Cours finances éthiques et l’exemple de la finance islamique

Introduction
I. Les fondements éthiques de la finance
A. La notion de responsabilité : le fondement de l’éthique financière
1. Rôle et responsabilité des opérateurs financiers
2. Enjeux de responsabilité dans le domaine de la finance
B. Une responsabilité mal définie car mal perçue
C. Instruments de confiance
II. Les finances éthiques
A. Les racines chrétiennes de la finance éthique
1. L’émergence par les exclusions sectorielles
2. Activisme et évolution
B. Le développement de la finance islamique
1. Histoire de la finance islamique
2. Les principes de base
3. L’actualité de la finance islamique
4. Les instruments financiers
III. Finance éthique et finance islamique : convergence possible?
A. Le développement durable dans la finance éthique et la finance islamique
B. Finance éthique, Finance Islamique et ISR : quelle convergence ?
1. Convergence avec l’ISR
2. Finalités et principes moraux
3. Exclusions sectorielles
4. Exclusions normatives et Global Compact
5. Partage
6. Compatibilité et complémentarité
Conclusion
Bibliographie

Introduction

Le monde est en train de changer de paradigme géo financier. La crise financière asiatique et russe et également le 11 Septembre 2001 ont contribué à remettre en cause un certain nombre de fonds d’investissement dits « à risques ». Mais, plus importante encore, a été la crise dite des « subprimes », qui est, en fait, une crise bien plus profonde que celle de l’immobilier à risque américain, et qui est en train de transformer profondément la physionomie de la finance
mondiale. A l’occasion de cette crise, un double paradigme est en train d’être remis en cause.
Le premier de ces paradigmes concerne l’allocation de l’épargne mondiale. Jusqu’à la fin des années 1990, les choses étaient apparemment simples. La croissance mondiale était relativement limitée et les déséquilibres budgétaires et de balance des paiements relativement faibles. Au tournant du millénaire, la situation a radicalement changé, la mondialisation de l’économie commençant à faire sentir ses effets. Le « double déficit » américain (déficit budgétaire et commercial) n’a fait que se creuser, pendant que les pays émergents (et les BRIC – Brésil, Russie, Inde et Chine – en particulier) ont accumulé des réserves de change grâce à l’amélioration de leur compétitivité industrielle et la hausse des prix des matières premières, tirés par la forte croissance mondiale. Ce double déséquilibre s’est, pendant quelques années, neutralisé, les excédents des uns (les émergents et les pays pétroliers) servant à financer le déficit des autres (principalement les Etats-Unis). Cet équilibre précaire s’est opéré grâce, en partie, à une liquidité mondiale abondante, favorisée par la croissance rapide des pays à fort taux d’épargne (notamment les BRIC).
La crise dite des subprimes remet en cause cet équilibre « sur la lame d’un rasoir ». Et ce à un double niveau. D’abord parce que cette crise fait craindre à un ralentissement durable, voire à une récession, de l’économie américaine, avec les risques que cette évolution comporte en matière de creusement du déficit budgétaire américain. Ensuite parce que cette crise, bancaire au départ, financière par la suite, ne pourra pas ne pas avoir d’impact sur l’économie réelle, en particulier sur les pays émergents dont la croissance récente a été tirée par les exportations vers les pays du Nord. Ce ralentissement de la croissance des pays émergents, qui ne disposent pas d’un marché intérieur suffisamment étoffé pour prendre le relais des exportations (ralentissement dont il est trop tôt à ce jour pour mesurer l’ampleur), se traduira par une moindre capacité de ces pays à dynamiser la croissance mondiale et à assurer l’équilibre des flux mondiaux d’épargne et d’investissement. Un nouvel équilibre financier international se devra donc d’être défini dans les années à venir.

