altitude de la LEG ont été établies (e.g. Braithwaite, 2008; Ohmura et al., 1992) et la reconstitution de la LEG dans le passé permet d’avoir une indication sur les conditions climatiques passées. De plus, l’importance de la différence entre la LEG de deux époques donne une indication sur l’ampleur de la variation climatique qui a eu lieu. L’estimation du gradient atmosphérique de la température permet de déterminer une variation de température entre deux époques à partir de la variation de LEG entre ces deux époques (Anderson and Anderson, 2010 et Figure 1.3). Il est important de noter que lors de la reconstitution de la LEG d’un paléoglacier, le glacier est supposé en équilibre.
Figure 1.3 : Illustration d’une reconstitution de la variation de la température à partir de l’estimation de la variation des paléo-lignes d’équilibre glaciaire (ELA). La conversion de la variation de LEG (ΔELA ) en une variation de température nécessite l’estimation d’un gradient atmosphérique de la température, ici 6,5°C/km (tirée de Anderson and Anderson , 2010).
Concept of temperature variation reconstitution from the estimation of paleo – equilibrium line altitudes (ELA). Converting the ELA variation (ΔELA) into a temperature variation requires the knowledge of an atmospheric temperature lapse rate, here 6.5 °C/km (from Anderson and Anderson, 2010).
L’altitude de la LEG actuelle peut être déterminée par des mesures sur le terrain en délimitant les zones d’accumulation et d’ablation. La couche de neige accumulée peut être mesurée à l’aide d’un carottier, tandis que l’ablation peut être estimée à l’aide de balise dont la variation de l’émergence au-dessus de la glace indique la diminution de l’épaisseur de glace. Ces valeurs sont ensuite converties en équivalent eau afin d’en déduire le bilan de masse. L’altitude où le bilan de masse est nul indique la position de la ligne d’équilibre.
Il existe plusieurs méthodes de reconstruction des LEG dans le passé, lesquelles peuvent être séparées en deux groupes : celles qui n’utilisent que la position des modelés glaciaires dans le paysage et celles qui nécessitent une reconstruction de la paléo-surface du glacier. Les premières méthodes, telles que « Maximum elevation of Lateral Moraines » (Lichtenecker, 1938) ou « Cirque Flore Altitudes » (Pewé and Reger, 1972) sont simples d’utilisation et peuvent apporter une première estimation des LEG, cependant elles sont sujettes à des erreurs d’estimation car elles ne prennent pas en compte la dégradation des modelés glaciaires après dépôt par exemple. Une reconstruction climatique est donc peu recommandable à partir de telles estimations (Pellitero et al., 2015).
D’autres méthodes, plus fiables, reposent sur la reconstruction du paléo-glacier à partir des modelés glaciaires visibles, parmi lesquelles les méthodes « Toe to headwall Altitude Ratio » (THAR), « Accumulation Area Ratio » (AAR) ou « Area-Altitude Balance Ratio » (AABR). La plus utilisée est la méthode AAR (Benn and Lehmkuhl, 2000). Elle repose sur l’hypothèse que le rapport des surfaces de la zone d’accumulation et de la zone d’ablation est constant si le glacier est à l’équilibre. Cependant cette méthode ne prend pas en compte l’hypsométrie du glacier (Osmaston, 2005) ni le gradient du bilan de masse qui est contrôlé par les conditions topographiques locales. La seconde méthode la plus utilisée est AABR, qui repose sur les hypothèses que les gradients d’accumulation et d’ablation sont linéaires et que leur rapport est fixe et connu (Benn and Lehmkuhl, 2000; Rea, 2009), ainsi que le fait qu’un changement climatique est reflété par l’évolution du front du glacier. Cette méthode prend en compte à la fois l’hypsométrie du glacier et le gradient du bilan de masse (Benn and Lehmkuhl, 2000; Osmaston, 2005).

