Contrôle bilinéaire d’équations de Schrödinger
Modèle
On considère une particule quantique évoluant dans un espace de dimension d. Cette particule est décrite par sa fonction d’onde ψ : (t, x) ∈ R × R d 7→ ψ(t, x) ∈ C. Pour un sous-domaine ω de R d , la probabilité que la particule se trouve au temps t dans ω est donnée par R ω |ψ(t, x)| 2dx. On note que pour toute fonction θ : R → R, les fonctions d’onde ψ et e iθ(t)ψ décrivent le même état : la phase globale n’a pas de signification physique. L’évolution de la fonction d’onde est donnée par l’équation de Schrödinger i~∂tψ(t, x) = H(t)ψ(t, x) (1.2) où H est l’hamiltonien du système et ~ la constante de Planck réduite. Dans ce mémoire, on considère que la particule se trouve dans un potentiel V (x) infini hors d’un domaine borné régulier D ⊂ R d . L’hamiltonien du système est indépendant du temps et on trouve après un changement d’échelle i∂tψ(t, x) = (−∆ + V (x)) ψ(t, x), (t, x) ∈ (0, T ) × D, ψ(t, x) = 0, (t, x) ∈ (0, T ) × ∂D, ψ(0, x) = ψ0(x), x ∈ D. (1.3) Les conditions au bord de Dirichlet homogène modélisent le fait que la probabilité de trouver la particule au bord est nulle. Au vu de l’interprétation probabiliste précédente de la fonction d’onde, celle-ci évolue sur la sphère unité de L 2 (D, C) notée S dans la suite. On note AV l’hamiltonien du système libre (1.3) défini par AV ψ := (−∆ + V ) ψ, D (AV ) := H2 ∩ H1 0 (D, C). (1.4) Pour V ∈ L 2 (D, C), on note (λk,V )k∈N∗ la suite croissante des valeurs propres de AV et ϕk,V les vecteurs propres associés dans S. On obtient alors des solutions évidentes du système libre (1.3) données par les états propres Φk,V (t, x) := e −iλk,V tϕk,V (x), (t, x) ∈ R × D. (1.5) L’état propre de plus basse énergie Φ1,V est appelé état fondamental. Concernant le cadre fonctionnel, on note pour s > 0, Hs (V ) := D A s 2 V . Ayant en vue des applications comme la manipulation de liens chimiques de certaines molécules ou la construction de portes quantiques logiques comme préalable à l’ordinateur quantique, on souhaite contrôler l’évolution de la fonction d’onde via un champ électrique extérieur. L’hamiltonien du système est alors la somme de l’hamiltonien libre précédent et de l’hamiltonien d’interaction. En première approximation, l’hamiltonien d’interaction est donné par −u(t)µ(x) où u(t) ∈ R est l’amplitude du champ extérieur appliqué et µ(x) est le moment dipolaire de la particule considérée. Les différentes approximations conduisant à cette expression sont détaillées par exemple dans [63, Chapitre 2]. On considère alors le système i∂tψ(t, x) = (−∆ + V (x)) ψ(t, x) − u(t)µ(x)ψ(t, x), (t, x) ∈ (0, T ) × D, ψ(t, x) = 0, (t, x) ∈ (0, T ) × ∂D, ψ(0, x) = ψ0(x), x ∈ D. (1.6) Le contrôle est la fonction réelle t 7→ u(t) et l’état est la fonction d’onde ψ(t, ·) ∈ S. Lorsque le système (1.6) est bien posé on note ψ(t, ψ0, u) la solution au temps t. Bien que 4 Chapitre 1. Introduction cette équation aux dérivées partielles soit linéaire, ce problème de contrôle est non linéaire i.e. l’application (u, ψ0) 7→ ψ(T ) est non linéaire. L’appellation bilinéaire est relative à la bilinéarité du terme ”u(t)µ(x)ψ” par rapport au couple état, contrôle (ψ, u). Un cas particulier, très étudié, est celui du puits de potentiel unidimensionnel i.e. ( i∂tψ = −∂ 2 xxψ − u(t)µ(x)ψ, (t, x) ∈ (0, T ) × (0, 1), ψ(t, 0) = ψ(t, 1) = 0. (1.7) Sans autre précision, les éléments propres λk,0, ϕk,0 et Φk,0 seront notés λk, ϕk et Φk.
