Dan SPERBER et la question du naturalisme dans les sciences sociales

Dan SPERBER et la question du naturalisme
dans les sciences sociales

LES REPRESENTATIONS CULTURELLES 

Pour commencer, il semble important de préciser que ce sont les représentations mentales et publiques qui constituent les représentations culturelles. A ce propos, on note une relation entre une représentation elle-même, son contenu, son utilisateur et le producteur de cette même représentation. Il arrive à un moment donné où l’utilisateur d’une représentation est distinct du producteur. Cela se justifie par le fait que dans certains cas, un individu peut produire une représentation et un autre l’utilise comme étant le producteur. Ainsi, dans les représentations culturelles, on distingue des représentations mentales et des représentations publiques. Alors, il est nécessaire ici de faire une distinction entre les représentations mentales et celles publiques : on peut tenter de définir une représentation mentale en disant que c’est une représentation que l’utilisateur a dans sa tête c’est-à-dire une représentation qu’il a produit lui-même. Dans ce cas, l’utilisateur de la représentation est en même temps le producteur car celui qui produit la représentation est aussi celui qui l’utilise. Par exemple, les souvenirs, les intentions sont des représentations mentales. Une représentation publique est une représentation qui existe en dehors de l’utilisateur, c’est-à-dire dans l’environnement de l’utilisateur. Cela veut dire que l’utilisateur est différent du producteur dans la représentation publique. C’est ainsi que Sperber affirme ceci : « Une représentation publique est généralement un moyen de communication entre un producteur et un utilisateur distincts l’un de l’autre. »64 Du moment qu’une représentation mentale n’a qu’un seul utilisateur, une représentation publique peut en avoir plusieurs. On peut dire que c’est par la représentation publique que s’effectue la propagation des idées dans toute une population. Par exemple, un conte ou un communiqué peut être à la disposition d’une assemblée, c’est ainsi qu’on peut parler de représentations publiques. Dès lors, les idées ou représentations se reproduisent au sein d’un groupe par le biais de la communication. Cette dernière est alors la source de cette propagation des idées qui contaminent les cerveaux un peu à l’image des virus dans un organisme. Avec l’invention de la technique qui a donné naissance à l’imprimerie et d’autres moyens de communication permettant de démocratiser les savoirs, les représentations publiques se propagent et de façon durable. Dans une perspective épidémiologique, l’oralité a joué un rôle important dans la transmission des représentations publiques comme mentales dans la mesure où elle permet 64 Dan Sperber, La Contagion des idées, Odile Jacob, 1996, p.64. 44 d’établir deux types de lien c’est-à-dire du mental au public et du public au mental. En d’autres termes, il y a deux liens entre les représentations mentales et les représentations publiques. Et ce lien s’effectue comme suit : dans la transmission orale par exemple, les auditeurs qui écoutent un récit peuvent ensuite devenir des narrateurs de ce récit en le racontant à d’autres. C’est de cette façon qu’on peut établir les deux types de lien entre les représentations. En effet, pour le premier type de lien c’est-à-dire du mental au public : quand un individu a des idées qu’il exprime à d’autres, on peut dire qu’on a le lien du mental au public. De plus, pour le lien du public au mental c’est quand des individus écoutent un discours et chacun intériorise des idées ou représentations. Alors, ces dernières vont être des représentations mentales dans le cerveau de chaque individu. Voici donc le deuxième type de lien qui transforme une représentation publique en des représentations mentales. Cependant, Sperber souligne que la transmission orale n’est pas un moyen fiable dans la