Critères de prédiction de localisations sous forme de modes présentant des discontinuités du gradient des vitesses
Au cours des deux précédents chapitres, les conditions d’apparition des phénomènes de striction diffuse, de striction localisée et de certains modes de localisation continus ont été précisées, la striction localisée étant principalement observée dans le cas de matériaux ductiles. Une autre limite de formabilité peut être donnée par la localisation des déformations (ou de l’endommagement) sous forme de bandes présentant des discontinuités du gradient des vitesses. Dans le cas de matériaux ne présentant pas un comportement ductile marqué, ce phénomène précurseur de la rupture est plus couramment observé que celui de striction localisée. L’objectif de ce chapitre est de préciser les conditions d’apparition de localisation des déformations sous forme de telles bandes. Dans le cas de matériaux indépendants du temps physique, la prévision du changement de mode de déformation vers un mode présentant des discontinuités peut être menée par des méthodes basées sur l’analyse de bifurcations, ayant débouchées sur la formulation du Critère de perte d’Ellipticité (Rudnicki et Rice 1975; Rice 1976) et sur la condition plus conservative de Perte d’Ellipticité Forte (Bigoni et Hueckel 1991). La présentation de ces critères fera l’objet de la première partie de ce chapitre. Une seconde catégorie de critères, développée pour des matériaux tant élasto-plastiques qu’élasto-viscoplastiques est constituée par la méthode multizones, basée sur la comparaison de l’évolution des propriétés mécaniques d’une zone saine avec celles d’une zone comportant un défaut initial. Le critère de Marciniak – Kuczynski est sans conteste le plus populaire de ces critères (Marciniak et Kuczyński 1967). Sa formulation classique repose sur l’existence dans une tôle d’une bande plane présentant initialement un défaut d’épaisseur ; elle sera détaillée dans ce chapitre. Une reformulation originale de ce critère dans le cadre de bandes de défaut tridimensionnelles sera ensuite proposée, en vue d’établir un lien théorique entre ce critère et le Critère de Perte d’Ellipticité (Altmeyer et al. 2009). L’analyse linéaire de stabilité, applicable pour des classes de matériaux élasto-plastiques mais aussi élasto-viscoplastiques constitue une alternative à l’utilisation des méthodes d’analyse de bifurcation. Après une présentation des bases théoriques de la méthode, celle-ci sera appliquée dans le cas d’un comportement élasto-plastique. Un rapprochement entre cette méthode et celle basée sur l’analyse de bifurcation sera finalement souligné.
Méthode d’analyse de bifurcation
Lors de l’utilisation de critères de localisation sous forme de bandes basés sur l’analyse de bifurcation, la localisation dans un solide soumis à un trajet de chargement donné est vue comme une évolution brutale d’un état quasi-homogène du gradient des vitesses vers un état hétérogène présentant des plans de discontinuité. La déformation se concentre alors dans des Le champ des vitesses devant rester continu à travers la surface de localisation, la discontinuité de son gradient doit avoir une forme particulière qui vérifie la condition cinématique de compatibilité de Hadamard (Hadamard 1903). Il doit donc exister un vecteur non nul c représentant les vitesses relatives de points situés de part et d’autre des plans de discontinuité du gradient des vitesses de sorte que : avec FB et F les gradients lagrangiens de la vitesse à l’intérieur et à l’extérieur de la bande de localisation. c0 représente la vitesse relative de points situés de part et d’autre des plans de localisation de normale n0 , repérés dans la configuration de référence. La condition d’équilibre écrite en vitesses peut alors être exprimée à partir du premier tenseur de contraintes de Piola – Kirchhoff : Différentes méthodes permettent la recherche de l’existence d’une normale n ou n0 permettant de vérifier la condition (6.11) ou (6.14) respectivement. Une première méthode repose sur la minimisation d’une fonctionnelle reliée au déterminant du tenseur acoustique en fonction des angles définissant l’orientation de la normale au plan de localisation. La minimisation peut être effectuée par des méthodes itératives de type gradient conjugué, mais la convergence n’est assurée que pour des fonctionnelles suffisamment régulières (Keryvin 1999). Dans le cas d’une bande dont la normale reste dans le plan de la tôle, le problème est bidimensionnel et l’orientation de la bande est définie à partir d’une seule variable, contrairement au cas tridimensionnel pour lequel deux variables sont nécessaires, ce qui complique alors la mise en œuvre de cette méthode de résolution numérique. Certaines précautions sont d’autre part nécessaires pour s’assurer de prédire l’ensemble des directions critiques et donc l’ensemble des orientations possibles des bandes de localisation, plusieurs minima locaux pouvant apparaitre simultanément en fonction du modèle de comportement choisi.