Reconstitutions couplées à des modèles physiques

Alors que les reconstructions de la variations des LEG dans le passé peuvent apporter des informations fiables sur les variations climatiques associées, les reconstitutions climatiques à partir des modelés glaciaires issues de modèles numériques sont parfois considérées comme plus précises et plus justes (Mackintosh et al., 2017). Les premiers modèles numériques de reconstitution climatique à partir des glaciers sont apparus dans les années 80 (e.g. Oerlemans, 1986; Greuell, 1992).
Ces reconstitutions reposent sur une modélisation du bilan de masse, qui prend en compte les variations induites par les variations climatiques, couplée à un modèle d’écoulement glaciaire qui relie les changements du bilan de masse à des changements dans la géométrie du glacier.
Outre le niveau de précision dans le modèle de l’écoulement physique de la glace, une des difficultés de la modélisation réside dans l’expression de l’ablation lors de l’estimation des changements dans le bilan de masse. Plusieurs modèles ont été créés résolvant le problème de manière différente. Par exemple, les modèles « Positive Degree Day » supposent une relation empirique entre l’ablation et la somme des températures positives, permettant de décrire l’évolution du bilan de masse en fonction des variations climatiques (e.g. Vincent et al., 2005; Blard et al., 2007; Jomelli et al., 2011; Six and Vincent, 2014; Keeler, 2015). Ou, de manière plus complexe, l’ablation peut être estimée à partir du bilan d’énergie de la surface du glacier (Doughty et al., 2013; Eaves et al., 2016).
La complexité du modèle utilisé doit être choisie en fonction de la problématique étudiée et des données disponibles. Les modèles cités précédemment sont suffisants pour la plupart des reconstitutions paléo-climatiques, cependant la prédiction de l’évolution des glaciers dans le futur nécessitera probablement des modèles d’écoulement glaciaires poussés (Le Meur et al., 2007; Mackintosh et al., 2017).

Climat et enregistrements glaciaires holocènes dans les Alpes et le massif du Mont-Blanc

L’Holocène est la période géologique correspondant à l’interglaciaire actuel qui a débuté il y a 11,7 ka (Walker et al., 2009). Il fait suite au Dryas Récent, dernier épisode froid de la dernière période glaciaire, dont la fin a été marquée par un réchauffement important et rapide des températures atmosphériques (Figure 1.4). L’Holocène est propice à l’étude des chronologies glaciaires et aux variations climatiques s’y rapportant car étant la période la plus récente, elle est riche en archives climatiques et glaciaires. S’y intéresser peut permettre de comprendre les mécanismes importants pour la compréhension de l’évolution des glaciers.
Lors de la dernière période glaciaire, alors que les températures étaient plus faibles, les glaciers étaient de taille beaucoup plus importante qu’aujourd’hui et les fronts des glaciers dans les Alpes ont pu s’avancer à des centaines de kilomètres plus loin que ceux actuels (Kelly et al., 2004; Coutterand and Nicoud, 2005; Coutterand and Buoncristiani, 2006; Ivy-Ochs et al., 2009).

L’Holocène dans les Alpes à travers les variations climatiques et glaciaires

Des synthèses des chronologies glaciaires au cours de l’Holocène ont été réalisées à l’échelle des Alpes et à échelle globale respectivement par Ivy-Ochs et al. (2009) et Solomina et al. (2015, 2016) et peuvent être consultées pour plus de détails car le but de cette section n’est pas de faire un inventaire exhaustif de toutes les études réalisées mais de souligner les tendances mises en évidence dans le comportement des glaciers alpins.
Bien que le début de l’Holocène ait été marqué par une forte augmentation globale des températures, cette période est caractérisée par une variabilité climatique de plus faible amplitude que pendant les précédentes périodes du Quaternaire, tel qu’enregistrée dans les carottes de glace du Groenland (Dansgaard et al., 1993). Cette variabilité est cependant suffisante pour être répercutée dans le comportement des glaciers dans les Alpes. Plusieurs périodes favorables au développement des glaciers peuvent être identifiées au cours de l’Holocène, entrecoupées de périodes au climat hostile aux avancées glaciaires (Figure 1.5). Dans les Alpes, la tendance générale qui peut être dégagée selon Ivy-Ochs et al. (2009) est : des glaciers en position avancée jusqu’à 10,5 ka, un recul significatif des glaciers jusqu’à des positions potentiellement plus petites qu’aujourd’hui jusqu’à 3,3 ka de part une augmentation des températures, puis des ré-avancées glaciaires dues à un retour de conditions climatiques favorables, avant le début du retrait glaciaire observable aujourd’hui depuis le milieu du 19ième siècle.
