Contrôle de la supraconductivité à l’interface d’oxydes LaAlO3/SrTiO3 par effet de champ électrique
Une interface : LaAlO3/SrTiO3
LaAlO3 possède également une structure pérovskite, et se présente sous forme trigonale à température ambiante, devenant cubique au-dessus de la température de transition T = 800K [1]. Aucune autre transition n’a été identifiée à basse température. Son paramètre de maille quasi-cubique à 300K, aLAO = 3.79Å, est très proche de celui du SrTiO3. C’est un isolant de bande à large gap de 5,6eV [103]. Lorsqu’on fait croître par épitaxie une couche de LaAlO3 cristallin sur un substrat de SrTiO3, un gaz d’électron bidimensionnel métallique apparaît à l’interface de ces deux isolants . Les calculs théoriques suggèrent qu’il s’étend principalement dans le substrat de SrTiO3 . Expérimentalement, on observe en effet par spectroscopie des pertes d’énergie sur microscope électronique à transmission (Electron Energy Loss Spectroscopy, EELS) une valence partiellement 3+ des ions Titane (au lieu de 4+ normalement) dans le substrat, signe de la présence d’électrons supplémentaires [128], et les propriétés de transports sont cohérentes avec une conduction dans le SrTiO3. D’autres interfaces d’oxydes basées sur ce même substrat, telles que LaGaO3/SrTiO3 [6], LaVO3/SrTiO3 [79] ou GdTiO3/SrTiO3 [121] possèdent également un gaz 2D conducteur, ce qui indique que ses propriétés sont effectivement essentiellement liées au SrTiO3. Le gaz s’étend sur une profondeur maximale d’une dizaine de nanomètres, mesurée par AFM à pointe conductrice [], ou en comparant les champs magnétiques critiques parallèle et perpendiculaire à l’interface dans la phase supraconductrice [7]. La densité de porteurs varie de n2D =2 à quelques 10e −.cm−2 selon les conditions de croissance, et la mobilité peut atteindre µ = 104 cm2 .V−1 .s −1 à basse température. Comparé à un gaz 2D classique à base de semi-conducteurs, par exemple à une interface AlGaAs/GaAs (n2D =0 à2e −.cm−2 , µmax = 107 cm2 .V−1 .s −1 ), il s’agit donc d’un gaz 2D d’une densité minimale 10 à 100 fois plus grande et de plus faible mobilité. Si les interface d’oxydes n’atteignent pas encore le niveau de contrôle et les performances records des interfaces de semi-conducteurs, il n’existe cependant aucune limite théorique, et on peut espérer que l’amélioration des conditions de croissance permette à terme d’atteindre de très hautes mobilités.
Origine du gaz 2D
Différents mécanismes peuvent expliquer l’apparition du gaz d’électrons à l’interface. Leurs rôles respectifs font encore aujourd’hui débat, et aucune étude à ce jour n’a permis de trancher sans équivoque entre eux, car les propriétés du gaz dépendent fortement des conditions de croissance. Aujourd’hui, aucun des ces mécanismes n’est donc à exclure définitivement, même si de nombreux arguments plaident en faveur d’une reconstruction électronique (catastrophe polaire). Nous allons ici présenter les principaux d’entre eux.
1.2.1.1 Reconstruction électronique Connu sous le nom de « catastrophe polaire », le scénario d’un transfert d’électrons du LaAlO3 vers l’interface a été suggéré par Nakagawa et al [128] et étudié par divers calculs de DFT [7, 5]. La valence des aluminium étant de 3 tout comme celle du lanthane, les plans atomiques Al3+O 4− 2 sont globalement chargés +, tandis que les plans 18 Chapitre 1. Etat de l’art atomiques La3+O2− sont globalement chargés −. Il en résulte un champ électrique en créneau perpendiculairement à l’interface, conduisant à un potentiel électrostatique divergeant lorsqu’on s’éloigne de l’interface. L’idée est que pour éviter cette catastrophe polaire, le système transfère 1/2 électron par maille cristalline, chargeant l’interface, ce qui stabilise le champ électrique autour d’une valeur moyenne nulle, comme montré sur la figure 1.5 d’après Nakagawa et al [128]. Il en résulte une densité d’électrons surnuméraires de n2D = 3, 3 × 10e −.cm−2 à l’interface. Ce modèle présente notamment l’avantage d’expliquer pourquoi l’interface de type n LaO/TiO2/SrO est conductrice, tandis que l’interface de type p LaO/SrO/TiO2 ne l’est pas, conformément aux mesures [1], à cause de reconstructions atomiques énergétiquement plus favorables [128].