A ce premier paradigme s’en ajoute un second. Ce deuxième paradigme, que la crise des subprimes remet en cause, est celui du business model des banques. Les grandes banques, quelque soient leurs statuts, ont, à des degrés divers, largement nourri leur croissance, au cours des dernières années, sur le développement des activités de marché, et en particulier des activités de titrisation. Le ralentissement de la croissance de ces activités est inéluctable, même si, là encore, l’ampleur du phénomène est difficile à définir avec précision à ce stade de la crise. Ce qui est certain c’est que les autorités de régulation bancaire vont encourager avec moins de vigueur que par le passé les opérations de transferts de risque. De leur côté, les banques elles-mêmes, face à l’assèchement de certains marchés (comme le marché des LBO à fort effet de levier et certains marchés de titrisation) et face aux tensions exercées sur la liquidité bancaire, vont être amenées à réviser, en partie au moins, leur business model. Et ce, alors même que l’aversion au risque des investisseurs, quasi-nulle jusqu’à fin 2007, va augmenter de manière significative. Sans, bien sûr, qu’il soit possible de dire, à ce stade, jusqu’où et jusqu’à quand. Mais cette incertitude n’enlève rien au caractère inéluctable d’une modification durable des stratégies bancaires.
La crise financière actuelle met en lumière des investissements et des placements dits « éthiques » qui résistent bien à la tempête que nous traversons et il parait donc intéressant de s’y attarder en cherchant à comprendre pourquoi ils sont moins vulnérables et comment ils sont structurés. L’Investissement Socialement Responsable (ISR) et la finance islamique appartiennent tous deux à cette catégorie de la finance éthique. Ces deux concepts d’investissement sont encore largement méconnus mais ils ont au moins deux points communs : ils font appel à des paramètres extra financiers et sont considérés, par les principales places financières mondiales, comme des axes de développement très attractifs.
Afin de mieux comprendre les questions et les enjeux éthiques de la finance, nous étudierons dans une première partie ses fondements puis aborderons ensuite la genèse de la finance éthique pour étudier les bases éthiques de la finance islamique. Nous nous interrogerons enfin sur la convergence possible entre l’ISR et la finance islamique.

I. Les fondements éthiques de la finance

A. La notion de responsabilité : le fondement de l’éthique financière
1. Rôle et responsabilité des opérateurs financiers
La finance se définit comme une activité de service. En tant que service, elle a pour fonction de garantir la fluidité des transactions indispensable à l’activité économique en permettant la meilleure utilisation possible des capitaux disponibles. L’explosion récente des activités financières, qui se sont développées beaucoup plus rapidement que le reste de l’économie, leur a permis d’acquérir une certaine autonomie, voire d’établir leur domination sur l’économie dite “ réelle ”. Cette émancipation s’est accompagnée de l’isolement accru de la finance sur les plans à la fois conceptuel et professionnel. Ce nouvel état de fait ouvre des opportunités indéniables, mais il est aussi porteur de conséquences redoutables.
Ainsi, les événements récents (fonds spéculatifs, crises asiatique et russe, etc. …) ont montré sans ambiguïté le caractère crucial de la responsabilité des acteurs individuels et institutionnels opérant sur les marchés financiers. Le recours aux effets de levier permet aux banques et autres acteurs de la sphère financière de s’engager (et se désengager) pour des sommes largement supérieures à celles qu’ils reçoivent de leurs clients (ou dont ils disposent en fonds propres). De ce fait, les marchés financiers sont capables de transformer une récession en une dépression économique ou du moins de précipiter cette dernière, avec tous les risques que cela peut comporter sur les plans individuel et collectif.
Les sommes mobilisées sur les marchés financiers, sans commune mesure avec leurs corrélats dans l’économie réelle, fondent la responsabilité majeure des marchés financiers à la fois en temps normal et en temps de crise. Les enjeux sont énormes, et les acteurs financiers se doivent d’inspirer par leur comportement la confiance des autres acteurs économiques afin de favoriser la bonne marche de l’économie en temps ordinaire et de ne pas provoquer de panique en temps de crise.

La responsabilité des opérateurs financiers ne se résume toutefois pas aux aspects de court terme consistant à préserver la confiance et à éviter les mouvements de panique incontrôlables. Leur responsabilité comporte aussi des éléments de long terme : si les marchés financiers dysfonctionnent, il convient d’y apporter les réformes nécessaires. En ce sens, les acteurs financiers se doivent aussi de promouvoir la recherche d’innovations financières ou économiques permettant un meilleur fonctionnement du système et une meilleure intégration du bien commun dans les décisions financières. Si le secteur financier n’est pas responsable de tous les biens ou de tous les maux affectant l’économie, il n’en reste pas moins qu’il porte une responsabilité majeure dans le processus d’allocation des ressources tant au niveau macro que micro-économique. Trois questions clés doivent donc être posées : Qui est le sujet responsable ? Devant qui est-il responsable ? Comment se manifeste la relation de responsabilité ?
L’effort de questionnement et de définition doit être mené par et pour tous les opérateurs actifs sur les marchés financiers. Il convient donc de ne pas limiter le questionnement sur la responsabilité aux individus, mais de l’étendre aussi aux institutions. Ces deux ordres de responsabilité sont complémentaires. Que l’on se place dans la perspective de l’intérêt bien compris des détenteurs de capitaux individuels ou institutionnels ou que l’on se préoccupe de la dimension éthique des métiers et des pratiques de la finance ou encore du bien de la collectivité, la nouvelle situation exige une définition des responsabilités incombant aux acteurs du monde financier.
Si la finance est une activité de service, il importe de préciser également avec clarté quels services elle rend, à qui, avec quelle contrepartie et au nom de quels objectifs. A défaut d’une telle clarification, la finance prend le risque de perdre tout ancrage et de flotter au gré des mouvements de la psychologie des masses avec les conséquences redoutables que l’histoire des grands krachs économiques et des paniques boursières a illustrées.
Il convient également de définir les principaux enjeux de responsabilité, notamment l’importance de la confiance pour réorienter durablement les activités financières vers leur finalité première.

