Contrôle optimal périodique : Applications à la dépollution de l’eau
Introduction
Dans le Chapitre 1, nous avons considéré le modèle du chemostat avec une seule souche microbienne en présence du substrat. Dans ce chapitre, on va considérer le modèle du chemostat dans le cas où deux souches microbiennes, de concentration respectives x1 et x2, sont en présence du substrat de concentration s. Pour un taux de dilution D, qui peut être constant ou dépendre du temps, le modèle s’écrit alors s˙ = D(sin − s) − µ1(s) x1 Y1 − µ2(s) x2 Y2 , x˙ 1 = (µ1(s) − D)x1, x˙ 2 = (µ2(s) − D)x2. (2.1) Dans ce système la quantité Yi est le rendement de l’espèce i. Dans la suite, on peut le supposer égal à 1, en effectuant le changement de variables x 0 1 = x1 Y1 , x 0 2 = x2 Y2 . On se place dans le cas d’un contrôle D = u(.) T−périodique, de moyenne u >¯ 0. De la même façon que dans le cas d’une espèce, la masse équivalent carbone totale b = s + x1 + x2 suit la dynamique ˙b = u(t)(sin − b). On en déduit donc comme au Chapitre 1 que la quantité s + x1 + x2 tend exponentiellement vers sin si R +∞ 0 u(t)dt = +∞, hypothèse ici vérifiée. Asymptotiquement, le système (2.1) se comporte alors de la façon suivante ( x˙ 1 = (µ1(sin − x1 − x2) − u(t))x1, x˙ 2 = (µ2(sin − x1 − x2) − u(t))x2.
Remarque
L’ensemble I = {(x1, x2) ∈ R 2 tels que x1, x2 ≥ 0, x1 + x2 ≤ sin} est invariant par la dynamique (2.2). Remarque 15. Le système (2.2) peut être réécrit sous forme intégrale pour t ≥ 0 avec : xi(t) = exp Z T 0 (s(θ) − u(θ))dθ xi(0), où s(.) = sin − x1(.) − x2(.). Contrairement aux proies et aux prédateurs du modèles de Lotka-Volterra qui sont en compétition directe, les deux souches microbiennes ne s’influencent qu’indirectement, à travers la concentration s. Elles sont en compétition pour la même ressource. On remarque déjà que le système comporte une dimension supplémentaire, qui va rendre son étude plus compliquée. Ainsi, pour un taux de dilution D > 0 donné, on peut déjà voir que le système (2.1) pourrait admettre plusieurs comportements asymptotiques : lessivage des deux espèces, lessivage d’une seule espèce, coexistence des deux espèces… Dans ces conditions, le problème de contrôle optimal correspondant peut alors être formulé de la façon suivante : min u(.)∈U 1 T Z T 0 (sin − x1 − x2)(t)dt t.q. (x1, x2)(.) est solution de (2.2), (x1, x2)(0) = (x1, x2)(T), Z T 0 u(t)dt = ¯uT. (2.3)
Le principe d’exclusion compétitive
Le Principe d’exclusion compétitive [29, 16] décrit le comportement asymptotique du système (2.1) dans le cas d’un taux de dilution constant D > 0. Pour des fonctions de croissance µ(.) croissantes (de plus, on rappelle que µ(0) = 0), on peut définirle seuil de croissance comme suit. Définition 10. Le seuil de croissance est, pour un taux de dilution D fixé, la quantité s telle que µ(s) = D. On la notera λ(D). Si une telle quantité n’existe pas, on prendra λ(D) = +∞. Remarque 16. Cette définition doit être adaptée pour le cas de fonctions de croissance non-monotones comme les fonctions de Haldane. Dans ce cas, on peut définir par exemple λ(D) = inf{s ≥ 0, tels que µ(s) ≥ D}. Thomas Guilmeau – Rapport non-confidentiel 56 Contrôle optimal périodique : Applications à la dépollution de l’eau Dans le cas où plusieurs espèces sont en compétition pour une seule ressource, avec des fonctions de croissance qui ne dépendent que de la concentration en substrat s, le Principe d’exclusion compétitive indique que le seul équilibre stable est l’équilibre où seule l’espèce avec le seuil de croissance minimal est génériquement présente. Le seuil de croissance permet donc de déterminer l’espèce qui consomme la ressource s le plus efficacement, et qui va donc se développer au détriment des autres. Dans une optique de traitement biologique, on pourrait donc penser qu’il suffirait d’imposer un taux de dilution constant D = ¯u, et d’attendre que l’espèce la adaptée survive, car cette espèce est celle qui va garantir la concentration en substrat minimale. Une espèce invasive ne pourrait donc s’installer qu’à la condition qu’elle améliore les performances du chemostat, ce qui semble souhaitable à première vue. Cependant, dans les applications, une souche peut fournir des services que ne fournissent pas toutes les autres souches : dégradation d’un autre substrat par exemple. Par