EFFET DES VARIATIONS DE DENSITÉ DE PEUPLIERS FAUXTREMBLE SUR LA CROISSANCE DE L’ÉPINETTE NOIRE
L’aménagement mixte des forêts présente certains avantages en comparaison avec les monocultures. Parmi ces derniers, la protection contre des épidémies d’insectes et de maladies (Su et al., 1996; Cappucino et al., 1998), la résistance au vent, aux dommages et à d’autres stress abiotiques, pour la réduction de la croissance compensatoire (i.e., si l’une des espèces succombe à un facteur, les autres pourraient survivre et répondre avec une augmentation de croissance) ainsi que pour la conservation de l’esthétique du paysage et des espèces animales et végétales indigènes (Kelty, 1992) ont été observés. Man et Lieffers (1999) ont d’ailleurs spéculé qu’un peuplement composé de feuillus intolérants à l’ombre (peuplier, bouleau) et de conifères tolérants (sapin, épinette) serait plus productif au cours d’une rotation qu’un peuplement pur de chaque espèce. Selon ces auteurs, le rendement supérieur des peuplements mixtes serait attribuable à un partage des ressources entre les arbres découlant de leurs dissemblances en termes de hauteur, de forme, d’efficacité photosynthétique foliaire, de phénologie (comme le temps de production de feuillage et la durée de l’activité photosynthétique) et de profondeur de distribution du système racinaire dans le sol (Ellem et al., 1970; Hill et Shimamato, 1973; Trenbath et Harper, 1973).
En possédant ces différences physiologiques, qui témoignent d’une occupation de niches écologiques distinctes, les espèces peuvent cohabiter dans le même milieu en réduisant la compétition interspécifique et utiliser les ressources de leur habitat plus efficacement que dans une monoculture (Vandermeer, 1989). À première vue, le peuplier faux-tremble (Populus tremuloides Michx) ne semble pas posséder des caractéristiques compatibles avec celles de 1′ épinette noire Pi ce a mariana (Mill.) BSP) pour former des peuplements mixtes plus productifs que des peuplements purs du conifère. Le peuplier est tout d’abord considéré comme une essence très bien adaptée aux conditions après perturbations. Son caractère très envahissant lors de la colonisation d’un milieu ouvert et sa croissance relativement rapide limitent celle d’autres espèces d’arbres à ses côtés (Peterson et Peterson, 1992), en particulier les essences à croissance lente comme l’épinette noire. L’envahissement qu’il fait alors des parterres de coupe nécessite des opérations de dégagement des jeunes conifères, comme l’éclaircie précommerciale, pour réduire la compétition qu’il occasionne aux essences résineuses et empêcher une diminution de leur productivité dans le peuplement.
Certains faits laissent par contre croire que les deux espèces pourraient cohabiter dans le même peuplement d’une façon efficace. Les écarts de leur tolérance à l’ombre et de leurs phénologies suggèrent l’utilisation de niches écologiques différentes par les deux espèces. En effet, l’épinette noire garde son feuillage toute l’année et peut bénéficier de l’absence de celui du peuplier au printemps et à l’automne pour accomplir une meilleure croissance résultant de l’absence ou la diminution de la compétition pour la lumière (Constabel et Lieffers, 1996), l’eau et les nutriments. Il semblerait également que les peuplements dominés par des espèces intolérantes (caduques ou conifères) transmettent plus de lumière que ceux dominés par des espèces conifères tolérantes (Messier et al., 1998). De plus, Strong et La Roi (1983) ont noté une distinction de la répartition verticale des racines fines des deux espèces dans le sol. Les racines du conifère seraient peu volumineuses et distribuées à la surface du sol en comparaison avec celles du feuillu possédant un volume plus important et s’enfonçant plus profondément dans la terre.
Outre leurs niches écologiques distinctes, qm diminuent la compétition interspécifique, il pourrait exister des mécanismes de facilitation entre les deux espèces, c’est-à-dire que la présence du peuplier pourrait positivement affecter la croissance de l’épinette (Vandermeer, 1989). Les peuplements d’épinettes noires sont d’ailleurs reconnus pour leur faible taux de décomposition de la matière organique immobilisant les éléments nutritifs et diminuant le pH du sol forestier (Alban, 1982). L’épaisse couche de matière organique, principalement composée de sphaignes, qui se développe en absence de feux de forêts, résulte de la litière acide que génèrent ces peuplements et dont les propriétés chimiques représentent une barrière à la décomposition microbienne (Flannagan et Van Cleve, 1983). Il est alors suggéré que la présence de feuillus dans un peuplement de conifères pourrait palier à cette problématique.