Figure 1.4 : Contextualisation de la période Holocène en comparaison avec différents enregistrements climatiques globaux et Alpins. (1) Enregistrement des isotopes de l’oxygène dans la carotte de glace du Groenland NGRIP (Rasmussen et al., 2006; Vinther et al., 2006), la période de l’Holocène est surlignée en vert, (2) Compilation des reconstitutions des températures atmosphériques du mois de Juillet à partir de chironomes dans les Alpes (Heiri et al., 2015), (3) Phases de haut niveau de lacs reconstituées à partir des sédiments de lacs du Jura (France), du plateau Suisse et des pré-Alpes françaises (Magny, 2013). PBO : Oscillation Préboréales.
Broad climatic context of the Holocene period regarding global and Alpine records. (1) Oxygen isotope record in Greenland icecore NGRIP (Rasmussen et al., 2006; Vinther et al., 2006), (2) Chironomid-inferred July air temperatures from Alpine records (Heiri et al., 2015), (3) High lake-level phases reconstructed from lake sediment in Jura mountains (France, Switzerland), the Swiss Plateau and the French pre-Alps (Magny, 2013). PBO: Preboreal Oscillations.
Au cours des premiers millénaires de l’Holocène, le réchauffement observé à la fin du Dryas Récent au Groenland et dans les Alpes (Figure 1.4 (1) et (2)) est entrecoupé par de courts évènements froids, tel que l’Oscillation Préboréale qui est mise en évidence dans les enregistrements des isotopes de l’oxygène au Groenland et les reconstitutions des températures à partir de chironomes dans les Alpes, et culmine à ~11,4 ka (Rasmussen et al., 2007 ; Figure 1.4). Les glaciers alpins oscillent tout en restant en position avancée, parfois proche de leur position du Dryas Récent (Ivy-Ochs et al., 2009 et références citées). Ces positions avancées ont été mises en évidence dans plusieurs sites à travers les Alpes centrales (e.g. Schindelwig et al., 2012; Schimmelpfennig et al., 2014) et orientales (e.g. Moran et al., 2016; Baroni et al., 2017) et reliées à des évènements froids à l’échelle hémisphérique observés dans les enregistrements des carottes du Groenland (e.g. Schimmelpfennig et al., 2014).
Entre 10,5 et 3,3 ka, alors que les conditions sont devenues plus chaudes dans les Alpes (Heiri et al., 2015 ; Figure 1.4), les glaciers se sont retirés et ont pu atteindre des extensions plus petites qu’aujourd’hui pendant la majorité du temps (Goehring et al., 2011; Joerin et al., 2006 et Figure 1.5). Une diminution de l’activité glaciaire est d’ailleurs enregistrée dans des sédiments lacustres dans les Alpes occidentales entre 9,7 et 5,4 ka (Simonneau et al., 2014). Ivy-Ochs et al. (2009) suppose que le recul des glaciers pendant cette période pourrait également être lié aussi à un climat plus sec. Cependant, bien que les niveaux de lac ne soient pas un proxy direct des paléo-précipitations, les reconstitutions du niveau de lacs dans les Alpes par Magny (2013) ne suggèrent pas des conditions plus sèches au cours de cette période par rapport au début de l’Holocène (Figure 1.4 (3)). Le rôle des précipitations dans le recul des glaciers entre 10,5 et 3,3 ka reste donc incertain. Cependant, des épisodes plus froids et de courtes durées ont interrompu cette période hostile à la croissance des glaciers et leur ont permis d’avancer (Solomina et al., 2015). Les évènements 9,2 ka et 8,2 ka, identifiés dans des enregistrements de températures à l’échelle hémisphérique (Alley et al., 1997; Yu et al., 2010), ont été des périodes très courtes, mais propices aux avancées glaciaires. Quelques traces d’avancées ont été mises en évidence, notamment dans les Alpes suisses par Nicolussi and Schlüchter (2012) et Luetscher et al. (2011). Cette dernière étude a également mis en évidence, à travers un enregistrement de spéléothèmes, des avancées entre 7,7-6,8 ka. Cependant aucunes traces de ces avancées n’ont été conservées dans les enregistrements morainiques.