reproduction des représentations. Elle ne nous donne que des représentations floues plutôt que de nous donner des versions plus ou moins claires dans l’ensemble. Ce qu’il faut faire maintenant, c’est de trouver des moyens fiables de communication qui permettent de mieux véhiculer, de transmettre les messages de façon fidèle. Et pour cela, il faut faire recourt à la technique qui permet une propagation très fiable des représentations. Il cherche alors à expliquer et à interpréter les représentations culturelles et il dit à ce propos : « expliquer une représentation c’est le rendre intelligible, c’est l’interpréter »65. Ainsi, en expliquant les représentations culturelles, il faut mettre en évidence les mécanismes qu’elles comportent. On note un aspect théorique dans l’élaboration des représentations et qui met en œuvre des mécanismes généraux. Mais la plupart des anthropologues ne partagent pas cette méthode dans l’étude des représentations culturelles. Sperber souligne ceci en ces termes : « Il n’y a pas de consensus, ni même de conception majoritairement acceptée en anthropologie quant à ce qui pourrait être considéré comme une hypothèse explicative adéquate. »66 L’auteur de la Contagion des idées va souligner quatre types d’explication en anthropologie. Ces types d’explication sont les généralisations interprétatives, les explications structuralistes, les explications fonctionnalistes et le quatrième type d’explication est l’épidémiologie des représentations qui 65 Dan Sperber, La Contagion des idées, Op.Cit, p.81. 66 Op.Cit, p.82. 45 est d’ailleurs la seule méthode qu’il défend et considère comme étant la plus efficace dans l’explication et l’interprétation des représentations culturelles. Dans les généralisations interprétatives, l’anthropologue observe un phénomène particulier dans une culture donnée et il en tire une généralisation pour tous les phénomènes du même type dans toutes les cultures. Ce type d’explication n’est pas fiable dans la même culture où chaque phénomène a son propre modèle d’explication, d’interprétation. Or, il arrive parfois qu’on trouve des ressemblances entre plusieurs phénomènes, mais cela ne veut pas dire qu’on doit toujours généraliser le type d’explication. Alors, ce qui revient à dire que chaque phénomène ou chaque objet culturel a une signification non en lui-même, mais pour un individu ou pour un groupe social bien déterminé. Par exemple « tout véhicule de signification, qu’il s’agisse d’un texte, d’un geste ou d’un rituel est porteur de signification non en lui-même, mais pour quelqu’un. »67 De ce fait, il faut souligner que signification ne renvoie pas à cause, « l’attribution d’une signification n’est pas une explication causale. »68 On voit ainsi que les généralisations interprétatives ne fournissent pas d’hypothèses théoriques parce qu’on peut les abandonner à tout moment. En outre, pour les explications structuralistes aussi on note une généralisation interprétative mais il s’agit d’expliquer les phénomènes d’une manière structuraliste. Cette méthode d’explication met en évidence des rapports de ressemblance du fait qu’il est possible de prendre un mythe et en tirer un autre non seulement en l’imitant mais en inversant le contenu. « Si par exemple le héros du premier mythe est un géant, celui du second pourrait être un nain ; si l’un est un tueur, l’autre pourrait être un guérisseur et ainsi de suite. »69 Les rapports de ressemblance sont donc les seuls rapports nécessaires et pertinents. Dans l’analyse structuraliste, on distingue deux aspects ; il y a un aspect méthodologique et un autre théorique. Dans le premier aspect c’est-à-dire celui méthodologique, pour analyser les rapports structuraux, l’anthropologue doit faire une interprétation de ces mêmes rapports pour déceler leur relation. C’est en interprétant ces rapports qu’on pourra montrer les ressemblances ou les différences qui existent entre les différents phénomènes. 