Plan d’échantillonnage
Trois blocs expérimentaux ont été localisés, à l’été 2003, dans l’unité d’aménagement 85-51 de la compagnie Tembec sur des superficies dominées par l’épinette noire, mais incluant une présence hétérogène de peupliers faux-tremble (PET), possédant un type de dépôt (argile), de drainage (mésique) (Brais et Camiré, 1992), une pente (faible) et un temps depuis la dernière perturbation comparables. Le premier et le troisième bloc, situés dans le canton Estrades, constituent des peuplements en régénération naturelle issus d’une coupe totale ayant eu lieu en 1986. Le dernier feu survenu dans le secteur date de 1916. De son côté, le peuplement du deuxième bloc se trouve dans le canton Bacon. La végétation d’origine y a subis une coupe totale en 1987 ainsi qu’une préparation de terrain par scarifiage et un reboisement en épinette noire en 1988.
Chaque bloc, d’une superficie d’environ trois hectares, contient 15 parcelles circulaires d’échantillonnage de 7m de rayon. Un traitement ou un gradient imposé a été associé à chacune d’elles par un tirage aléatoire. Ainsi, trois parcelles par bloc se sont vues attribuer les traitements soit de témoin (aucun traitement), 0 tige de PET/ha, de 65 tiges de PET/ha, de 130 tiges de PET/ha ou de 195 tiges de PET/ha (annexe 1). Le nombre de peupliers résiduels dans la parcelle était obtenu par une éclaircie précommerciale effectuée en septembre 2003. Avant l’exécution des travaux sylvicoles, chaque tige d’essence commerciale a été cartographiée dans chacune des 45 placettes circulaires à l’aide d’un ruban à mesurer et d’une boussole. Le diamètre à hauteur de poitrine (DHP) et la hauteur de chaque tige ont été mesurés et notés. La hauteur était obtenue avec un ruban gradué ou un clinomètre selon la hauteur de 1′ arbre. Le gradient naturel de présence du peuplier faux-tremble avant le traitement dans chacune des parcelles était donc connu de cette façon. Ce même travail fût exécuté à nouveau l’été suivant pour visualiser la disposition des arbres résiduels dans les parcelles suite à 1′ éclaircie précommerciale (annexe 2).
Analyses statistiques Indice de performance
Les mesures de croissance apicale correspondant aux années 2004 et 2005 ont été additionnées pour chaque arbre et serviront à décrire les performances de croissance après traitement. De même, les croissances apicales des années 2002 et 2003 ont été additionnées afin de décrire les performances de croissance avant traitement. L’indice de performance de croissance est calculé en comparant la croissance de chaque arbre avec celle obtenue s’il avait crût selon un modèle optimal de croissance développé à partir des meilleurs arbres soit ceux appartenant au 70e percentile et plus d’élongation de chaque classe de taille des tiges (< de 0,50m, 0,5lm-0,99m, lm- 1,24m, 1,25m-1,49m, 1,50m-1,99m, 2m-2,49m et 2,5m et plus) tous blocs d’échantillonnage confondus (annexe 3). La taille de tiges était celles précédant les années de croissance soit la fin 2003 pour les performances enregistrées après traitement et le début 2002 pour les croissances avant traitement. La moyenne des trois meilleures performances de croissance par placette était finalement calculée pour n’obtenir qu’une seule valeur par parcelle expérimentale.
Croissance del ‘épinette selon un gradient naturel de présence de peupliers Afin de contrôler pour la variabilité liée au microenvironnement sur la croissance, une régression multiple a tout d’abord été ajustée entre l’indice de performance décrit plus haut et les variables du sol minéral (carbone et azote,% d’argile et% de limon). Le choix des variables environnementales s’est fait à partir des données obtenues suite aux diverses analyses de caractérisation du sol qui sont indépendantes de la présence de peupliers. Une régression pas à pas a ensuite été effectuée pour inclure la surface terrière de peupliers (m2 / ha) dans le modèle. Croissance de l’épinette noire selon un gradient de rétention de peupliers Le modèle précédemment obtenu de l’indice de performance avant traitement en fonction des données environnementales a été utilisé comme indice de qualité de site pour contrôler la variabilité liée au microenvironnement. Cet indice a alors servi de covariable dans une analyse de variance (ANOV A) mettant en relation l’indice de performance de croissance après traitement et 1’ application ou non du traitement. Les analyses statistiques ont été exécutées avec le logiciel SAS (SAS Institute Inc., Cary, N.C.) et le seuil de signification a été fixé à 0,05.
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