Lacunes d’oxygène
Selon la pression partielle d’oxygène lors de la croissance, la résistivité à basse température peut varier de plusieurs ordres de grandeur, comme l’illustrent les mesures de Brinkman et al [] présentées en figure 1.7. Il est aujourd’hui bien établi que les interfaces préparées sous faibles pressions partielles d’oxygène présentent un fort dopage en lacunes d’oxygène [106]. Le substrat lui-même peut alors devenir conducteur, comme l’ont montré les expériences par AFM à pointe conductrice de Basletic et al [] présentées en figure 1.6 : selon les conditions de recuit, on observe une couche conductrice localisée à l’interface (gaz 2D), ou une conduction à 3 dimensions de l’ensemble du cristal de SrTiO3. Il est donc indispensable, après la croissance à haute température (650◦C à 0◦C), d’effectuer un recuit sous pression partielle d’oxygène (‘400mbar) à une température intermédiaire (‘500◦C) pendant un certain temps (30min à 1h), afin de combler au maximum les lacunes d’oxygène et de conserver un caractère 2D au gaz d’électron. On trouvera une étude récente et approfondie des conditions de croissance chez Liu et al, PRX 20 [106].
Interdiffusion de cations
L’échange de cations ayant des valences différentes à travers l’interface peut y engendrer la formation d’un gaz d’électrons [0]. Par exemple, le SrTiO3 dans lequel une partie des strontium est substituée par du lanthane étant conducteur [4, 61], l’échange de lanthane et de strontium entre les deux pérovskites peut doper localement l’interface. Des mesures par spectroscopie des pertes d’énergie sur microscope électronique à transmission (Electron Energy Loss Spectroscopy, EELS) [128] et par diffraction de rayon X en surface (Surface X-Ray Diffraction, SXRD) [1] ont en effet montré que l’interface n’est pas nécessairement atomiquement abrupte. L’argument d’une interdiffusion atomique énergétiquement favorable est par exemple avancé par Nakagawa et al [128] pour expliquer que les interfaces de type p sont isolantes. 1.2.1.4 Discussion Diverses observations viennent étayer le scénario d’une origine intrinsèque au gaz d’électron : — Il existe une épaisseur critique universelle de 4u.c. de LaAlO3 en-dessous de laquelle l’interface n’est pas conductrice. Cela a été d’abord observé par Thiel et al [3], puis confirmé par d’autres groupes [4]. Cette observation est correctement reproduite par des calculs de DFT [97, 48, 5], et correspond au modèle simple d’une augmentation du potentiel de couche en couche de la catastrophe polaire [4]. — Le dépôt sur la surface de LaAlO3 à température ambiante d’acétone, d’éthanol, d’eau ou d’un autre adsorbat augmente considérablement la conduction à l’interface, et ce d’autant plus que le solvant est polaire [4]. De même, le dépôt à faible température (moins de 100◦C) d’un diélectrique modifie la conductance de l’interface, comme on le verra au chapitre 2. Une modification chimique de l’interface étant exclue à ces températures, ces observations indiquent que le gaz 2D est très sensible aux états de surface de la face supérieure du LaAlO3. Une étude par DFT de l’adsorption d’eau a été faite par un groupe de théoriciens de Séoul [6, 102] qui tend à justifier ces résultats par un scénario de reconstruction électronique. La simplicité et le caractère intrinsèque de ce modèle de reconstruction électronique le rendent séduisant. Cependant, il ne permet pas d’expliquer que la densité d’électrons mesurée soit généralement au moins 3 fois plus faible (n2D =2 à 10e −.cm−2 ) que prédite (3, 3 × 10e −.cm−2 ). Il semble qu’un certain nombre de charges sont piégées à l’interface, et demeurent indétectables dans les propriétés de transport. D’autre part, la densité d’électrons varie fortement avec les conditions de croissance et selon les groupes. Il faut donc conclure que les trois phénomènes cités ci-dessus jouent chacun un rôle et qu’aucun n’est à exclure définitivement. D’une manière générale, la préparation de ces couches d’oxydes ne possède pas aujourd’hui un niveau de maturité suffisant pour pouvoir conclure de manière univoque sur l’origine et les propriétés du gaz 2D. On peut espérer que l’amélioration de la maîtrise des conditions de croissance permettra à terme de contrôler précisément les propriétés électroniques de l’interface, telle que la densité de charges piégées à l’interface, ou en choisissant au cas par cas le mécanisme à l’origine du gaz 2D, comme pour certains échantillons préparés sous fort recuit d’oxygène, présentant de très hautes mobilités et de très faibles densités (∼2e −.cm−2 ) (mais pas de supraconductivité).
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