Critères comportementaux de la douleur
Comme il a déjà été écrit précédemment, les comportements liés à la douleur peuvent être classés en quatre catégories en fonction du « but » poursuivi (Matteri et al., 2000; Molony et al., 1997). Certains sont destinés à informer les congénères. Dans certaines situations, les animaux blessés peuvent tirer avantage de ces comportements dans la mesure où leurs congénères peuvent leur apporter une aide (Broom & Fraser, 1990). Cependant, attirer l’attention des autres animaux peut également s’avérer négatif, notamment chez les espèces « proies » qui s’exposeraient ainsi davantage à d’éventuels prédateurs. Ceci pourrait expliquer pourquoi les ruminants, les porcs ou les oiseaux de ferme (ce sont des espèces « proies ») montrent relativement peu de comportements de douleur (Anil et al., 2002; Sanford et al., 1986). Il est souvent reproché à l’évaluation comportementale de la douleur un manque d’objectivité. Pour s’assurer que la douleur est réelle et la distinguer du stress engendré par la procédure, des tests similaires doivent être faits avec et sans anesthésiques (Rushen et al., 2007). Chez les bovins et les ovins, de nombreuses interventions douloureuses ont été analysées et les critères validés en les croisant entre eux et, en comparant les réponses à celles d’animaux contrôles (on mime la procédure douloureuse) ou ayant subi la procédure mais recevant différents niveaux d’analgésie* (par exemple : Doherty et al., 2007; Molony et al., 2002; Molony et al., 1995; Tom et al., 2002). Pour limiter les problèmes d’interprétation des comportements, il faut une bonne connaissance du comportement de l’espèce, voir des individus (Rutherford, 2002). Parmi les nombreuses difficultés rencontrées, il arrive que des observateurs (éleveurs, vétérinaires…) constamment exposés à des animaux « douloureux » finissent par trouver normaux des comportements de douleur et sous estiment l’existence de douleur (Whay et al., 2003).
A l’inverse, des animaux ayant constamment des douleurs, auxquels ils ne peuvent échapper, peuvent cesser de montrer qu’ils ont mal (Seskel, 2008). Les réponses comportementales à la même stimulation nociceptive peuvent donc varier au cours du temps. Outre ces variations phasiques à la douleur, il existe des variations qui s’expliquent par des états physiologiques particuliers, comme la gestation et la mise bas chez les mammifères ou la ponte chez les oiseaux, qui modifient probablement les seuils de sensibilité à la douleur. Une autre source de variation provient de l’animal lui-même avec certains animaux qui vont exprimer un comportement et d’autres pas du tout et, pour ceux qui l’expriment, ce sera avec une fréquence et/ou une intensité plus ou moins grandes. Cette variabilité se retrouve dans quasiment toutes les études à travers les écart-types. Les critères comportementaux permettent généralement d’identifier la douleur et sont d’ailleurs privilégiés chez l’homme lorsque la communication verbale n’est pas possible (Herr et al., 2006b). Ils sont très sensibles et apparaissent immédiatement en cas de douleur aiguë. Ils permettent généralement de renseigner sur le lieu de la douleur : réaction de défense au toucher, posture d’évitement ou grattage de la zone douloureuse…
Cependant, certains comportements très généraux comme l’apathie, l’isolement ou le manque d’appétit posent problème car ils ne sont pas spécifiques puisque qu’on peut les rencontrer dans des situations pathologiques, de stress ou d’inconfort sans composante nociceptive. Lors d’affections spontanées (maladies), les signes peuvent également se confondre avec les signes cliniques de la maladie. Il faut donc rester vigilant même si certains comportements sont très évocateurs de douleur (Tableau 3). La plupart des critères comportementaux ont été décrits pendant et après divers types d’interventions douloureuses qui elles-mêmes peuvent se faire suivant diverses modalités comme la coupe de queue (scalpel, ciseau ou coupe-queue thermique qui permet une cautérisation), la castration (enlèvement des testicules après incision au scalpel ou avec des pinces coupantes, sans incision par pose d’élastique de striction ou par écrasement du cordeau spermatique avec une pince Burdizzo), le marquage (fer rouge ou azote liquide) ou l’écornage (destruction des bourgeons des cornes par voie chimique ou thermique). La description détaillée de ces procédures sera effectuée dans le chapitre 4. Par ailleurs, certains comportements ont été décrits dans des tests standardisés de stimulation nociceptive pour étudier les facteurs de variation de la sensibilité à la douleur ou l’efficacité de traitements contre la douleur. Certains des comportements révélateurs de la douleur ont été validés en comparant des animaux ayant reçu ou non un traitement antalgique, en mesurant la variabilité entre observateurs ou en comparant les résultats avec d’autres types de mesure.