Ce mémoire de thèse est la synthèse d’une recherche consacrée à l’étude de l’endommagement par mésofissuration des roches quasi-fragiles. En mécanique des roches, les domaines d’application concernés par ces phénomènes d’endommagement sont nombreux (stockage de déchets, construction d’ouvrages souterrains, forages pétroliers, etc.). Dans le cas particulier du stockage souterrain, le massif hôte doit assurer diverses fonctions dont celles de barrière à la diffusion d’éléments radioactifs. L’état de dégradation (induit ou non) du massif rocheux joue un rôle clef dans l’évaluation des propriétés requises.
Par matériaux quasi-fragiles, nous entendons une classe de matériaux dont le comportement mécanique présente un certain nombre de caractéristiques communes : non-linéarité des réponses, anisotropie et dilatance induites par les sollicitations, forte sensibilité à la pression moyenne, rupture avec présence de faibles déformations permanentes. L’endommagement, quant à lui, est compris comme l’altération des propriétés mécaniques du matériau, celle-ci étant provoquée par une évolution de la mésostructure. Dans le cas qui nous concerne, il s’agira de modifications irréversibles de mésostructure en relation avec la fissuration (création et croissance de mésofissures). Il existe deux approches pour étudier le comportement d’une telle classe de matériau :
– les modèles phénoménologiques qui utilisent des variables internes d’endommagement pour bâtir la loi de comportement macroscopique de milieux mésofissurés (endommagés) et qui fournissent des équations constitutives applicables efficacement au calcul d’ouvrages de Génie-Civil,
– les modèles mésomécaniques qui tentent de prendre en compte les mécanismes de déformations à l’échelle des grains et de construire la loi de comportement par une procédure de changement d’échelle dite de passage micro-macro.
Une troisième voie intermédiaire peut être l’étude du passage micro-macro en vue d’enrichir directement la formulation des modèles phénoménologiques. Ce type de formulation macroscopique construit donc une loi de type phénoménologique tout en se référant à des mésomécanismes physiques bien identifiés. Cette approche, pour être plus efficace, doit s’appuyer sur des analyses issues des approches mésomécaniques. L’ambition générale est d’enrichir la compréhension physique du comportement quasi-fragile.
Ce mémoire s’organise autour de quatre chapitre dont les grandes lignes sont brièvement évoquées ci-après.
Les roches quasi-fragiles telles que des grès ou des granites constituent une classe de matériaux hétérogènes dont le comportement non-linéaire sous sollicitations multiaxiales est assez complexe. Sous chargement de compression, elles présentent un certain nombre de caractéristiques communes dont les plus importantes sont :
• une réponse fortement non-linéaire accompagnée par une perte importante de rigidité,
• une anisotropie induite par les sollicitations ; cette anisotropie de comportement génère de manière générale des déformations volumiques fortement dilatantes. L’anisotropie ainsi que la dilatance peuvent être interprétées comme la conséquence d’une fissuration orientée. Nous reviendrons en détail sur ce point,
• une forte sensibilité à la pression moyenne. Une des manifestations les plus spectaculaires de cette caractéristique est la transition fragile-ductile souvent observée à fort confinement dans la réponse non-linéaire de roches réputées fragiles,
• un comportement irréversible sous sollicitations cycliques. Cette irréversibilité est accentuée par la présence de boucles d’hystérésis,
• l’existence de déformations permanentes parfois non négligeables, notamment pour les déformations volumiques. Les origines de telles déformations permanentes sont variées : champs d’autocontraintes, non-refermeture complète de défauts, frottement sur les lèvres de mésofissures.
Une importante littérature a été consacrée ces trois dernières décennies à l’étude des mécanismes physiques à l’origine d’un tel comportement des roches fragiles. Le résultat majeur de nombre de ces investigations est que l’on a pu relier la réponse mécanique des roches à leur degré de mésofissuration. Par exemple, à la suite notamment des travaux de Bienawski (1967), Paterson (1978) a synthétisé dans son ouvrage différentes phases du comportement mécanique reliées à des stades précis de développement de la mésofissuration ainsi qu’à l’évolution de nombreuses propriétés physiques.
Plus généralement, on distingue sur cette courbe plusieurs phases reliées à des degrés spécifiques de mésofissuration :
-(i) phase de serrage (OA) : le matériau supposé vierge contient en réalité des mésofissures qui se referment dans la première phase du chargement : c’est le phénomène de serrage. Parfois négligeable pour les roches, cette phase est pratiquement inexistante dans d’autres matériaux fragiles comme le béton.
-(ii) comportement linéaire (AB) : la réponse du matériau est linéaire dans cette phase. Un déchargement entraînerait la présence de boucles d’hystérésis de faible amplitude liée au frottement. Des mésofissures préexistantes peu inclinées par rapport à la contrainte principale majeure peuvent glisser (Bienawski, 1967). Au delà du seuil d’élasticité (en général, plus de 10 fois plus élevé en compression qu’en traction), des mésofissures préexistantes à la frontière des plus gros grains et de la matrice commencent à se propager.
-(iii) propagation (BC) : lorsque le niveau de sollicitations est encore plus élevé, les mésofissures se propagent aux interfaces grains-matrice puis dans la matrice. Durant cette phase, on observe une nette évolution des différentes propriétés physiques, signe d’une dégradation du matériau. Les mécanismes de création et de croissance de mésofissures dans cette phase seront spécifiquement analysés dans les prochains paragraphes. Précisons simplement qu’à ce stade, la propagation des mésofissures est stable.
-(iv) phase (CD) : C’est la phase de propagation instable qui précède la rupture macroscopique du matériau. Les non-linéarités des déformations s’accentuent. En particulier, on observe une importante dilatance sur la courbe de déformation volumique. Les mécanismes physiques d’interaction et de coalescence de mésofissures, en jeu durant cette phase, sont très complexes (ils dépendent par exemple du confinement) et conduisent généralement à la formation d’une macrofracture par un processus de localisation des déformations dont le traitement n’est pas abordé dans ce mémoire.
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