Le passage dans le Néoglaciaire, visible par une diminution des températures estivales (Wanner et al., 2011), est marqué par des avancées glaciaires de fortes amplitudes. La recrudescence de l’activité glaciaire est enregistrée dans les sédiments lacustres dans les Alpes françaises à partir de 5,4 ka (Simonneau et al., 2014) et de 4,8-4,6 ka (Deline and Orombelli, 2005). Des avancées à partir de ~4,2 ka ont également été mises en évidence à travers la datation de moraines (e.g. Le Roy et al., 2017), ou sur la base d’étude de bois fossile (e.g. Holzhauser et al., 2005; Le Roy et al., 2015). La période la plus active en terme d’avancées glaciaires au cours du Néoglaciaire est le Petit Âge Glaciaire (PAG), de la fin de 13ième siècle au milieu du 19ième siècle (Grove, 2004), qui est caractérisée par des températures plus froides et une humidité plus importante. Les glaciers atteignent alors leur maximum depuis leur retrait au début de l’Holocène. Le timing des maxima glaciaires de cette époque dans les Alpes sont variables, mais ils semblent se concentrer sur les années 1600, 1640, 1680, 1720, 1820 et 1860 CE (Solomina et al., 2016 et références citées). Depuis l’année 1860 CE, qui marque la fin du PAG, les glaciers sont en dynamique globale de retrait, qui a pu être interrompu par quelques petites réavancées de faible amplitude (Solomina et al., 2016).

Les chronologies glaciaires holocènes dans le massif du Mont-Blanc

Une description détaillée des précédents travaux sur les chronologies glaciaires dans le massif du Mont-Blanc est réalisée individuellement pour les glaciers concernés dans les chapitres 4 (glacier de Talèfre), 5 (glacier d’Argentière) et 6 (Mer de Glace). Dans cette section, un bilan global sur l’ensemble du massif est réalisé.
Le massif du Mont-Blanc (MMB) est le plus haut massif des Alpes européennes et est localisé à la frontière entre la France, la Suisse et l’Italie. C’est un massif très englacé qui contient parmi les plus grands glaciers d’Europe.
Jusqu’à présent un petit nombre d’études s’est intéressé à la reconstruction des chronologies glaciaires dans le MMB et ce nombre reste inférieur par rapport à d’autres régions alpines. Il existe peu de travaux s’intéressant aux traces des extensions glaciaires du début de l’Holocène dans le MMB (Le Roy, 2012). Et si plusieurs études ont permis de reconstruire des chronologies glaciaires sur quelques glaciers depuis le Néoglaciaire (e.g. Deline and Orombelli, 2005; Le Roy et al., 2015), très peu d’entre elles remontent au-delà, notamment à cause de l’absence d’archives. De ce fait les variations antérieures au Néoglaciaire sont peu connues dans le MMB.
