Cristallisation d’un matériau à changement de phase surfondu

La surfusion

Origine du phénomène de surfusion

Le phénomène de surfusion définit un état métastable dans lequel le matériau peut rester liquide en dessous de son point de fusion. Il s’agit d’un processus stochastique, puisqu’un même échantillon ne cristallise pas toujours à la même température [34]. La répétition d’essais de solidification spontanée au refroidissement permet cependant de modéliser une loi de probabilité de ce phénomène. Nous obtenons alors une température probable de cristallisation TC . Cette surfusion se quantifie grâce au degré de surfusion ∆T qui peut atteindre plusieurs dizaines de degrés sous certaines conditions. Cette valeur se calcule grâce à l’équation 2.1 ∆T = TF −TC

avec TF et TC respectivement les températures de fusion et de cristallisation (°C).

Dans la littérature, plusieurs méthodes existent pour déterminer les températures de fusion et de cristallisation. Dans notre étude réalisée avec différents équipements de calorimétrie, nous avons choisi de considérer pour les corps purs, la température marquant le début du processus (onset en anglais) de fusion ou cristallisation. Pour les espèces en solution, la température de fusion est mesurée par une autre méthode basée sur les travaux de Clausse et al. [35]. En effet, ces matériaux ont souvent un pic endothermique plus évasé, qui rend plus difficile la détermination de l’onset. Il convient alors de calculer la température de fusion grâce à plusieurs essais menés à des vitesses de chauffe différentes [36].

La surfusion, ou sursaturation, s’explique souvent par un arrangement cristallin non périodique qui limite sa propagation à longue distance et empêche la cristallisation du matériau à l’échelle macroscopique.  pour une solution d’acétate de sodium trihydraté (AST), observée au Microscope Électronique à Balayage (MEB) par Machida et al. [37].

Les paramètres pouvant influencer ce phénomène

Influence du volume de matériau à changement de phase

La taille de l’échantillon a un impact non négligeable sur la surfusion du matériau. Ainsi, Adachi et al. [38] observent une augmentation du degré de surfusion de l’érythritol de 48 à 78 °C lorsque le volume de l’échantillon est réduit de 16 cm³ à 0,025 cm³ . Le type de cristallisation évolue aussi suite à cette réduction. La cristallisation se produit spontanément de manière hétérogène à grande échelle, avec l’apparition de la nucléation d’un solide à partir de surfaces (impuretés, parois du récipient). Lorsque la dimension de l’échantillon est plus faible, la nucléation apparaît de manière homogène dans le volume. Cette cristallisation spontanée homogène sera moins probable, et demandera une température plus faible pour apparaître. La réduction du volume limite, de ce fait, le nombre d’impuretés présentes, donc le nombre de sites de germination éventuels, ce qui est défavorable à l’apparition du solide. Un phénomène identique est observé pour les métaux, où le degré de surfusion augmente d’un facteur 3 lorsque le volume diminue de l’échelle du mm³ au µm³ [39]. Dumas [40] a évalué la surfusion de nombreux polymères, et constate par exemple pour le benzène un changement de surfusion de 19,5 °C à 71,5 °C lorsqu’il diminue le volume de 1 cm³ à quelques µm³.

Le phénomène inverse est aussi vérifié, puisque la solidification est facilitée lorsque les dimensions du récipient sont augmentées. Dannemand et al. [41] ont ainsi mesuré la probabilité de solidification spontanée d’un volume de 250 L d’acétate de sodium trihydraté répartis entre 10 réservoirs en acier. Après une chauffe et une fusion du MCP à 87 °C, chaque réservoir est refroidi jusqu’à la température souhaitée et laissé en surfusion pendant 3 jours puis solidifié. Les auteurs répètent alors ce cycle entre cinq et sept fois pour chaque récipient. Ils constatent alors qu’un grand volume présente un risque de cristallisation spontanée au cours des 3 jours. Ainsi, 58% des essais présentent une solidification spontanée après 3 jours passés à une température de 13 °C (∆T = 45 °C). Par ailleurs, lorsque la la température est augmentée jusqu’à 35 °C (∆T = 23 °C), 73 % des récipients restent surfondus.

L’utilisation d’un volume unique de plusieurs dizaines de litres doit ainsi être évitée dans le développement d’applications qui recherchent un stockage à plus long terme. En effet, un tel volume présente de nombreux sites de germination, ce qui facilite la cristallisation et risque de libérer la totalité de l’énergie stockée dès que celle-ci est amorcée. Il devient alors nécessaire de compartimenter ce stockage. Les meilleures solutions dans ce domaine restent les procédés d’encapsulation ou d’émulsions. Le matériau est divisé en portions microscopiques, où la surface est augmentée et les échanges améliorés, comme étudié par Günther et al. [42]. Chaque capsule dispose alors d’un nombre réduit d’impuretés, ce qui limite la solidification et accentue le degré de surfusion.

