Cycle de vie d’un manteau neigeux

Cycle de vie d’un manteau neigeux

Cryosphère et cycle de l’eau 

Confinée essentiellement aux régions de moyennes et hautes latitudes, la cryosphère terrestre consiste en la surface du globe pour laquelle de l’eau est stockée sous forme solide pendant au moins une partie de l’année (Barry & Gan, 2011). Bien que les manteaux neigeux représentent moins de 0,1% de la masse d’eau contenue dans la cryosphère, leur superficie s’étend jusqu’à 33% de la surface terrestre de l’hémisphère nord entre novembre et avril (Lemke et al., 2007), pour une étendue maximale moyenne de 46 millions de kilomètres carrés (Goodison & Walker, 1993). La présence et l’accumulation de précipitations solides dans une région pendant une partie de l’année dépendent de la latitude, l’altitude, la présence de grandes surfaces d’eau et la circulation atmosphérique régionale (McKay & Gray, 1981).

Les manteaux neigeux saisonniers ont un impact dans plusieurs domaines socio-économiques tels que la gestion des ressources hydriques, l’agriculture et la surveillance des crues printanières (Barnett & Lettenmaier, 2005 ; Changnon & Changnon, 2006). Dans les climats froids et humides, les chutes de neige jouent un rôle majeur dans le cycle hydrologique. Au fil de l’hiver, l’eau s’accumule sous forme solide. L’arrêt ou la diminution subséquente du ruissellement cause alors un étiage hivernal. Lorsque la saison de fonte arrive, l’eau est relâchée rapidement dans le cycle de l’eau, entraînant une augmentation rapide du débit hydrologique des rivières en aval (Anctil, Rousselle & Lauzon, 2012). Ce phénomène est souvent responsable du débordement de rivières, de la montée du niveau d’eau des lacs et d’inondations des riverains. La crue correspond à une importante partie du débit volumétrique annuel et il s’agit d’un événement majeur en gestion des inondations et en production d’énergie hydro-électrique (Turcotte, Lacombe, Dimnik, & Villeneuve, 2004).

Précipitations solides 

L’eau a la particularité d’être présente sur la Terre dans les phases solide, liquide et gazeuse. Les phases sont séparées essentiellement en fonction des conditions de pressions et de température  . Pour des conditions de pression atmosphérique normale au sol (101,3 kPa), l’interface entre la phase solide et la phase liquide a lieu à 0°C. Lorsqu’une molécule d’eau passe d’une phase à une autre, il y a un transfert d’énergie qui est appelé la chaleur latente. Par exemple, dans le cas de la glace, la chaleur latente de fusion est de 334 kJ/kg. Par comparaison, l’énergie nécessaire pour faire augmenter la température de l’eau de 1°C, sans changement de phase, est de 4,18 kJ/kg (Turcotte, Fortin, Fortin, Fortin, & Villeneuve, 2007).

La neige qui tombe sous forme de précipitations solides se forme en atmosphère dans des milieux sursaturés en eau. Il s’agit d’un phénomène dynamique et complexe pendant lequel la vapeur d’eau se solidifie en cristaux de glace (Lin et al, 1983). La présence d’un agent externe, souvent des poussières du sol qui sont entrainées en altitude par le vent, peut servir de nucléus au cristal et initialiser sa formation. La condensation de vapeur sur les cristaux est possible grâce au processus de Bergeron (Schemenauer, Berry & Maxwell, 1981 ; Lin et al, 1983).

La croissance des cristaux de glace se fait en suivant des patrons spécifiques selon la température et le degré de sursaturation. Quand le degré de sursaturation est élevé, la condensation se fait en favorisant la formation de cristaux ayant des faciès dendritiques (Kobayashi, 1961). Il existe d’ailleurs une multitude de faciès cristallins de neige (Knight & Knight, 1973). La diversité des formes possibles des cristaux de neige a donné lieu à plusieurs systèmes de classifications traditionnels (Magono & Lee, 1966 ; Mason, 1971) et modernes (Kikuchi, Kameda, Higuchi, & Yamashita, 2013). La morphologie des cristaux a une influence importante sur les propriétés physiques de la neige qui peut se refléter jusque dans la dynamique du manteau neigeux (Bartelt & von Moos, 2000).