ailleurs, en régime périodique, l’installation d’une deuxième espèce peut dégrader les performances en dépollution, comme on peut le voir sur la Figure 2.10a. Enfin, le Principe d’exclusion compétitive ne s’applique pas toujours directement, et parfois, il ne s’applique pas du tout. On peut citer plusieurs situations : — Le Principe d’exclusion compétitive, qui est un résultat asymptotique, s’applique, mais le régime transitoire est long et des espèces moins performantes peuvent s’imposer momentanément pendant le régime transitoire [25], — Les fonctions de croissance peuvent aussi dépendre de la concentration en micro-organismes. Dans ce cas, le modèle (2.1) permet aussi de prendre en compte la compétition intra-spécifique [12]. Lorsqu’elle est assez forte, plusieurs espèces peuvent cohabiter et le Principe d’exclusion compétitive ne s’applique pas. — Enfin, et c’est le cas qui nous intéresse le plus, lorsque le système (2.1) est non-autonome et varie périodiquement, favorisant d’abord une espèce puis l’autre, alors la cohabitation est possible. Ce phénomène peut avoir lieu via des variations de la concentration en substrat en entrée, du taux de dilution, ou des deux à la fois [30], et s’applique à d’autres modèles de compétition, comme le modèle de Lotka-Volterra [23]. Les résultats du Chapitre 1 et de [6] montrent qu’utiliser un taux de dilution périodique plutôt que constant peut améliorer les performances du chemostat à une espèce. Ainsi, on peut se demander si on peut encore améliorer ces performances en ajoutant une deuxième espèce. Par ailleurs, une espèce invasive peut s’installer dans le chemostat piloté périodiquement et potentiellement dégrader ses performances. On va donc étudier les possibilités de sur-rendement dans le chemostat à Thomas Guilmeau – Rapport non-confidentiel 57 Contrôle optimal périodique : Applications à la dépollution de l’eau deux espèces.
Quelques résultats importants de la théorie
On va présenter ici quelques éléments de la théorie pour le modèle du chemostat avec deux espèces et un taux de dilution périodique, qui est largement présentée dans [29] (Chapitre 7). Un premier point important à souligner est que le système (2.2) est de la forme x˙ = f(t, x), avec f(t + T, x) = f(t, x) pour tout t, x. Le système est donc nonautonome et périodique en temps. De façon analogue aux systèmes autonomes, de tels systèmes admettent des équilibres, qui sont en fait des solution périodiques x(.) vérifiant x(t + T) = x(t). La stabilité locale de ces solutions périodiques, si elles existent, peut également être analysée en linéarisant autour de cette solution. Pour une solution périodique x(.), on s’intéressera donc au système z˙ = ∂f ∂x(t, x(t))z. (2.4) Dans le cas de (2.2) , et en notant s = sin − x1 − x2 et en omettant les dépendances en temps, la matrice jacobienne du système est J = −µ 0 1 (s)x1 + µ1(s) − u −µ 0 1 (s)x1 −µ 0 2 (s)x2 −µ 0 2 (s)x2 + µ2(s) − u (2.5) Ce système est également T−périodique, et on appelle solution fondamentale de ce système une application Z(.) : R −→ Mn vérifiant Z˙ = ∂f ∂x (t, x(t))Z. Le théorème de Floquet [4] permet alors de caractériser ces solutions : Proposition 16. Si A : R −→ Mn est une application continue et T−périodique, alors toute solution fondamentale Z(.) du système z˙ = A(t)z est de la forme Z(t) = P(t)e Bt , avec P(t) et B des matrices n×n pour tout t ∈ R, et P(t+T) = P(t). Les valeurs propres de e BT sont appelées les coefficients de Floquet et les valeurs propres de B sont les exposants de Floquet. De plus, les exposants de Floquet λ et les coefficients de Floquet µ sont liés par la relation µ = e T λ . Ces coefficients, difficiles à calculer en pratique, permettent de caractériser la stabilité de la solution périodique x(.). Définition 11. Une solution x(.) est stable (au sens de Lyapunov), si pour tout > 0, il existe δ > 0 tel que pour une solution y(.) et un temps t0, |x(t0) − y(t0)| < δ =⇒ |x(t) − y(t)| < , ∀t ≥ t0. Thomas Guilmeau – Rapport non-confidentiel
Contrôle optimal périodique