 LES LIMITES DU PROGRAMME DE NATURALISATION 

L’IRREDUCTIBILITE DU MENTAL AU CEREBRAL : LA CONSCIENCE EN QUESTION

On a vu que c’est la conscience qui reste le principal problème de la philosophie de l’esprit. A cause de son caractère incompréhensible, les naturalistes sont dans l’illusion de pouvoir avancer quelque chose de cohérent sur la conscience. Celle-ci constitue alors le plus grand obstacle dans l’étude des spécialistes du cerveau, c’est-à-dire les cognitivistes et les neuroscientifiques. A ce propos donc, un auteur comme David Chalmers nous recommande de prendre la conscience au sérieux. Ainsi, nous allons montrer tout au long de ce chapitre l’irréductibilité de l’esprit au cerveau en mettant l’accent sur la subjectivité de la conscience et de l’intentionnalité. Cependant, il semble important de se poser la question suivante : comment des processus physiques peuvent-ils donner lieu à des phénomènes mentaux ? Autrement dit, comment deux substances distinctes, l’esprit et la matière, peuvent-ils interagir ? Pour les scientifiques matérialistes, la conscience n’est qu’une illusion parce que tout simplement ils n’arrivent pas à fournir des arguments solides à propos des états mentaux. Ils confondent ces derniers à des états cérébraux par le fait qu’il est plus aisé d’étudier le cerveau que d’essayer d’apporter des solutions à un problème insoluble. Le problème du rapport du corps et de l’esprit reste insoluble nous dit les naturalistes. Alors, il est impossible de faire une étude scientifique sur la conscience parce que les neuroscientifiques ne disposent pas de théories précises pour accéder à la vie intérieure de l’individu. Tout cela laisse penser que la conscience est subjective et reste comme un mystère même si les sciences cognitives et les neurosciences sont en train de montrer les processus et le fonctionnement du système nerveux. Autrement dit, ces sciences permettent de mieux comprendre l’être humain et les mécanismes de ses états mentaux mais elles sont incapables de se prononcer sur la conscience. Celle-ci émerge du cerveau, du physique certes ; mais elle est immatérielle donc ne peut pas être l’objet d’étude scientifique. La conscience survient alors du cerveau qui est un organe palpable, matériel mais elle est différente de celui-ci à cause de son caractère immatériel et subjectif. Ainsi, il est important de se demander comment la conscience émerge-t-elle du matériel ; c’est-à-dire du cerveau ? En d’autres termes, comment une substance immatérielle peut-elle survenir du physique ? A ce propos, David Chalmers affirme ceci : « Les théories scientifiques actuelles ont du mal à aborder les questions réellement difficiles relatives à la conscience. Ce n’est pas seulement qu’il nous manque une théorie précise ; nous ignorons 63 tout de la façon dont la conscience s’intègre dans l’ordre naturel. »94 De ce fait, si on peut étudier le comportement en termes physiques, cela n’est pas possible avec la conscience, car jusqu’à présent les scientifiques n’ont pas une théorie physique qui pourrait prendre en charge la vie intérieure subjective de l’homme. La méthode scientifique n’est pas féconde ici parce qu’il y a un défaut d’observation du phénomène. Alors on ne peut parler de réduction, car il est impossible de réduire la conscience à de la matière ; c’est-à-dire du physique. Il ne s’agit pas dans ce cas d’une explication réductrice car celle-ci ne marche pas étant donné que le problème de la conscience reste insoluble dans le domaine de la philosophie de l’esprit. Selon David Chalmers, le scientifique doit essayer de résoudre les problèmes de la conscience mais il ne faut pas nier son existence ni la réduire à quoi que ce soit. Dès lors, les matérialistes pensent qu’avec une théorie naturaliste de la conscience, on pourrait régler tout le problème. Et ils admettent que le matérialisme est la doctrine la mieux placée pour résoudre les difficultés de la conscience. D’après eux, il y a une exigence de la doctrine matérialiste dans le problème du rapport entre le corps et l’esprit. Mais Chalmers nous dit que les théories matérialistes sont insuffisantes, elles sont incapables de nous dire ce qu’est exactement la conscience. Elles ne peuvent pas donner une explication claire et nette de la façon dont l’esprit émerge du cerveau qui est un organe physique. On peut bien avancer sur la conscience sans pour autant contester son existence ni la réduire au matériel. Cependant, avec le projet de naturalisation de l’esprit, la conscience est ce qui constitue le grand problème étant donné que cette dernière échappe à toute tentative d’explication réductrice. Celle-ci ne peut pas rendre compte de la nature de l’expérience consciente. Donc, le fait de dire que la conscience survient sur le physique de façon logique n’est qu’une illusion. Il n’y a pas de survenance logique entre la conscience et le physique mais il faut parler d’une survenance relative parce qu’elle n’est pas globale. Cela se justifie par l’idée selon laquelle tous les phénomènes physiques ne se ramènent pas aux faits ou phénomènes de la conscience. Certes, la conscience émerge du cerveau qui est physique mais elle est différente de celui-ci, car elle a des caractéristiques qui lui sont spécifiques. Il est impossible alors d’expliquer la conscience par une simple réduction, autrement dit le fait de réduire l’esprit au cerveau n’est pas possible. 