CRITIQUE DE L’UNIVERSALISME DEMOCRATIQUE

CRITIQUE DE L’UNIVERSALISME DEMOCRATIQUE

L’ENCHANTEMENT DEMOCRATIQUE ENTRE TERMINOLOGIES ET PROPAGANDES IDEOLOGIQUES 

Démocratie, mondialisation et communication Engager une réflexion autour du « succès » quasi universel du concept démocratie, dans son rapport aux enjeux actuels de la terminologie, est une entreprise qui implique une prise en charge nécessaire de phénomènes au centre aujourd’hui de la mondialisation. Il s’agit, pour l’essentiel, des défis et enjeux des technologies de communication, des éventuels concurrences à ce sujet entre les nations, de la question du langage et celle de la propagande des idéologies politiques. La démocratie fait sans doute partie des concepts dont le rayonnement peut être mis en corrélation avec les prouesses de la Communication. Cela peut nous amener à penser que, dans la mondialisation, la démocratie est le concept stratégique pour désigner la représentation la plus parfaite et admissible en politique. Mais, sous un angle critique et philosophique, la terminologie, en tant qu’une entreprise de désignation technique des choses, engage également la question du sens idéologique des mots. Pour reprendre la formule de Ferdinand de Saussure, nous dirons, qu’{ travers le fait d’interroger la terminologie, c’est le « caractère arbitraire du langage » qui est en jeu. L’usage théorique de la démocratie ne saurait faire exception alors dans l’analyse du fait politique. Langage, parole, message, discours et technique constituent la matière de la communication mais aussi la visée de toute idéologie au cœur de la mondialisation. La globalisation c’est d’abord la communication dans la mesure où son projet ne peut se réaliser sans l’implication effective de celle-ci. La question fondamentale qu’on doit se poser a priori est la suivante : la révolution des communications ne fait-elle pas de la démocratie une pure idéologie ? Dans la mondialisation, la communication est devenue incontournable et transversale à la fois ; étant au centre des stratégies économiques, sociales, politiques, culturelles et même militaires, elle suscite de vrais enjeux. La mondialisation est marquée par l’éclatement et la performance extrême des 89 moyens de communication. Dans cet élan, le langage, en tant qu’instrument de communication, trouve une centralité plus accrue dans la propagande des idéologies tous azimuts. L’étude des terminologies a, ainsi, un enjeu particulier d’abord parce que l’un des modes particuliers de l’expression de celles-ci c’est leur dimension communicative. Or, toute communication porte toujours un message qui s’identifie { des principes. C’est pourquoi, le choc ou le dialogue des terminologies engage inévitablement la confrontation de conceptions différentes, particulièrement dans le champ politique. L’évolution et l’« acceptation » du terme démocratie { l’échelle universelle comportent un intérêt philosophique de taille. Relativement à son sens et à son rapport au langage, la démocratie peut-elle être enfermée dans une terminologie ? En d’autres termes, l’usage de la terminologie peut-il se faire dans une neutralité idéologique, étant entendu que toute entreprise de donation d’un sens promeut, d’une certaine manière, une prise de position subjective ? La neutralité, si elle doit se réaliser en démocratie, elle devrait être uniquement cherchée dans les modalités de son application, c’est-à-dire, par exemple, dans la répartition égale des possibilités de choix d’un candidat lors des scrutins électoraux et dans la relation de chaque citoyen aux droits. Cependant, quand il s’agit de donner un sens au terme démocratie, ou de s’entendre sur les orientations qui la fondent, les subjectivités ne peuvent que s’affronter, { moins d’un compromis. Mais, la neutralité semble aussi être de mise paradoxalement lorsqu’on note le succès grandissant des systèmes démocratiques. C’est peut-être, dans cette aptitude pour la démocratie à s’approcher de la neutralité par la mise en participation des intérêts de la majorité que la démocratie doit son succès comparé aux autres formes de gouvernements politiques telles que la monarchie, l’oligarchie, la dynastie… Néanmoins, cette neutralité ne met pas la démocratie à l’abri des soupçons. Dans une logique de décrispation des conflits ou des confrontations éventuelles entre les subjectivités dans la détermination des sens à donner à la démocratie, on devrait donner un autre sens au mot neutralité, différemment de son sens habituel, de recherche d’une équidistance par rapport { deux ou plusieurs 90 objets. En démocratie, la neutralité peut avoir une signification plus communicative, c’est-à-dire en termes de tolérance de ce qui fait la différence entre les subjectivités. Mais cela n’enlève en rien la prétention des idéologies { une objectivité absolue. La reconnaissance de l’égal traitement vis-à-vis des subjectivités en démocratie, traduit, en effet et en même temps, l’égale possibilité de la faillibilité de toutes les subjectivités ; et cette conscience permet justement d’établir l’équilibre social qui, { son tour, n’est qu’une quête permanente de compréhension entre les subjectivités. De l’avis d’Habermas, la quête d’un sens pour la démocratie, ne peut se faire que dans la possibilité pour les subjectivités de se remettre en cause. C’est pourquoi, la communion recherchée par la démocratie dans le cadre public n’est pas nécessairement contradiction aux objections que soulève une subjectivité quelconque. Tout est question de reconnaissance. Il affirme en ce sens que : « Concept et intuition, construction et découverte, interprétation et expérience sont des couples qui renvoient { deux aspects qu’il est impossible d’isoler l’un de l’autre dans le processus de connaissance. Les observations expérimentales sont prestructurées, afin de réussir, par le choix d’un agencement théorique défini. Elles ne peuvent jouer leur rôle d’instance de contrôle que dans la mesure où elles peuvent être prises en compte comme des arguments qui seront défendus face à des contradicteurs » 

