Le changement climatique est un problème emblématique dans le monde actuel. L’agriculture est considérée d’un côté comme une source d’émission de gaz à effet de serre (Stocker et Intergovernmental Panel on Climate Change, 2013) . Mais elle peut également être un outil permettant la séquestration du carbone dans le sol (Robert, 2001), via notamment la pratique de l’agriculture de conservation (AC) (Baker et al., 2007 ; Franzluebbers, 2008 ; Srinivasarao et al., 2015). Pour certain, l’agriculture de conservation est donc une des solutions pertinentes pour la lutte contre le réchauffement climatique (Fenni et Machane, 2010 ; Kaye et Quemada, 2017). Le principal mécanisme par lequel l’AC peut jouer sur la séquestration du carbone est l’augmentation de la restitution de biomasse végétale, et donc de carbone, au sol. (Lal, 1997; Ferreira et al., 2012; Smith et al., 2012; Poeplau and Don, 2015). La contribution de la biomasse racinaire dans cette séquestration de carbone est souvent mal évaluée alors qu’elle y joue un rôle important (Mazzilli et al., 2015a). Par exemple, la plupart des études considérant l’apport de carbone par les racines n’ont étudié que les apports dans les couches superficielles, par exemple Bolinder et al., (1999) ont travaillé sur une profondeur de 0 – 30 cm pour les fourrages; Wilts et al., (2004) ont prélevé les racines de maïs jusqu’à 45 cm.
A Madagascar, comme dans beaucoup de pays en voie de développement, les résidus de culture sont utilisés pour alimenter le bétail (Erenstein et al., 2015 ; Naudin et al., 2015). Dans ce cas la partie aérienne du carbone de la plante n’est donc pas directement restitué au sol, seule la partie souterraine reste. Nous avons donc cherché à mieux évaluer les apports en carbone des biomasses aériennes et souterraines par différent systèmes de culture. Nous avons notamment cherché à mieux évaluer l’importance de la biomasse racinaire des cultures pluviales jusqu’à des couches profondes. L’étude a été menée sur trois systèmes de culture à différentes finalités : un système en AC a priori plus intéressant pour le maintien de la fertilité du sol avec l’utilisationd’une plante de couverture (riz//maïs+crotalaire) ; un système en AC plus orienté vers la production de fourrage pour l’alimentation animale (riz//avoine+vesce) ; et un système en labour plus utilisé dans la production des grains pour l’alimentation humaine (riz//maïs+haricot). L’objectif est d’évaluer la quantité de carbone présente dans les racines de certaines cultures pluviales en relation avec celui des parties aériennes dans le système de culture étudié. Nous avons également cherché à modéliser la répartition de la biomasse racinaire en fonction de la profondeur pour pouvoir extrapoler les valeurs de prélèvements qui ne seraient fait que sur des horizons de surface. Nous avons également calculé le ratio biomasse aérienne et biomasse racinaire de ces plantes. Et enfin nous présenterons la quantité de carbone présente dans les différents compartiments de la plante, c’est à-dire dans la biomasse végétative aérienne, racine entre 0-15 cm, 15-30 cm et en dessous de 30 cm.
L’étude a été menée sur les Hautes terres de Madagascar. Un climat tropical d’altitude caractérise la zone, avec une saison sèche et fraîche pendant cinq mois suivie d’une saison chaude et humide durant sept mois dont quatre à cinq mois de pluie à partir de novembre. La température moyenne est de l’ordre de 19°C au début et pendant le cycle cultural (novembre au avril) et diminue à 13°C après la récolte jusqu’au mois d’août. La pluie moyenne mensuelle varie de 100 mm (en octobre) à 300 mm (décembre – janvier), puis elle diminue jusqu’à moins de 30 mm à partir de mois de mai . Les sols sont classés comme des sols ferralitiques humifères avec un pH acide et une teneur en argile élevée dans les horizons A et B et de texture sablo argileuse dans l’horizon II C/R (Razafimbelo et al., 2006). Ils sont fortement carencés en phosphore (Rakotoarisoa et al., 2010). La porosité est assez bonne sur l’ensemble des horizons.
Les expérimentations ont été conduites, pendant les campagnes culturales 2013 – 2014 et 2014- 2015, en milieu contrôlé FOFIFA/SCRiD d’Andranomanelatra (19°47’S, 47°06’E, 1640m), installé depuis 2002, et pendant la campagne 2014 – 2015 en milieu paysan situé autour d’Andranomanelatra, Antsirabe et Betafo (19°54’S, 46°53’E, 1569m).
En milieu contrôlé, l’expérimentation est en split splot, avec quatre blocs de répétitions. Trois systèmes de culture ont été comparés : (1) la rotation du riz pluvial (Oryza sativa), variété Chhomrong dhan, suivi du maïs (Zea mays), variété locale Tombontsoa cultivé en association avec la crotalaire (Crotalaria grahamiana), en AC (R//M+C), (2) la rotation du riz pluvial suivi de l’association de l’avoine (Avena sativa), variété Fanantenana et de la vesce (Vicia villosa), en AC (R//A+V), et (3) la rotation de riz pluvial suivi de l’association de maïs et de haricot (Phaseolus vulgaris), variété RI 5-2, en labour (R//M+H). Des parcelles complémentaires en culture pure de maïs, crotalaire, haricot, avoine et vesce ont été mises en place la campagne 2014 – 2015 avec les mêmes densités que celles des cultures en association. Elles ont servi pour comparer les racines de chaque type de plante en culture associée avec celles en culture pure.