Figure 1.5 : Synthèse des fluctuations glaciaires et de l’évolution du climat au cours du Dryas Récent et de l’Holocène (tiré de Ivy-Ochs et al., 2009). Dans l’encadré de gauche : interprétation des extensions glaciaires de la transition entre le Dryas Récent et le début de l’Holocène. Les avancées glaciaires du même ordre que celle du Petit Âge Glaciaire sont reportées en gris (G : Gepatschferner (Kaunertal) ; S : Simonykees and Z : Zettalunitzkees (Venediger Mountains). Les barres bleues verticales représentent les variations froides associées (V : Venediger ; F? : Frosnitz ; R1, R2 : Rotmoos 1 and 2 ; L : oscillation du Löbben ; Gö1, Gö2 : oscilation du Göschener 1 et 2. Hwi : intervalles holocènes chaud (bandes orange) (Engadin ; Joerin et al., 2008). La courbe verte représente les variations dans la ligne des arbres (Kaunertal ; Nicolussi et al., 2005). Les avancées glaciaires du Grosser Aletschgletscher entre 3.5 ka et le présent sont reprises depuis Holzhauser et al. (2005). Dans l’encadré de droite : représentation de reconstitutions à partir de différents indicateurs de l’activité glaciaire. Varves lacustres du lac Silvaplanersee (Engadin; Leemann and Niessen, 1994), témoignant de la présence d’un glacier dans le bassin versant. Période de sédimentation organique non interrompue dans le lac Bruntes Moor (Nicolussi and Pratzelt, 2001). Périodes de retrait glaciaire (Alpes Suisse centrales et orientales) décrites par Joerin et al. (2006). Pasterze glacier plus petit que sa position de l’an 2000 (Nicolussi and Patzelt, 2000; Nicolussi and Pratzelt, 2001). Glacier Tisenjoch aussi retiré que en 1991, mis en évidence par la présence de l’homme de glace Ötztal (Baroni and Orombelli, 1996). Datation 14C de matériel archéologique au Schnidejoch (Grosjean et al., 2007).
Synthesis of glacial fluctuations and climatic evolution during the Younger Dryas and the Holocene periods in the Alps (from Ivy-Ochs et al., 2009). On the left part: Younger Dryas/Early Holocene transition advanced extensions. Glacial extents that are equal to the ones of the Little Ice Age are reported in grey (G: Gepatschferner (Kaunertal); S: Simonykees and Z: Zettalunitzkees (Venediger Mountains). Vertical blue bars represent the associated cold oscillations (V: Venediger; F?: Frosnitz; R1, R2: Rotmoos 1 and 2; L: Löbben oscillation; Gö1, Gö2: Göschener 1 and 2 oscillations). Hwi : Holocene warm intervals (oranges bands) (Engadin; Joerin et al., 2008). Green curve represents the tree line variation (Kaunertal; Nicolussi et al., 2005). Grosser Aletschgletscher glacial advances between 3.5 ka and the present day are taken from Holzhauser et al. (2005). On the right part: representation of various indicators of glacial activity. Lake sediment from Silvaplanersee (Engadin; Leemann and Niessen, 1994), witness of glacier presence in the catchement. Uninterrupted organic sedimentation in lake Buntes Moor (Nicolussi and Pratzelt, 2001). Pasterze glacier smaller than its 2000 CE position (Nicolussi and Patzelt, 2000; Nicolussi and Pratzelt, 2001). Tisenjoch glacier as retreated as in 1991, evidence by the presence of Ötztal Ice Man (Baroni and Orombelli, 1996). Radiocarbon dating of archeologic material at Schnidejoch (Grosjean et al., 2007).
Au cours du Dryas Récent, l’ensemble de la vallée de Chamonix était encore englacé comme le démontre la datation par 10Be de polis glaciaires situés à l’aval de la ville de Chamonix à environ 12.0 ± 0.5 ka (Prud’homme, 2013; Prud’homme et al., Submitted). Un stade de position avancée du glacier du Tour a été mis en évidence par le dépôt d’une moraine, en amont de moraines associées au Dryas Récent et 750 m en aval du maximum PAG. L’âge de dépôt de cette moraine a été contraint par deux datations de matière organique dans des tourbières et débris de végétaux par 14C (Jaillet and Ballandras, 1999, calibrées par Le Roy, 2012) : entre 10,4 – 9,0 ka BP (date maximum de l’avancée) et 7,8-7,6 ka BP (date minimum de l’avancée). Une moraine déposée par le glacier d’Argentière, également en aval du maximum PAG, marque une avancée glaciaire du glacier d’Argentière, qui pourrait être synchrone à l’avancée décrite pour le glacier du Tour (Lucéna and Ballandras, 1999) d’après les observations géomorphologiques sur le terrain.