Applications à la dépollution de l’eau Définition 12. Une solution x(.) est uniformément asymptotiquement stable si elle est stable au sens de Lyapunov et s’il existe b > 0 tel que pour une solution y(.) et un temps t0, |x(t0) − y(t0)| < b =⇒ lim t→+∞ |x(t) − y(t)| = 0, avec convergence uniforme en t0. Proposition 17. Si tous les coefficients de Floquet µ de (2.4) vérifient |µ| < 1, alors la solution x(.) est uniformément asymptotiquement stable. S’il existe un coefficient de Floquet tel que |µ| > 1, alors elle est instable. Dans le cas du système (2.2), la théorie de Floquet permet de caractériser les solutions périodiques de (2.2) dans lesquelles une seule espèce est présente, ainsi que la solution de lessivage où les deux espèces s’éteignent. Proposition 18. Soit i = 1, 2. Si µi(.) est monotone sur [0, sin], et que µi(sin) ≤ u¯, alors lim t→+∞ xi(t) = 0. Cette propriété ne dépend pas de l’effet de la compétition, si µi(sin) ≤ u¯, alors l’espèce i n’est pas assez performante et sera lessivée en présence ou non d’un compétiteur. Ainsi, dans la suite, on fera l’hypothèse µi(sin) > u, i ¯ = 1, 2. Remarque 17. Les quantités µi(sin)−u¯ sont les exposants de Floquet de l’équilibre périodique de lessivage (0, 0). Ainsi, l’hypothèse (2.1.2) assure que le lessivage est instable. Proposition 19. Soit i = 1, 2. Il existe une unique solution positive périodique ξi(.) telle que ( (ξ1(.), 0) soit solution de (2.2) si i = 1, (0, ξ2(.)) soit solution de (2.2) si i = 2. De plus, si (x1(.), 0), avec x1(0) > 0 est une solution de (2.2), alors lim t→+∞ |ξ1(t) − x1(t)| = 0. On a le résultat analogue pour ξ2(.). Cette proposition décrit entièrement les équilibres à une espèce de (2.2). La suivante permet d’étudier leur stabilité à l’aide des exposants de Floquet précédemment présentés. Thomas Guilmeau – Rapport non-confidentiel 59 Contrôle optimal périodique : Applications à la dépollution de l’eau Proposition 20. Les exposants de Floquet de la solution périodique (ξ1(.), 0) sont λ1,1 = − 1 T Z T 0 ξ1(t)µ 0 1 (sin − ξ1(t))dt, λ1,2 = 1 T Z T 0 (µ2(sin − ξ1(t)) − u(t))dt. De plus, λ1,1 < 0. On a un résultat exactement analogue pour la solution (0, ξ2(.)). Pour la solution (ξ1(.), 0), le système (2.4) devient z˙ = −µ 0 1 (s)ξ1 + µ1(s) − u −µ 0 1 (s)ξ1 0 µ2(s) − u z. On peut alors trouver une solution fondamentale Φ(.) de la forme Φ(t) = exp R T 0 (−µ 0 1 (s)ξ1 + µ1(s) − u)dt c(t) 0 exp R T 0 (µ2(s) − u)dt , dont on peut ensuite déduire les coefficients de Floquet. Remarque 18. Les exposants λ1,2 et λ2,1 sont difficiles à calculer analytiquement, mais sont loin d’être inutiles pour autant puisqu’ils sont très faciles à calculer numériquement : il suffit de calculer les solutions sur les faces, qui sont uniques et attractives. On présente aussi un outil important pour l’étude des systèmes non-autonomes périodiques de la forme x˙ = f(t, x), avec f(t+T, x) = f(t, x) pour tout t, x. Il s’agit de l’application de Poincaré P : R n −→ R n , qui à y associe P y tel que P y = y(T), avec y(.) solution de x˙ = f(t, x) avec y(0) = y. Cette application avance le système d’une période, et permet de se ramener à un système autonome en temps discret tout en rendant compte du comportement asymptotique du système en temps continue. Ainsi, à une solution périodique correspond un point fixe de l’application de Poincaré. En plus de son caractère périodique, le système (2.2) est également compétitif [17, 18]. Formellement, cette propriété s’énonce comme suit : Définition 13. Un système de la forme ( x˙ 1 = f1(t, x1, x2), x˙ 2 = f2(t, x1, x2), est dit compétitif si ∂fi ∂xj (t, x1, x2) ≤ 0, i 6= j. Thomas Guilmeau – Rapport non-confidentiel 60 Contrôle optimal périodique : Applications à la dépollution de l’eau Cette propriété signifie qu’un accroissement d’une des populations va freiner le développement de l’autre population. Ce type de propriété est courant en biologie et en écoloqie, et couvre à la fois la compétition directe, comme dans le modèle de Lotka-Volterra, et la compétition indirecte comme dans le modèle du chemostat où les deux espèces sont en compétition pour une ressource. On peut facilement vérifier que le système (2.2) est compétitif. Lorsque les termes non-diagonaux sont positifs ou nuls, le système est dit coopératif. Les systèmes compétitifs ou coopératifs sont dits monotones car leur dynamique ont la propriété de préserver certaines relations d’ordre, ce qui permet de donner des résultats intéressants sur leur comportement asymptotique. En particulier, un système monotone de dimension n a une dynamique aussi compliquée qu’un système de dimension n − 1.