94 David Chalmers, L’esprit conscient, Ithaque : Paris, 1996, p.11. 64 De plus, l’esprit émerge du cerveau mais il contrôle ce dernier ; et les neuroscientifiques ne comprennent pas pourquoi l’immatériel peut-il contrôler le matériel ? Autrement dit, comment l’esprit peut-il contrôler le cerveau ? On note une survenance de la conscience du physique, et l’esprit ou la conscience est indépendant du cerveau parce qu’il y a quelque chose qui échappe à l’analyse scientifique, à l’analyse matérialiste. Il est impossible de faire une expérience de la conscience d’autrui, car son intériorité, sa vie intérieure nous est inaccessible. Seul l’individu peut avoir une idée de ce qui se passe en lui, c’est ce qui traduit en quelque sorte la subjectivité. Tout cela laisse penser que la conscience est particulière, singulière voire subjective. Alors d’après Chalmers, « il suffit d’établir la possibilité logique d’un monde physiquement identique au nôtre, dans lequel les faits de l’expérience consciente sont seulement différents des faits de notre monde, sans que l’expérience consciente en soit totalement absente. »95 On voit bien qu’il ne s’agit pas d’éliminer, de supprimer la conscience même si elle est différente des faits, des phénomènes de ce monde physique. Malgré la connaissance des faits qui dérivent de la physique, la conscience n’entre pas dans une relation de causalité. L’expérience consciente n’est pas dans le monde physique, ce qui fait qu’elle semble être mystérieuse aux yeux des matérialistes réductionnistes. Ces derniers peuvent avoir une détermination claire et précise de la constitution biologique de l’être humain, son comportement et ses mécanismes cérébraux. Mais ils ne sont pas capables de dégager une idée cohérente et raisonnable sur la conscience. Ce qui veut dire que les faits physiques ne nous enseignent rien sur ce qu’est la consciente, autrement dit la conscience ne dérive pas du physique. Ainsi, les expériences conscientes sont considérées comme des expériences subjectives et mystérieuses au point que les neuroscientifiques tentent de les réduire au physique. Et parfois même, ils manifestent un désir de les éliminer tout simplement. Il n’y a pas de survenance logique entre l’esprit ou la conscience et les faits physiques, car ceux-ci « (…) n’impliquent donc pas logiquement les faits concernant l’expérience consciente. »96 Alors, l’homme n’est pas seulement un corps donc il y a quelque chose que la biologie laisse de côté. Ce qui veut dire que tout ce qui est pensée ou esprit ne peut pas faire une approche physicaliste, car seul le corps, qui est une substance étendue ; c’est-à-dire de la matière, peut faire l’objet d’une étude naturaliste. 95 David Chalmers, L’esprit conscient, Ithaque : Paris, 1996, p.151. 96 Ibid. 65 Ce n’est pas seulement Chalmers qui défend l’idée d’une irréductibilité de la conscience mais il y a d’autres auteurs antiréductionnistes qui développent cette même thèse. Et parmi eux, on peut citer John Searle pour qui « (…) il n’y a pas moyen d’étudier les phénomènes de l’esprit sans étudier de près ou de loin la conscience. Et ce pour une raison fondamentale : nous n’avons en vérité, aucune idée du mental en dehors de notre idée de conscience. » 97 Il montre ici que le mental est intérieur en nous et chacun a une idée plus ou moins claire de ce qui se passe en lui ; mais il est impossible d’étudier la conscience d’autrui. Donc le mental a un caractère subjectif contrairement à la tradition naturaliste ou matérialiste qui considère que toute la réalité est objective. A ce propos, c’est cette idée que le courant antinaturaliste rejette et de façon catégorique, car selon les partisans de cette doctrine, on ne peut pas fonder une théorie sur la conscience qui serait objective. L’idée d’une théorie objective du mental semble être faux. Alors, Searle affirme que « les croyances, les désirs, etc., sont toujours les croyances et les désirs de quelqu’un (…). »98 Cela montre l’inaccessibilité à la conscience d’autrui. Autrement dit, personne ne possède le pouvoir d’accéder à la conscience de quelqu’un d’autre. Cette idée traduit aussi l’intentionnalité qui fait que chaque individu a des croyances, des désirs, des souhaits et des émotions qui lui sont propres et spécifiques. Par conséquent, la conception physicaliste qui tente de naturaliser l’intentionnalité est une théorie erronée du moment où l’intentionnalité n’est pas une réalité objective mais elle traduit la personnalité et la singularité de l’individu. Cela veut dire que la méthode physicaliste, les neurosciences et aussi la psychologie cognitive ne peuvent pas rendre compte des états de la conscience qui sont abstraits. Par exemple « à partir des faits physiques au sujet d’une chauve-souris, nous pouvons établir tous les faits relatifs à une chauve-souris, sauf ceux qui concernent ses expériences conscientes. Connaissant tous les faits physiques, nous ne savons toujours pas quel effet cela fait d’être une chauve-souris. » 99 Ainsi, cette affirmation montre que même si les scientifiques peuvent étudier la physionomie, la physiologie d’une personne, sa conscience leur est inaccessible ; autrement dit, on ne peut pas savoir l’effet que cela fait d’être telle ou telle personne. Seule cette dernière peut avoir une idée claire de sa propre conscience.