Aussi, les précipitations peuvent contenir à la fois les phases liquides et solides. Le ratio entre les deux phases est une relation complexe qui dépend de plusieurs propriétés, la température n’étant pas un indicateur absolu (Sims & Liu, 2015).

Densification et métamorphisme

Lorsque les flocons de neige sont entraînés par gravité et atteignent le sol, ils s’accumulent et forment une couche de neige. La densité de la neige fraîchement tombée est généralement très faible et correspond à environ à un dixième de la densité de la glace ou de l’eau. La raison est que la morphologie des flocons crée une structure en charpente et laisse un important volume de vide (DeWalle & Rango, 2008). La densité de la neige fraîchement tombée peut varier entre 10 et 350 kg/m3 , mais se situe généralement entre 50 et 100 kg/m3 (Judson & Doesken, 2000). La densité des couches de neige augmente selon leur âge et de leur position verticale dans le manteau neigeux. La densification de la neige est une propriété importante en hydrologie de la neige parce qu’elle influence les propriétés physiques du manteau neigeux (Sturm et al., 2010; Bormann, Westra, Evans, & McCabe, 2013). Ce phénomène est principalement causé par deux processus : la compaction due au poids des couches supérieures et le métamorphisme destructif (Brun et al., 2012).

Le poids de la neige provoque la compaction des couches inférieures. Celles-ci sont compactées en raison de l’effet de contraintes exercées par le poids de la neige sus-jacente. Il existe plusieurs mécanismes structurels responsables de la compaction. Par exemple, les ponts qui servent d’interface entre les grains peuvent changer sous l’effet des contraintes et se réorganiser de manière à créer une matrice plus dense (Shapiro, Johnson, Sturm, & Blaisdell, 1997). Aussi, la contrainte exercée sur les grains peut causer leur fracture, modifiant la distribution de leur taille et contribuant ainsi à la compaction du manteau neigeux (Kobayashi, 1967).

Quant au métamorphisme, il s’agit du changement de la structure moléculaire d’un ou plusieurs matériaux pour être en équilibre thermodynamique avec leur environnement. Dans un manteau neigeux, la morphologie des cristaux de neige est constamment en train de changer par des échanges avec les phases fluides (Colbeck, 1982). Selon les conditions d’humidité et de gradient de température, deux types fondamentaux existent : destructif et constructif. Le métamorphisme destructif fait arrondir les cristaux, ce qui résulte en une diminution de la porosité et une densification de la neige. Inversement, le métamorphisme constructif favorise la formation de faciès cristallins et fait augmenter la porosité de la neige (Hall, Chang, & Foster, 1986).

Le métamorphisme destructif est le facteur dominant dans la densification du manteau neigeux pendant son cycle de vie, dont la densité peut atteindre jusqu’à 600 kg/m3 à la fin de la période de fonte (McClung and Schaerer 1993). Le métamorphisme destructif a aussi une influence sur l’albédo de la neige, dont la valeur diminue selon l’âge de la couche (Pellicciotti et al., 2005).

Le métamorphisme destructif sec est le type de métamorphisme prédominant lorsque la neige est fraîche et vient juste de tomber. La structure convexe et dendritique des cristaux est instable au niveau du sol, donc éphémère, car les cristaux formés en haute altitude ne sont pas en équilibre thermodynamique avec les conditions au sol. La présence d’un différentiel de pression de vapeur entre les différentes parties des cristaux génère un flux de vapeur des parties convexes vers les parties concaves proches du centre du grain (Colbeck, 1980, Flanner & Zender, 2006). Cette forme est thermodynamiquement plus stable, car la surface totale de neige est réduite, faisant diminuer l’énergie libre en surface (Colbeck, 1987). Cela cause un arrondissement des cristaux et permet leur compaction. Ce phénomène est une cause importante de densification des couches dans les premiers jours après leur formation.