Postmodernisme, propagande idéologique et expansion de la démocratie libérale

L’analyse du courant postmoderniste dans son rapport complexe { la démocratie permet de voir les glissements qui se seront opérés au niveau du concept démocratie pour l’élever au rang d’universaux quant { son sens et { son intérêt universel. Il importe de souligner d’abord que la démocratie moderne et celle postmoderne n’ont pas eu les mêmes portées en termes de fondements idéologiques puis d’élargissement théorique. Au même titre que la postmodernité dans son rapport de rupture à la pensée politique moderne, celle-ci constituait aussi une rupture radicale avec le monde politique traditionnel –l’Ancien Régime-. La démocratie moderne portée par les Lumières avait été surtout, du point de vue révolutionnaire, une affaire profondément liée { l’histoire européenne marquée par une quête de liberté et une volonté de rupture avec l’ancien régime dominé par la monarchie, l’ordre ecclésiastique et la pensée orthodoxe de la Scholastique. Il y a donc une idéologie fondatrice de la démocratie moderne, qui est, à la fois, aux antipodes des convictions de l’Ancien Régime et de celles du postmodernisme. Selon Mahamadé Savadogo : « La démocratie au sens moderne de la notion s’institue en réaction contre cette vision traditionnelle du corps politique. Elle s’édifie sur le principe de l’égalité de tous les hommes sans exception. La démocratie telle qu’elle est comprise par les modernes apparaît ainsi comme un idéal social, un projet de société, avant d’être une forme de gouvernement. L’inégalité que la vision traditionaliste du monde développe entre les individus n’est pas seulement obstacle { leur organisation dans l’État, elle est surtout ressentie comme une injustice, une atteinte au droit de l’homme »92. Ensuite, bien que portée par une mondialisation galopante, depuis le XVIème siècle, la démocratie moderne était plus dans une logique d’enracinement idéologique réconfortée par la laïcisation accrue du pouvoir dans l’Europe des 92 La parole et la cité, op. cit. , p. 121. 105 Lumières. Elle était alors un fait collectif dans la mesure où elle fit partie des éléments pour construire un « nouveau type d’homme » autonome vis-à-vis de l’orthodoxie de l’ancien régime. L’homme moderne incarne la vraie figure de l’Aufklärung93, l’expression lumineuse du rationalisme révolutionnaire des Lumières. L’idée de moderne, dans son contenu, sonne comme une sorte de rupture vis-à-vis de l’ordre conformiste que l’Ancien Régime aurait instauré à travers, notamment, trois de ses institutions les plus fondamentales : le pouvoir ecclésiastique, l’école scholastique et l’ordre monarchique. La première cultive l’esprit de soumission, la deuxième renforce celui du conformisme et de la sclérose de la pensée, tandis que la troisième tient et contrôle la société de manière austère. Le tout formait un vrai corps politique qui a perduré sans être homogène. La démocratie moderne n’est pas, de ce point de vue idéologique, la même que celle prônée par nos nations actuelles calquée particulièrement sur la seule quête d’équilibre politique et de bonne gouvernance. La démocratie moderne est différente de la démocratie postmoderne au plan de leurs fondements idéologiques. La démocratie postmoderne, quant à elle, se distingue par le caractère universalisant de son succès, grâce { l’intensité de la mondialisation et le développement fulgurant des communications. Ces deux phénomènes la place au centre du capitalisme libéral. Le postmodernisme politique est particulièrement marqué par la crise voire la fin de l’État nation. La démocratie postmoderne constitue, à ce propos, une rupture de sens et d’interprétation de ses fondements comparée à la conception classique « commune » et restreinte. Elle est plus fragmentée avec l’accroissement de la liberté de l’individu au sein de l’État. En revanche, la modernité européenne présentait la démocratie comme une condition politique importante qu’on ne saurait séparer de l’attachement, enchanté, aux valeurs sociales communes de liberté, d’égalité et de bonheur, qui lui servent en même temps de fondements. Dans la modernité, 93 Le mot allemand Aufklärung traduit le déploiement de la rationalité, source de clarté et de lucidité, qui a prévalu pendant le XVIIIe siècle et qui a fait que cette période marque une rupture dans l’histoire de la pensée européenne. Cependant, ce courant sera accompagné des vagues de critiques de la religion et d’une aspiration aux valeurs laïques. 