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DIFFICULTES D’UNE THEORIE NATURALISTE DE LA CULTURE

De même que le projet de naturalisation de l’esprit a connu des difficultés, celui des sciences sociales comporte aussi des problèmes. Autrement dit, la démarche naturaliste dans les sciences sociales a aussi des insuffisances. Ainsi, ce programme de naturalisation du social ne dispose pas une méthode pertinente qui pourrait expliquer les phénomènes sociaux. Ceuxci sont très complexes, donc éliminer le social au profit du naturel pose problème. C’est ce que Daniel Andler essaye de monter dans son ouvrage intitulé Introduction aux sciences cognitives en disant ceci : « les phénomènes mentaux sont omniprésents, et de façon essentielle, dans les processus sociaux. Les ignorer sous prétexte que leur matérialité est douteuse ou difficile à établir, pour se consacrer à l’étude des phénomènes dont la matérialité paraît plus évidente, c’est éviter les problèmes non les résoudre ; c’est aussi renoncer à toute théorie générale. »121 L’étude de la société suppose donc une étude du mental parce que tout simplement ce sont les humains qui font la société. Le mental subsiste toujours même si les naturalistes le suppriment de leur étude. Ils doivent comprendre que l’être humain est différent des autres créatures, car il a la raison qui fait sa spécificité dans la nature. En effet, c’est la conscience qui pose encore problème au programme de naturalisation des sciences sociales étant donné qu’on ne peut pas pour le moment naturaliser l’être humain. Il y a l’esprit qui échappe parce qu’il n’est pas matériel et on note une certaine liberté en l’homme. Chaque individu est maître de ses pensées. Il n’y a pas de déterminisme, chacun est libre de penser ce qu’il veut. L’homme a conscience de ce qu’il fait, contrairement à l’animal qui agit inconsciemment et ne cherche qu’à satisfaire ses désirs. Il conceptualise, réfléchit avant d’agir. De ce fait, c’est pour mieux vivre en communauté que les humains ont mis en place des règles et des lois pour canaliser les débordements sociaux ; pour que la raison règne sur les désirs et les passions. Alors, nous pouvons dire que ceci justifie également la création des institutions sociales et celles-ci constituent le principal problème de la naturalisation des sciences de l’homme et de la société. « Les sciences sociales ont un rôle fondamental à jouer dans la vie démocratique, celui d’éclairer les citoyens. »122 La vie en société suppose un groupe, une communauté qui décide de vivre en paix, en harmonie et pour cela les individus ont mis en place des institutions qui vont les permettre de garantir la liberté de tout un chacun. Et les institutions sociales qui ont pour objet les phénomènes humains et sociaux n’ont pas les mêmes caractéristiques que les lois de la nature qui s’occupe des phénomènes physiques, naturels. Ainsi, vouloir étudier ces faits sociaux à l’image des faits 121 Daniel ANDLER, Introduction aux sciences cognitives, Paris, Gallimard « Folio », 2004, p.419. 122 Op.Cit, p.213. 