Aucune autre avancée n’est répertoriée dans le MMB entre ces stades glaciaires et la recrudescence de l’activité glaciaire mise en évidence au glacier du Miage vers 4,8-4,6 ka par la reprise d’une sédimentation glacio-lacustre (Deline and Orombelli, 2005). D’autres preuves de multiples avancées glaciaires au début du Néoglaciaire, vers 4 ka, ont été mises en évidence par la datation de bois subfossiles encastrés dans les moraines ou dans les tourbières sur la Mer de Glace (Wetter, 1987; Le Roy et al., 2015), le glacier d’Argentière (Bless, 1984; Le Roy, 2012) et à partir de 3 ka environ pour le glacier des Bossons (Le Roy, 2012). Le PAG est un épisode froid, bien marqué par les glaciers du MMB, qui ont atteint leurs extensions maximales du Néoglaciaire. Le PAG est une époque bien documentée, à la fois par les traces laissées dans le paysage par les moraines et par les documents historiques. Les maxima PAG ont été atteints au 17ième siècle pour la Mer de Glace et les glaciers du Tour et d’Argentière (Bless, 1984; Wetter, 1987; Nussbaumer et al., 2007). Depuis, les glaciers sont dans une dynamique de retrait, qui a pu être entrecoupé de courtes avancées de faible ampleur (Reynaud and Vincent, 2000).
Les glaciers de montagne sont donc de bons indicateurs climatiques, et améliorer notre connaissance de leurs fluctuations au cours de l’Holocène est un moyen de reconstituer le climat passé mais aussi de mieux comprendre leur réaction face à une variation climatique. Ces informations permettent d’améliorer les modèles décrivant le comportement des glaciers et de mieux prédire leur future évolution. L’étude des modelés glaciaires, laissés dans le paysage par les glaciers, est un moyen pertinent de reconstruction des chronologies glaciaires passées et d’avoir des informations sur la dynamique glaciaire. Dans les chapitres 2 et 3 sont présentés les aspects théoriques puis pratiques de l’étude de ces morphologies glaciaires grâce aux nucléides cosmogéniques et les chapitres 4 à 6 en présenteront des applications, réalisées dans le but d’améliorer notre connaissance des chronologies et de la dynamique glaciaires holocène dans le massif du Mont-Blanc.

Table des matières

Introduction générale
CHAPITRE 1: Les glaciers : outils de la reconstitution du climat
1.1 La sensibilité des glaciers aux conditions climatiques
1.1.1 Le bilan de masse d’un glacier
1.1.2 L’influence du climat sur les glaciers
1.2 Enregistrement des variations du glacier par les morphologies glaciaires
1.2.1 Modelage des polis glaciaires et roches moutonnées
1.2.2 Formation des moraines
1.3 Reconstitutions climatiques à partir des modelés glaciaires
1.3.1 Reconstitutions basées sur la reconstruction de la LEG
1.3.2 Reconstitutions couplées à des modèles physiques
1.4 Climat et enregistrements glaciaires holocènes dans les Alpes et le massif du Mont-Blanc
1.4.1 L’Holocène dans les Alpes à travers les variations climatiques et glaciaires
1.4.2 Les chronologies glaciaires holocènes dans le massif du Mont-Blanc
CHAPITRE 2 : Datation de l’exposition des morphologies glaciaires par nucléides cosmogéniques in situ
2.1 De la formation des nucléides cosmogéniques in situ à la détermination de l’exposition d’une surface
2.1.1 Production des nucléides cosmogéniques in situ
2.1.2 Equation de production
2.1.3 Dépendances de la production
2.2 Datation des morphologies glaciaires en utilisant le 10Be et le 14C in situ
2.2.1 Datation du dépôt des moraines par 10Be
2.2.1.1 Principe et apport de la datation des moraines