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Lorsque la masse de matériau est suffisamment faible, un nouveau phénomène peut apparaître, notamment lors de cycles thermiques imposés. En raison du faible nombre d’impuretés, la cristallisation n’est pas possible à moins d’une grande surfusion, donc une diminution de la température. Cependant, cette température plus basse de l’échantillon augmente aussi sa viscosité, jusqu’à générer un solide amorphe.

Il faut alors attendre que le matériau soit à nouveau chauffé pour permettre la libération de l’énergie stockée, un phénomène que l’on retrouve sous le nom de cristallisation froide. Nakano et al. [43] montrent ainsi qu’une masse de 4,5 g d’érythritol peut cristalliser lors du refroidissement (1 °C.min-1), à environ 24 °C. Une masse de 3,5 g, quant à elle, demeure surfondue lors du refroidissement jusqu’à -50 °C et ne cristallise qu’à la remontée en température qui suit, autour de -14 °C.

Influence de l’état de surface des parois

L’état des surfaces qui entourent le MCP joue également un rôle sur son degré de surfusion. Schülli et al. [44] ont ainsi montré que la structure cristalline du conteneur avait une influence directe sur la surfusion du liquide à proximité des parois. La rugosité est également importante, comme le constatent Faucheux et al. [45] où une surface d’aluminium finement travaillée permet d’augmenter la surfusion de l’eau. Sakurai et al. [46] vérifient aussi de tels résultats pour une plaque d’argent plongée dans une solution d’acétate de sodium trihydraté.

Le matériau pouvait ainsi rester surfondu 170 h pour une rugosité d’environ 0,06µm, alors qu’il cristallisait après 20h lorsque la rugosité atteignait 2 µm. De fait, ces résultats montrent qu’il est possible d’augmenter la surfusion par la diminution de la taille des rugosités présentes sur d’éventuelles parois. Une cavité de grande taille pourrait piéger des cristaux lors de la fusion du matériau, qui pourraient ensuite être relâchés dans le liquide surfondu pour initier la cristallisation [33].

Table des matières

1 Introduction et contexte
1.1 Le stockage de la chaleur
1.1.1 Le besoin d’un stockage de la chaleur
1.1.2 Les différentes méthodes de stockage de la chaleur
1.2 Choix d’une méthode de stockage par chaleur latente
1.2.1 La surfusion, une propriété sous exploitée
1.2.2 Applications utilisant la rupture de la surfusion
1.3 Plan de la thèse
2 Cristallisation d’un matériau à changement de phase surfondu
2.1 La surfusion
2.1.1 Origine du phénomène de surfusion
2.1.2 Les paramètres pouvant influencer ce phénomène
2.2 Les matériaux à changement de phase (MCP)
2.2.1 Les différentes classes de MCP capables d’être en surfusion
2.2.2 Motivations du choix de l’acétate de sodium trihydraté
2.3 Déclenchement de la cristallisation
2.3.1 Théorie de la germination
2.3.2 Solidification par contact d’une surface avec le liquide surfondu
2.3.3 Déclenchement électrique
2.3.4 Déclenchement grâce à un moyen mécanique (choc, ultrasons)
2.3.5 Méthodes de suivi du changement de phase
2.4 Vieillissement de l’acétate de sodium trihydraté
2.4.1 Les différents modes de vieillissement
2.4.2 Vieillissement par cycles thermiques
2.4.3 Vieillissement en surfusion
2.5 Problématique de la thèse
3 Analyse calorimétrique de l’acétate de sodium trihydraté
3.1 L’étude calorimétrique à différentes échelles
3.1.1 De la dizaine de milligrammes
3.1.2 Vers un volume intermédiaire (10 g)
3.1.3 Jusqu’à un volume plus important (300 g)
3.2 Comparaison avec les mesures de l’état de l’art
3.2.1 Mesure de la chaleur spécifique
3.2.2 Mesure de la chaleur latente de fusion
3.3 Le maintien en surfusion jusqu’à la solidification
3.3.1 La plage de surfusion du matériau
3.3.2 Le cas particulier de la cristallisation froide
3.4 Influence d’une concentration plus forte en eau
3.4.1 Détermination de la concentration en eau du matériau brut
3.4.2 Impact d’une concentration en eau différente
3.5 Conclusion sur la mesure des propriétés du matériau
Conclusion générale

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