Le métamorphisme destructif humide a lieu lorsqu’il y a présence d’eau dans le manteau neigeux. La température de fonte est légèrement plus haute pour les petits grains (Colbeck, 1973). Ainsi, l’eau contenue dans le manteau neigeux fournit de l’énergie pour faire fondre les grains les plus petits. Pour de mêmes conditions, il peut y avoir condensation d’eau sur les grains les plus gros. Ainsi, il y a un transfert de masse pour lequel les plus gros grains croissent en cannibalisant les petits grains (Brun, 1989 ; Tonboe, 2005). La différence de température de fonte fait aussi fondre les ponts entre les grains, ce qui fait augmenter la densité et aussi la solidité du manteau neigeux (Colbeck, 1972). Ce type métamorphisme est accentué par les variations diurnales de température, faisait varier la quantité d’eau contenue dans le manteau neigeux. Plus il y a d’eau dans la neige, plus les grains vont croître rapidement, et la vitesse de croissance augmente exponentiellement avec le contenu en eau de la neige (Brun, 1989).

Le métamorphisme constructif est possible lorsqu’il y a un gradient de température dans le manteau neigeux (Armstrong, 1980). La présence de ce gradient fait sublimer une partie des grains de neige tandis qu’une structure cristalline se développe dans la partie opposée (Akitaya, 1974. Hall et al., 1986.). Ce phénomène est surtout localisé à la base du manteau neigeux et conduit à la formation de couches de givre (depth hoar). Son importance est plus marquée dans les climats qui favorisent les gradients élevés, tels que les milieux arctiques et alpins (Dadic, Schneebeli, Lehning, Hutterli, & Ohmura, 2008 ; Pinzer, Schneebeli, & Kaempfer, 2012). Ce type de métamorphisme ne contribue pas à la densification du manteau neigeux.

Table des matières

INTRODUCTION
CHAPITRE 1 REVUE DE LITTÉRATURE
1.1 Cycle de vie d’un manteau neigeux
1.1.1 Cryosphère et cycle de l’eau
1.1.2 Précipitations solides
1.1.3 Densification et métamorphisme
1.1.4 Bilan d’énergie et bilan de masse
1.1.5 Influence de la canopée
1.1.6 Hétérogénéité et variabilité spatiale du manteau neigeux
1.1.6.1 Variabilité à l’échelle régionale
1.1.6.2 Variabilité à l’échelle locale
1.1.6.3 Variabilité à l’échelle sous-locale
1.2 Nivométrie
1.2.1 Importance et défis de la nivométrie
1.2.2 Relevés manuels
1.2.3 Mesure de la hauteur de neige par ondes ultrasoniques
1.2.4 Mesure de l’EEN par atténuation des rayons gamma
1.2.4.1 Historique et théorie
1.2.4.2 GMON / CS725
1.3 Modélisation
1.3.1 Modélisation du manteau neigeux
1.3.2 Cemaneige
1.3.3 Hydrotel
1.3.4 ETI
1.3.5 Données météorologique
1.3.2.1 Type d’instruments
1.3.2.2 Sous-captage des précipitations solides
CHAPITRE 2 RÉGION À L’ÉTUDE
CHAPITRE 3 UTILISATION DE DONNÉES DE GMON POUR LA MODÉLISATION D’ÉQUIVALENT EN EAU DE LA NEIGE
3.1 Résumé
3.2 Introduction
3.3 Site
3.4 Qualité et traitement des données brutes de GMON
3.4.1 Inventaire
3.4.2 Qualité des données
3.4.2.1 Données manquantes
3.4.2.2 Valeurs aberrantes
3.4.2.3 Statistique des anomalies
3.4.3 Correction des anomalies dans les données brutes
3.4.3.1 Méthode
3.4.3.2 Résultats
3.4.4 Discussion sur la correction des anomalies
3.5 Exactitude de la mesure
3.5.1 Mesures de hauteur de neige et relevés manuels d’EEN
3.5.2 Méthode d’analyse
3.5.2.1 SR-50 et GMON
3.5.2.2 Relevés manuels et GMON
3.5.3 Résultats
3.5.3.1 SR-50 et GMON
3.5.3.2 Relevés manuels et GMON
3.5.4 Discussion sur l’exactitude de la mesure
3.6 Données météorologiques
3.6.1 Inventaire des données disponibles
3.6.2 Qualité des données brutes
3.6.3 Traitement des données
3.7 Modélisation
3.7.1 But de la modélisation
3.7.2 Méthode
3.7.2.1 Choix des modèles
3.7.2.2 Calage
3.7.2.3 Utilisation des modèles aux stations possédant les données météorologiques complètes
3.7.3 Résultats
3.7.4 Discussion
3.8 Recommandations et conclusion
CONCLUSION

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