En milieu réel, les essais ont été mis en place sur des parcelles de dix neuf paysans. Chez chacun de ces paysans, deux systèmes de culture ont été comparés : (1) riz pluvial en rotation avec de l’avoine + vesce, en AC et (2) riz pluvial en rotation avec du maïs + haricot, en labour sur des parcelles de 100 m2 chacune. Pour cette étude seule une partie de toutes les parcelles expérimentales a été utilisée. Il s’agissait de celles qui étaient fertilisées avec du fumier amélioré (27 g N kg-1 MS) de la même source, à raison de 5 t ha-1. La vesce n’a pas poussé ni en milieu contrôlé ni en milieu paysan.
Biomasses aériennes
La production de biomasse aérienne a été mesurée à chaque période de coupe de l’avoine (45 jours après semis (JAS)), et au moment de la floraison et à la récolte de toutes les plantes (riz, maïs, haricot, avoine, crotalaire). Les mesures au moment de la floraison ont été localisées sur des endroits différents suivant le type de plante : le riz et l’avoine ont été mesurés sur 4 x 1 m2 sur les quatre côtés de la parcelle, le maïs et le haricot sur 2 m linéaire de la double ligne, la crotalaire sur 2 x 1 m2 . Pendant la coupe de l’avoine et à la récolte de toutes les plantes, les mesures ont été situées sur un carré de 5 m x 5 m au milieu de la parcelle. Des échantillons ont été prélevés à chaque mesure et ont été passés à l’étuve à 60°C pendant 72 h, pour connaître la teneur en matière sèche et en déduire la production de biomasse en matière sèche.
Biomasses racinaires
La production de biomasse racinaire a été mesurée pendant la période de coupe de l’avoine, au moment de la floraison de toutes les plantes et avant la remise en culture pour les plantes de couverture (crotalaire). Le prélèvement des racines a été effectuéen utilisant une tarière à racines Eijkelkamp® de 8 cm de diamètre et 15 cm de hauteur (750 cm3 ), au même endroit et aux mêmes dates de prélèvement des biomasses aériennes. Les positions du cylindre et la profondeur pour le prélèvement racinaire varient suivant la densité de semis de chaque culture . La mesure a été faite par horizon de 15 cm jusqu’à des profondeurs maximales respectives de 60, 75, 105, 105, 150, 180 cm pour le haricot, l’avoine à la première coupe, le riz, l’avoine en floraison, la crotalaire, la première année de l’expérimentation. La deuxième campagne, les profondeurs maximales mesurées pour le haricot, riz et maïs ont été respectivement réduites à 45, 60 et 135 cm, profondeur où les racines atteignent déjà plus de 95% par rapport au profil maximal mesuré la première année.
Les échantillons de sol prélevés avec les racines ont été tamisés (maille quadrangulaire de 1mm) le même jour du prélèvement ou le jour suivant, et dans ce cas les échantillons ont été conservé dans un réfrigérateur à 8°C pour préserver les petites racines. Les racines ont été prélevées manuellement dans le tamis, et mises en étuve à 60°C pendant 72 h, puis pesées à l’aide d’une balance KERN 770® de portée 220 g et d’une précision de 0,0001 g.
Estimation de la distribution racinaire
La distribution des racines de chaque type des cultures dans le profil a été estimée à partir de l’équation de Fan et al. (2016) :
Yi (d) = 1/[1+(d/da)c] + [1-1/[1+(dmax/da)c]] * d/dmax
Avec Yi(d) la distribution des racines pour chaque profil i à la profondeur d, da un paramètre du modèle exprimé en cm, c un autre paramètre, et dmax la profondeur maximale mesurée, en cm.
Etant donné que les profondeurs maximales mesurées la première et la deuxième année n’ont pas été les mêmes, la distribution racinaire a été estimée, dans un premier temps, sur les données de la première année mais en utilisant la profondeur maximale de la deuxième année de la même culture. L’objectif était de comparer les ratios cumulés des racines estimés par le modèle (en première année) et ceux mesurés la deuxième année. Si aucune différence statistique, avec un test non paramétrique, α = 0,05, n’est trouvée, le modèle retenu est celui obtenu avec les données dont les prélèvements sont les plus profonds (ceux de la première année).
Le coefficient de Nash – Sutcliffe (Nash et Sutcliffe, 1970) a été utilisé pour évaluer l’efficacité du modèle. Pour avoir les quantités des racines sur les mêmes profondeurs pour la première et la deuxième année, les racines des profondeurs manquantes ont été estimées à partir des ratios obtenus avec les mesures complètes.
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