106 les valeurs de liberté et d’égalité étaient plus attachées { une citoyenneté commune plutôt qu’{ une liberté individuelle. Le courant postmoderne va, cependant, faire éclater ces fondements de la démocratie moderne en vantant, par exemple, un modèle de liberté et de droit désormais centré autour de l’individu et de la liberté individuelle au détriment de l’idéal moderne de « citoyenneté collective » incarné par les États nations. Mais, il va aussi créer une mentalité où les rapports entre les hommes ne sont pas forcément déterminés par la référence à des idéaux comme la « citoyenneté collective » ou « l’identité collective » { l’intérieur des États. [ partir de ce changement, les relations internationales de ces mêmes États sont fortement conditionnées, elles aussi, par la loi des marchés. L’ordre politique s’internationalise. La démocratie postmoderne promeut une forme de liberté où l’individu s’exprime de façon plus solitaire mais, paradoxalement, se trouve davantage engagé dans un « système-monde » plus accaparant et plus contraignant que l’on peut qualifier de mondialisation. La postmodernité installe la démocratie locale des États dans une « démocratie universelle » des entités d’États où le sujet postmoderne n’a pas réellement une identité politique précise. Pour être démocrate, il doit se conformer { l’ordre démocratique universel qui peut contrarier ses valeurs démocratiques locales. Nkolo Foé écrit : « Le Postmodernisme coïncide avec le projet de la mondialisation. C’est cette dernière qui cherche à transformer les hommes en mobiles, en nomades. Mais, plus généralement, la mondialisation veut créer une nouvelle nature humaine saisie comme un nœud de relations (Rorty 1990: 66). Il s’agit de l’homme sans attaches ni racines ; sans histoire collective ni véritable trajectoire personnelle. Pour le véritable sujet postmoderne, la déréliction constitue un style, un mode de vie. La dispersion et la mobilité ne sont-elles pas la condition même de la flexibilité ? […] Tel est le destin de ce sujet, « ultra-mobile, hyper- 107 malléable et indéfiniment adaptable », dans un marché essentiellement flexible » 94. L’homme postmoderne est engagé, de fait, –par un truchement permanent de la mondialisation- dans un « espace universel » de liberté qui est régulé par les chartes et les conventions des institutions internationales. Concrètement, cela signifie qu’il peut, du point de vue des valeurs, ne pas avoir raison dans la pratique individuelle de sa liberté au plan local, tandis qu’au niveau universel il peut jouir de plus de marges. Le local disparaît dans l’universel. Les projets éducatifs, en ce sens, parviennent difficilement à cerner et orienter cette nouvelle forme de « citoyenneté débordante ». Voilà justement ce qui explique le caractère complexe du lien social pour cet individu. De l’avis de Nkolo Foé : « C’est dans ce cadre que l’individu a un intérêt stratégique { afficher une identité provisoire et éphémère. Aussi, dans la rhétorique postmoderne, s’idéalise-t-il en « nomade » ou en « métisse », tout en célébrant « comme un « hybride » en mouvement » »95. Deux synthèses s’imposent : la démocratie postmoderne, parce qu’étant portée par la mondialisation, dépasse le cadre local, l’individu et s’ouvre { un universel qui fixe son sens d’une part, et se donne, d’autre part, comme un corollaire de la mondialisation, c’est-à-dire comme la mondialisation libérale. L’instance qui semble la plus crédible parmi les institutions internationales, l’ONU, érige la démocratie en principe incontournable. Dans le concert des peuples, accepter l’« ordre universel » entre les nations, en toute logique revient à accepter la démocratie, c’est-à-dire aussi accepter la mondialisation. C’est pourquoi le caractère dogmatique du terme démocratie, dans sa version postmoderne, est une évidence qui paradoxalement met { l’épreuve le principe démocratique de diversité et de contradiction.