2. Enjeux de responsabilité dans le domaine de la finance :
La responsabilité dans le domaine de la finance ne relève pas seulement de l’éthique privée, elle passe par l’établissement et le maintien de relations de confiance entre les opérateurs, les détenteurs des capitaux et leurs utilisateurs, ainsi qu’entre les opérateurs eux-mêmes. Cette confiance est la pierre angulaire de la poursuite du bien commun qui intègre les intérêts bien compris des opérateurs individuels et institutionnels avec les intérêts de la communauté.
Nous avons relevé 5 points principaux nécessaires pour satisfaire à cette condition :
– L’exigence de véracité : elle prend toute son importance dans le contexte actuel où les institutions financières peuvent de plus en plus difficilement se définir par une seule fonction, à l’instar des conglomérats globaux qui prônent le « global service ». Le client doit savoir avec le moins d’ambiguïté possible avec quel type d’opérateur financier il fait affaire. Traiter avec une banque traditionnelle ou avec un courtier n’implique pas les mêmes attentes et l’opérateur financier a ici le devoir de se montrer sous son vrai jour. La rapidité des changements renforce le devoir de l’opérateur financier de veiller à ce que le client sache quelles sont ses attributions et ses responsabilités. L’image doit donc correspondre à la réalité, si l’on veut que la confiance préside à la relation entre le client et le gestionnaire.
– Le souci de la durée : au contraire des autres échanges économiques qui se caractérisent par leur ponctualité, la relation d’investissement s’inscrit dans la durée.
La finance contemporaine repose sur un paradoxe fondateur : la sécurité à long terme est conditionnée par la possibilité de « sortie » à court terme, laquelle suppose la liquidité. La stabilité du système financier repose sur le maintien de l’équilibre entre ces deux termes : sécurité et durée. Or, l’extension des marchés et des circuits d’investissement tend à occulter la dimension de la durée nécessaire au profit de l’illusion de la sécurité. L’accélération et l’irrationalité des transactions financières rendent la conciliation des deux termes toujours plus difficile. L’écart croissant entre la rentabilité des investissements financiers et celle des capitaux investis dans l’économie réelle peut s’expliquer par le même phénomène.
L’obsession de la liquidité et la recherche effrénée de la rentabilité financière à court terme qui seraient, aux dires de certains, créatrices de richesse, induisent des effets matériels et psychologiques sur l’économie réelle et sur les détenteurs de capitaux. Ces effets ne sont pas suffisamment pris en compte dans les processus de décisions financières. Il y a dès lors nécessité de trouver d’autres modalités (que la recherche effrénée de la liquidité) pour rétablir le lien de confiance entre les acteurs dont la collaboration est indispensable à la bonne marche de l’économie et à la stabilité du système financier. Le souci de la durée exige une définition claire des responsabilités incombant aux acteurs impliqués. Les contrats financiers sont actuellement trop évasifs à ce propos : qui est vendeur ou créancier et qui est acheteur ou débiteur, de quoi est-on vendeur ou acheteur et quelles sont les responsabilités que chacun des agents doit assumer au moment où le respect des engagements contractuels pose problème ?
– L’intégrité de rémunération : le mode de détermination des rémunérations doit éviter d’inciter l’opérateur à la tromperie du client en le poussant à privilégier certains types d’opérations aux dépens d’autres. Il convient aussi de ne pas rechercher à gagner plus que ce qui est stipulé dans le contrat ou ce que l’on peut raisonnablement attendre du contrat. Cela ne revient pas à prôner une illusoire absence de rémunération qui agirait comme un leurre, mais à dire que l’information à propos des commissions et ristournes de toutes sortes doit être aisément accessible au client.
Le respect des intérêts du client est ici une priorité que les systèmes de rémunération se doivent de respecter, même si cela peut diminuer les performances de l’institution. Cette exigence est d’autant plus fondamentale qu’elle est difficile à respecter à l’intérieur d’institutions financières aux ramifications multiples. En effet, au sein d’une même institution, la tentation est grande pour les diverses subdivisions d’utiliser la base de clientèle ou les informations détenues et obtenues par d’autres subdivisions pour la conduite d’opérations propres.

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