80 naturels pose problème parce que dans l’étude de la société, les spécialistes sociaux utilisent dans la plupart du temps des abstractions. Ces dernières s’appuient sur des idées trop métaphysiques qui n’ont rien à voir avec les faits. Elles se basent en quelque sorte sur des concepts qui n’entrent pas dans des relations causales. Pour bien mesurer la spécificité du social par rapport au naturel, il faut bien penser à la différence qui existe entre l’humain et le reste des êtres. Ceci dit, les naturalistes considèrent l’homme comme étant un élément de la nature et suite à cela il peut bien être l’objet d’une étude scientifique. Nous pouvons dire que la culture est ce qui justifie l’humanité de l’homme car la nature inscrit ce dernier dans la sphère animale. Autrement dit, c’est par la culture que l’homme s’humanise et que la nature traduit la part d’animalité. L’être humain est composé donc de deux aspects ; c’est-à-dire il a une double dimension : c’est un être naturel et culturel en même temps. Mais la nature et la culture se complètent pour qu’on puisse parler d’un être humain véritable. Il se forme par la culture et celle-ci vient s’ajouter à la nature pour lui permettre de tendre vers la perfection. Dans ce cas, il y a un processus d’humanisation voire de socialisation et ceci n’est pas possible sans la culture. Cette dernière est ce qui permet à l’être humain de se distinguer des animaux, elle est la condition sine qua non de vivre en communauté, en groupe. Les individus partagent certaines pratiques, des représentations grâce à la culture et il y a la prohibition de l’inceste que toutes les sociétés pratiquent parce que l’interdiction de l’inceste est l’élément fondateur de la culture en général. S’il en est ainsi, existe-t-il une nature humaine en dehors de la culture ? En sachant que l’homme vit et évolue dans la société, donc réfléchir sur la réalité humaine garde toute sa pertinence. Nous pouvons mentionner que la culture est ce qui caractérise l’homme mais elle entretient une relation étroite avec la nature. C’est la culture qui définit l’homme alors nous ne parlerons pas de nature humaine sans faire allusion à la culture elle-même. Il est impossible d’étudier et de caractériser l’humain en dehors de la culture, en dehors de la société. Malgré ce problème de la nature humaine, les naturalistes ont toujours le désir d’étudier l’humain uniquement sous l’angle de la nature, ils ne se préoccupent seulement de la partie naturelle que l’homme partage avec les autres créatures. Ils ne veulent en aucune manière se prononcer sur ce qui fait le propre et la dignité de l’homme. Dès lors, est-ce que la constitution biologique, c’est-à-dire l’hérédité peut-elle permettre de caractériser l’homme en tant que membre de l’espèce humaine ?

Table des matières

SOMMAIRE
INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE : LE NATURALISME ET LE PROJET DE NATURALISATION DES SCIENCES SOCIALES
CHAPITRE PREMIER : LA NATURALISATION DE L’ESPRIT
CHAPITRE II : L’EPIDEMIOLOGIE DES REPRESENTATIONS
CHAPITRE III : LES REPRESENTATIONS CULTURELLES
DEUXIEME PARTIE : LES LIMITES DU PROGRAMME DE NATURALISATION
CHAPITRE PREMIER : L’IRREDUCTIBILITE DU MENTAL AU CEREBRAL : LA CONSCIENCE EN QUESTION
CHAPITRE II : DIFFICULTES D’UNE THEORIE NATURALISTE DE LA CULTURE
CHAPITRE III : LA NATURALISATION A L’EPREUVE DE L’ETHIQUE
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
TABLE DES MATIERES

 

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