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Table des matières

INTRODUCTION GÉNÉRALE
PREMIERE PARTIE L’UNIVERSALISME DEMOCRATIQUE EN QUESTION
INTRODUCTION
I. UNIVERSALISME DEMOCRATIQUE ET MONDIALISATION
I. 1. Le rapport entre l’universalisme démocratique, la mondialisation et le capitalisme historique
I. 2. De la démocratie inclusive à la démocratie exclusive : la transformation de la démocratie en idéologie
I. 3. La démocratie { l’épreuve des lois du marché
II. LES FONDEMENTS MORAUX ET PHILOSOPHIQUES DE LA DÉMOCRATIE ET LE
PROBLÈME DE LEUR TRANSMISSION
II. 1. Un modèle démocratique est-il transposable ?
II. 3. L’universalisme démocratique et l’universalisation du droit : le paradoxe des institutions internationales
CONCLUSION
DEUXIEME PARTIE :  UNIVERSALISME DEMOCRATIQUE, PROPAGANDE IDEOLOGIQUE ET TERRORISME
INTRODUCTION
I. L’ENCHANTEMENT DEMOCRATIQUE ENTRE TERMINOLOGIES ET PROPAGANDES IDEOLOGIQUES
I. 1. Démocratie, mondialisation et communication
I. 2. Postmodernisme, propagande idéologique et expansion de la démocratie libérale
I. 3. L’espace public entre langage démocratique et contradictions
II. TERRORISME ET DEMOCRATIE : APPROCHE CRITIQUE D’UN TERME CONTROVERSE
II. 1. La définition du terrorisme : une psychanalyse de la violence
II. 2. Terrorisme et expression des identités religieuses
II. 3. La démocratie et l’éradication du terrorisme : pour une nouvelle approche communicative
CONCLUSION
TROISIEME PARTIE :  LA REINVENTION DE LA DEMOCRATIE POUR UNE SOLUTION AU CHOC DES
CULTURES
INTRODUCTION
I. LES IDEOLOGIES POLITIQUES DANS LES ESPACES CULTURELS : QUEL DEFI POUR LA DEMOCRATIE ?
I. 1. La démocratie libérale et les autres idéologies politico-culturelles : une mondialisation { l’épreuve des particularismes
I. 2. Les idéologies politiques et religieuses face à la laïcisation de la démocratie
I. 3. Le paradoxe d’une démocratie en façade portée par les seules élites
II. DE LA CRITIQUE À LA RECHERCHE DE SOLUTION À LA CRISE DÉMOCRATIQUE
II. 1. La critique historique contre la démocratie
II. 2. Le rapport entre l’universalisme démocratique et le postmodernisme
II. 3. Quel nouveau paradigme pour le dépassement de la crise démocratique ?

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