D’un point de vue sociétal, de nos jours, les médias véhiculent une image des jeunes comme étant violents (Grégoire & Mathys, 2018). Toutefois, contrairement aux idées reçues, les dernières statistiques du SPF Justice mettent en évidence une nette diminution de la délinquance juvénile . En effet, entre 2011 et 2016, les parquets de la jeunesse ont vu le nombre de faits qualifiés d’infraction (FQI) diminuer de 28%. Ces éléments avaient d’ailleurs déjà été mis en évidence en 2015 par Ravier dans un rapport de l’INCC. Dans le même ordre d’idées, lorsque l’on s’intéresse aux informations les plus récentes, en juillet 2019, on peut lire sur le site du vice-premier ministre et ministre de la justice Koen Geens, que « les Belges se sentent globalement plus en sécurité ». La police fédérale a en effet effectué un sondage sur le sentiment d’insécurité dont il ressort que 75% de la population se sent rarement ou jamais en insécurité . Dans la plupart des pays européens, la question de la délinquance juvénile a largement investi le débat public et l’agenda politique (Jaspart, 2015). En ce qui concerne la politique criminelle et le système judiciaire en Belgique, suite à la sixième réforme de l’Etat, la Fédération Wallonie-Bruxelles s’est vu confier la compétence des mesures à appliquer aux jeunes ayant commis un fait qualifié d’ infraction. Afin d’élaborer une règlementation à ce propos, elle a mis en place un nouveau décret adapté « aux besoins et aux évolutions de la société et de sa jeunesse, plus que jamais en difficulté pour réussir sa transition vers la vie d’adulte » . Dans le journal de l’Aide à la jeunesse (octobre 2018), Rachid Madrane, ministre de l’Aide à la jeunesse, explique différents changements opérés par le nouveau code. Ainsi, un premier changement est l’accompagnement des jeunes par des services AMO qui passera de 18 à 22 ans pour mieux préparer leur accès à l’autonomie. Ensuite, au sujet des IPPJ , alors que les jeunes pouvaient être placés en IPPJ dès 12 ans ce ne sera désormais plus possible car la limite d’âge est désormais fixée à 14 ans, quel que soit le régime. Enfin, il a été décidé de maintenir le dessaisissement « comme soupape de sécurité afin d’éviter qu’en cas d’événement dramatique, un débat sur l’abaissement de la majorité pénale ne soit ouvert au niveau fédéral sous le coup de l’émotion » comme l’explique monsieur le ministre. De manière générale, entre autres au travers de ces différents exemples, nous remarquons que le nouveau code promeut la prévention et la réinsertion tout en envisageant l’institutionnalisation comme une mesure de dernier recours.
Par contre une fois que le jeune a atteint l’âge de 18 ans, une détention en milieu pénitentiaire, pour une peine punitive ou préventive, est tout à fait envisageable dans le système judiciaire belge. On observe ainsi une scission nette entre la politique réparatrice d’une part et protectionnelle d’autre part, prévue pour les mineurs d’âge, et qui devient une politique répressive et punitive dès que le cap de la majorité est franchi, sans distinction d’âge cette fois. Déjà en 2008, Abdellaoui et Blatier décrivaient à ce propos les jeunes détenus comme faisant partie d’une population nettement plus vulnérable, de par la quête d’identité et leurs capacités cognitives et sociales fragiles, et immatures d’un point de vue développemental. Ils sont ainsi amenés à poursuivre leur socialisation et leur développement psychosocial et affectif dans l’environnement carcéral (Abdellaoui & Blatier, 2008).
Définitions et étude empirique
Comme nous venons de le voir, la littérature scientifique nous renvoie à l’étude de la maturité psychosociale (MPS). Le concept de MPS a été proposé par Ellen Greenberger dans les années 1970 (Greenberger, Josselson, Knerr, & Knerr, 1974). Selon l’auteur, la MPS est l’idée d’une fin idéale de la croissance, de la socialisation et du développement du jeune en considérant les facteurs biologiques, sociologiques et psychologiques (Josselson, Greenberger, & McConochie, 1977). Plus récemment, en février de cette année 2019, Icenogle et al. définissent la maturité psychosociale comme la capacité d’autocontrôle qui est exercée dans des contextes provoquant une activation émotionnelle. Selon eux, la MPS est ce qui sous-tend la “hot cognition”, c’est à dire les processus mentaux impliqués dans les situations qui sont chargées émotionnellement et où, par conséquent, la prise de décision s’avère compliquée. Comme il n’y a pas de consensus scientifique quant à la façon de mesurer la MPS (Icenogle & al., 2019), nous avons choisi la théorie proposée par Cauffman et Steinberg en 1995 qui nous permettait d’opérationnaliser le concept de MPS tout en investiguant différentes sous-dimensions. Ainsi, nous nous sommes inspirées de l’étude empirique réalisée en 2000 par ces derniers auteurs qui modélisent la MPS comme composée de trois dimensions, elles-mêmes divisibles en sous-dimensions. Notons qu’au sujet de la dimension « responsabilité », les auteurs la décomposent en trois concepts – « self-reliance », « clarity of identity », «independence » – que nous avons investigués au travers des sous-dimensions «sens de la responsabilité » et « résistance à l’influence des pairs » pour des raisons d’accès au matériel .