2.2.1.2 Utilisation du 10Be
2.2.2 Datations de polis glaciaires par 10Be et 14C in situ
2.2.2.1 Principe et apport de la datation des polis glaciaires
2.2.2.2 Utilisation de la paire 10Be-14C in situ
2.2.2.3 Limites de l’utilisation de la paire 10Be-14C in situ
CHAPITRE 3 : Méthodologie analytique de préparation des échantillons
3.1 Isolation du quartz
3.1.1 Protocole en routine au CEREGE
3.1.2 L’alternative de la flottation
3.2 Isolation et mesure du 10Be
3.2.1 Protocole classique de mesure du 10Be au CEREGE
3.2.1.1 Isolation du 10Be cosmogénique
3.2.1.2 Mesure par spectrométrie de masse par accélérateur
3.2.2 Difficultés rencontrées et adaptation du protocole
3.2.3 Critères pour déterminer la fiabilité des mesures
3.3 Isolation et mesure du 14C in situ
3.3.1 Extraction et purification du CO2
3.3.2 Mesure par spectrométrie de masse
3.3.3 Applicabilité de la paire 10Be-14C in situ à nos échantillons des glaciers du massif du Mont-Blanc
CHAPITRE 4 Millennial scale synchronism of glacier fluctuations during the Younger Dryas/Early Holocene transition across the European Alps – new evidence from cosmogenic 10Be glacier chronologies in the Mont-Blanc massif (French Alps)
Abstract
Keywords
4.1 Introduction
4.2 Study site, geomorphologic setting
4.3 Methodology
4.4 Results
4.5 Discussion
4.5.1 Oscillations of Talèfre glacier since the Younger Dryas
4.5.2 Comparison with other alpine chronologies
4.5.3 Climatic variations during the YD/EH transition in the Alps
4.6 Conclusion
Acknowledgements
CHAPITRE 5 Climatic reconstruction for the Younger Dryas/Early Holocene transition and the Little Ice Age based on paleo-extents of Argentière glacier (French Alps)
Abstract
Keywords
5.1 Introduction
5.2 Study site, geomorphologic setting and previous work on the past fluctuations of Argentière glacier
5.3 Methodology
5.3.1 Sampling and cosmogenic 10Be ages
5.3.2 Glacier reconstruction and paleoclimatic modelling
5.4 Results
5.4.1 Moraine and bedrock exposure ages
5.4.2 ELAs determination
5.4.3 Paleoclimatic results
5.5 Discussion
5.5.1 Holocene oscillations of Argentière glacier
5.5.2 Paleoclimatic interpretations
5.6 Conclusions
Acknowledgements
CHAPITRE 6 Preliminary work on reduced glacier extents and subglacial erosion rates in the Mont-Blanc massif
Introduction
6.1 Study sites
6.1.1 The Mer de Glace study site and previous chronological work
6.1.2 Argentière and Talèfre glaciers sites
6.2 Methods
6.2.1 Determination of Holocene exposure and burial durations and subglacial erosion rate
6.2.1.1 Equations used for burial duration and eroded depth determination
6.2.1.2 Assumptions
6.2.2 Sampling procedure
6.2.3 Cosmogenic nuclide methodology
6.2.3.1 10Be methodology
6.2.3.2 In situ 14C methodology
6.3 Description of sampling sites
6.3.1 Samples from Mer de Glace
6.3.2 Samples from Argentière glacier
6.3.3 Samples from Talèfre glacier
6.4 Results
6.4.1 10Be results
6.4.2 In situ 14C result
6.4.3 Holocene exposure and burial duration and subglacial erosion rate of MDG-15-1
6.4.4 Estimation of subglacial erosion rates
6.5 Discussion
6.5.1 Periods of reduced glacier extent of Mer de Glace during the Holocene
6.5.2 Investigation of subglacial erosion rate in the Mont-Blanc massif
6.6 Conclusion
Conclusion générale et perspectives
Bibliographie
Annexes
Annexe A : Protocole de séparation du quartz des feldspaths et biotites par méthode de flottation
Annexe B : Tableaux complémentaires du Chapitre 4

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