Résultats précédents
Le contrôle de systèmes quantiques est un domaine en plein essor. Pour preuve, le Prix Nobel de Physique 2012 a été décerné à S. Haroche pour ses résultats expérimentaux sur l’observation de particules quantiques sans les détruire. Si le fossé entre résultats théoriques et expérimentations physiques reste encore à combler, les idées de mesures de particules quantiques développées par l’équipe de S. Haroche ont été utilisées pour la contrôlabilité d’un système quantique [126]. Mathématiquement, le problème de contrôle linéaire de l’équation de Schrödinger a été largement étudié. La propriété de réversibilité en temps et la méthode HUM (dont le principe est rappelé en Section 1.4.2) permettent de réduire la contrôlabilité exacte à l’observabilité du système adjoint. De nombreux outils ont été utilisés pour étudier cette inégalité d’observabilité comme la méthode des multiplicateurs (voir [71] par C. Fabre, [99] par E. Machtyngier), l’analyse microlocale (voir [96] par G. Lebeau, [34] par N. Burq), les inégalités de Carleman (voir [93, 94] par I. Lasiecka, R. Triggiani et X. Zhang) ou la théorie des nombres (voir [119, 131] par K. Ramdani, T. Takahashi, G. Tenenbaum et M. Tucsnak). Pour de plus amples détails, ainsi que des résultats pour des équations de Schrödinger non linéaires, on renvoie aux articles de synthèse [143, 95] par E. Zuazua et C. Laurent. Au vu de la modélisation précédente, ce cadre linéaire est insuffisant pour viser les applications physiques mentionnées. On se focalise donc, pour la suite, sur le cadre bilinéaire du système (1.6). Historiquement, le premier résultat concernant le contrôle bilinéaire en dimension infinie revêt une importance particulière. J.M. Ball, J.E. Marsden et M. Slemrod ont démontré dans [5] que pour un système de contrôle bilinéaire abstrait, ( w 0 (t) = Aw(t) + p(t)Bw(t), w(0) = w0, (1.8) l’ensemble des états atteignables à partir de n’importe quel w0 est d’intérieur vide dans l’espace ambiant. Ce théorème s’énonce comme suit. Théorème 1.1. Soit X un espace de Banach de dimension infinie. Soit A le générateur infinitésimal d’un semigroupe continu sur X et B : X → X un opérateur linéaire borné. Soit w0 ∈ X. Pour p ∈ L 1 loc([0, +∞), R), on note w(t, w0, p) l’unique solution faible de (1.8). Alors, l’ensemble R(w0) des états atteignables à partir de w0 défini par R(w0) := {w(t, w0, p) ; t ≥ 0, r > 1, p ∈ L r loc([0, ∞), R)} , est contenu dans une union dénombrable de compacts de X. En particulier, le complémentaire de R(w0) dans X est dense dans X. Ainsi, arbitrairement proche (pour une norme naturelle) de tout état atteignable, il existe des cibles que l’on ne pourra pas atteindre. Dans le cadre d’équations de Schrödinger bilinéaire, l’évolution de (1.7) ayant lieu sur la sphère S, ce résultat n’est pas surprenant. Cependant, en adaptant le Théorème 1.1 pour prendre en compte cette conservation de la norme, G. Turinici a montré dans [134] le théorème suivant. Théorème 1.2. Soit ψ0 ∈ S ∩ H2 (0). Pour u ∈ L 2 (0, T ), on note ψ(t, ψ0, u) la solution de (1.7) issue de ψ0. Soit R(ψ0) l’ensemble des états atteignables à partir de ψ0 défini par R(ψ0) := ψ(t, ψ0, u) ; t ≥ 0, u ∈ L 2 ((0, T ), R) . Alors le complémentaire de R(ψ0) dans S ∩ H2 (0) est dense dans S ∩ H2 (0). Ces résultats ne sont donc pas engageants du point de vue de la contrôlabilité exacte pour les systèmes bilinéaires de dimension infinie. Partant de ce constat, deux possibilités sont alors envisagées pour l’étude de tels systèmes : considérer des systèmes de dimension finie ou s’intéresser au contrôle approché du système de dimension infinie. Néanmoins, comme explicité dans la Section 1.2.2.2, ces résultats négatifs sont fortement dépendants du cadre fonctionnel et tombent en défaut pour des espaces ambiants plus réguliers. Un système quantique bilinéaire de dimension finie est de la forme i dX dt = H0X + u(t)H1X, (1.9) où X ∈ C n et H0, H1 sont des matrices hermitiennes. Ce système entre dans le formalisme des systèmes de dimension finie affines en le contrôle dont les propriétés de contrôlabilité sont reliées à l’algèbre de Lie engendrée par H0 et H1 (voir par exemple [63, Chapitre 3] par D. D’Alessandro). En dimension infinie, les crochets de Lie itérés peuvent être mal définis et leur application éventuelle à la contrôlabilité est mal comprise. Pour ces raisons, on ne détaille pas les résultats relatifs à la dimension finie qui sont assez éloignés des problématiques de ce mémoire.
Contrôle approché de systèmes quantiques bilinéaires de dimension infinie Contrôle exact des approximations de Galerkin.
Concernant le contrôle approché de systèmes quantiques bilinéaires de dimension infinie, plusieurs stratégies cohabitent. Une des méthodes les plus prolifiques consiste à utiliser les outils du contrôle géométrique. Le premier résultat pour un système abstrait dψ dt (t) = Aψ(t) + u(t)Bψ(t), u(t) ∈ U ⊂ R, (1.10) a été obtenu par T. Chambrion, P. Mason, M. Sigalotti et U. Boscain dans [45]. L’idée principale pour montrer la contrôlabilité approchée dans L 2 consiste à contrôler de manière 6 Chapitre 1. Introduction exacte les approximations de Galerkin du système (1.10) puis d’obtenir de bonnes propriétés d’approximation du système de dimension infinie par les systèmes de Galerkin de dimension finie. Il est à noter que, si cette stratégie semble naturelle, les propriétés de contrôlabilité d’un système de dimension infinie sont parfois très différentes de celles de ses approximations de Galerkin. A cet égard, il est important de garder à l’esprit le cas de l’oscillateur harmonique quantique i∂tψ = 1 2