Premièrement, « la tempérance » est la capacité de modérer son comportement, limiter l’agressivité et réfléchir à la situation avant d’agir (Cauffman & Steinberg, 2000). Elle est composée du « contrôle de l’impulsion » et de la « capacité à pouvoir stopper l’agressivité », qui renvoient au fait d’inhiber des désirs personnels et immédiats pour favoriser la socialisation (Paget, Consoli, & Carton, 2010) Deuxièmement, « la perspective » est définie par Cauffman et Steinberg en 1995 comme un ensemble de dispositions qui permettent à l’adolescent de prendre une décision dans un contexte plus large et, en 2000, ces mêmes auteurs précisent qu’il s’agit entre autres de la capacité de tenir compte des implications de ses actions pour les autres et d’en percevoir les conséquences à court et long terme. Elle se compose de la « considération pour les autres » et de « l’orientation vers le futur ». La première renvoie à la fréquence à laquelle le jeune prend en compte le point de vue des autres (Cauffman & Steinberg, 2000). La seconde fait quant à elle référence au fait de retarder la récompense pour atteindre des objectifs à plus long terme (Cauffman & Steinberg, 2000) mais aussi à la capacité à se projeter dans le futur par rapport à certains évènements ou comportements (Cauffman & Steinberg, 1995). Enfin, « la responsabilité » est le fait de pouvoir prendre des décisions de manière indépendante et d’être quelqu’un de responsable sans devoir compter sur la supervision d’un adulte. Cette définition renvoie à la sous-dimension « sens de la responsabilité » tandis que l’outil portant sur la « résistance à l’influence des pairs » distingue la sensibilité à la pression que peuvent exercer les pairs sur une personne et la volonté de celle-ci à s’engager dans un comportement antisocial indépendamment des autres Steinberg et Monahan (2007).
Aspects neuropsychologiques
En 2018, Meldrum, Trucco, Cope, Zucker et Heitzeg suggèrent que ce serait intéressant pour les criminologues de collaborer avec des professionnels des neurosciences. Cela leur permettrait d’avoir une meilleure compréhension des fondements neuraux qui sous-tendent les comportements antisociaux. Concernant la MPS, Cauffman et Steinberg (2000) rapportent qu’elle continue de se développer jusqu’à la moitié de la vingtaine. Ainsi, le développement neuropsychologique est également un facteur important dans le comportement délinquant chez l’adolescent et le jeune adulte qui va permettre d’objectiver les structures et mécanismes cérébraux liés aux comportements observés.
Les neuroscientifiques ont d’ailleurs mis en évidence une relation entre le comportement délinquantiel d’une part et les structures et fonctions préfrontales de l’autre (Jorgensen, Anderson, & Barnes, 2016). Par exemple, ils ont observé que, comparativement aux tout-venants, la matière grise dans cette région est moindre chez les détenus ayant commis un fait violent. Afin d’étudier les structures et le fonctionnement cérébral, des chercheurs ont utilisé l’imagerie fonctionnelle. Ces études appuient le fait que le cortex préfrontal joue un rôle important dans le comportement délinquant. Par ailleurs, le cortex préfrontal n’est pas la seule structure cérébrale jouant un rôle important dans les comportements antisociaux. En effet, l’amygdale est une structure du système limbique, impliquée dans la détection des menaces environnementales et dans les émotions, à laquelle les modèles neurobiologiques accordent une importance particulière. Cette structure basale dirige les réactions de type « fight-or-flight » qui surviennent face à une menace présente dans notre environnement. En 2001, Gregg et Siegel déclarent qu’une stimulation électrique appliquée directement à ce niveau produit une réaction défensive de rage. Plus concrètement, les auteurs ont mis en évidence que l’interaction entre un gène lié à la production de sérotonine et un environnement stressant peut induire une hyper-activation de l’amygdale. Ainsi, cette modification physiologique serait responsable de comportements impulsifs et violents.
Comme nous le savons, il est communément admis que les adolescents sont souvent impulsifs. A ce propos, Shannon et al. (2011) ont pu mettre en évidence d’un point de vue neurologique que chez les jeunes moins impulsifs et les sujets le réseau cérébral dédié à l’attention spatiale et au contrôle exécutif alors que, chez les jeunes plus impulsifs, ces régions sont corrélées avec le réseau cérébral « par défaut ». Ce réseau regroupe des zones cérébrales liées à la spontanéité, à la désinhibition et à la cognition qui se rapporte à soi-même. Ainsi la connectivité fonctionnelle des régions de planification motrice avec des réseaux liés à la spontanéité et les cognitions liées à soi est plus importante qu’avec les réseaux liés au contrôle exécutif, ce qui augmente la prédisposition au comportement impulsif chez les jeunes. Ceci nous amène dès lors à faire le lien entre ces éléments empiriques et des concepts centraux de cette étude tels que le contrôle de l’impulsion, la répression de l’agressivité, la considération pour autrui et la tempérance. Toujours à propos du manque d’autocontrôle, de tempérance, en 2015 Hay et Meldrum rapportaient que les explications étaient d’ordre social, biologique et génétique. Un de ces deux auteurs, aidé de son équipe (Meldrum et al., 2018), a alors poursuivi des recherches impliquant l’utilisation de la fmri . Il a pu mettre en évidence une corrélation négative entre l’activation d’une sous-région préfrontale médiale et un faible niveau d’autocontrôle. En d’autres termes, moins l’activation de cette région est importante, plus le niveau d’autocontrôle est faible et, par conséquent, plus la tendance aux comportements désinhibés sera forte.
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