Contribution des intervenants bénévoles et professionnels à la construction du suicide en tant que problème social

Notre intérêt pour l’actuel sujet de thèse relève en fait de notre cheminement professionnel comme intervenante dans le champ des problèmes sociaux (Champagne, 1992). Cette expérience nous a constamment confrontée à une multitude de problèmes sociaux sans nécessairement nous amener à nous interroger de façon systématique sur leur caractère de construits collectifs (Mayer et Laforest; 1990 : 21). Notre sujet de thèse privilégie l’étude d’un de ces problèmes sociaux, soit le suicide. Nous nous intéressons particulièrement à la contribution des intervenants bénévoles et professionnels de l’Abitibi-Témiscamingue dans la construction du suicide en tant que problème social.

Notre choix se justifie également par notre implication personnelle dans la prévention du suicide en AbitibiTémiscamingue. Nous avons en effet exercé diverses fonctions ati sein des services de prévention suiCide gestionnaire, intervenante bénévole, superviseure. Au départ, nous voulions réagir au modèle de maladie mentale préconisé en psychiatrie où l’on considère légitime d’intervenir par les médicaments ou l’internement, dans l’optique de protéger le malade contre la tentation du suicide. Scheff (1966) attribue cette attitude des psychiatres à la crainte d’être blâmés et poursuivis en justice à la suite d’une mauvaise décision.

Au Québec et au Canada, ce n’est que depuis un peu plus de vingt ans que le suicide comme problème social constitue une préoccupation importante pour la collectivité. La visibilité du problème se manifeste en effet avec les efforts d’organisation déployés pour le prévenir vers la fin des années 70, alors qu’on assiste à une dramatisation constante du discours public . Pourtant, le suicide est un phénomène universel qui a été observé dans la majorité des cultures et lors de diverses périodes de l’histoire du monde . Même s’il a des fondements bien réels, l’importance qu’on lui accorde de même que les significations qm l’entourent sont malgré cela tributaires des acteurs qui réussissent à en imposer leur conception, leur définition, dans un contexte social, une période et une culture donnés.

En Abitibi-Témiscamingue, l’étude de Bordeleau (1977) contribue à la mise en évidence du suicide comme situation problème. Cette étude régionale fait état d’une situation alarmante quant à l’importante proportion des décès par suicide dans la région. La première action à laquelle elle donne lieu prend la forme d’une journée d’étude régionale dont l’objectif est de sensibiliser les organismes du milieu les plus concernés par le problème (réseau des affaires sociales et de la santé et la population en général). Cette journée est organisée par des professionnels de différents milieux, des gestionnaires, des policiers, etc. Ce colloque met en  évidence le peu de concertation entre les divers intervenants  plutôt que l’absence d’intervention auprès de la clientèle  suicidaire.

C’est le début de la mobilisation communautaire vers une action concertée. L’un des moyens que l’on retient alors pour maîtriser le problème du suicide réside dans la formation des intervenants bénévoles. Ceux-ci sont donc formés et supervisés par des professionnels et leur travail correspond à celui que privilégient les centres d’intervention d’urgence, où les services d’écoute téléphonique représentent la forme d’intervention la plus connue.

La notion de bénévolat a été examinée par plusieurs auteurs. Notons, entre autres, la définition de Godbout, pour qui le terme bénévole renvoie à un « . . . acte volontaire, librement accepté, gratuit au sens de libre … Ces activités se ·situent hors du monde du travail et de la production, hors de la rupture créée par le rapport salarial. » (1992 : 1 09) .

D’autre part, Guay (1984) nous offre une définition du bénévolat plus proche du monde professionnel en disant qu’il s’agit de la forme la moins naturelle d’aide non professionnelle parce que c’est essentiellement un travail, même s’il n’est pas rémunéré. L’auteur rejoint cependant Godbout en situant le bénévolat comme un geste libre qui exprime une conscience humanitaire et communautaire et le sens des responsabilités sociales.

Les attitudes du monde antique envers le suicide apparaissent comme étant plutôt neutres. Pour l’aristocratie, la mort est considérée comme le passage d’une forme d’existence à une autre et le suicide comme une façon humaine d’échapper à la vie difficile et à l’injustice. À cette époque, l’école de la pensée stoïcienne prône que le devoir de l’homme ·est d’obéir aux dieux, d’agir selon la raison, de suivre la nature (Veyne, 1980). Le suicide devient donc sujet d’admiration si la décision a été prise de façon raisonnable et en pleine liberté.

C’est donc à l’individu qu’il revient, en dernière instance , d’évaluer et de décider en regard de sa vie. Toutefois, il ne s’agit pas de n’importe quel individu. La morale stoïcienne est en effet différente pour les esclaves et les soldats. L’esclave ou le soldat qui se suicidait était considéré comme un lâche. Il ne pouvait être considéré comme ayant des motifs raisonnables et ne pouvait bénéficier de la liberté intérieure réservée à l’aristocratie. Ces suicidés étaient considérés comme une perte économique pour leurs maîtres et pour les droits de l’État. Lorsque l’acte du suicide était jugé répréhensible, une condamnation spéciale existait : les suicidés devenaient des esprits malfaisants qui inspiraient la peur chez les survivants. Pour contrer cette peur, les corps des suicidés devaient subir des rites purificatoires, soit la mutilation du corps pour empêcher l’âme du suicidé de revenir faire peur aux vivants.

L’originalité de cette période est cependant d’avoir reconnu ce que beaucoup de sociétés ne veulent pas reconnaître, soit le suicide réfléchi.

Table des matières

INTRODUCTION
CHAPITRE 1: LA PROBLEMATIQUE
· 1. Position du problème de recherche
·1.1. Évolution des conceptions de la notion de suicide
1.1.1 L’antiquité et la logique de la raison
1.1.2 La chrétienté et la logique répressive
1.1.3 La société moderne et la logique de gestion de l’individu
2. Définition du suicide et des comportements suicidaires
3. Le phénomène du suicide en Abitibi-Témiscamingue
3 . 1 Profil et caractéristiques de la région de l’Abitibi-Témiscamingue 3
3 . 2 La prévention du suicide en AbitibiTémiscamingue
4. Pratique des intervenants bénévoles et des professionnels
5. Les objectifs et les questions de recherche
CHAPITRE II: LES ASPECTS THEORIQUES
1. Les principales théories explicatives du suicide
1.1 L’approche sociologique
1. 2 L’approche médico-psychiatrique
1.3 L’approche biologique
1.4 L’approche stratégique
1.5 L’approche psychologique
1.6 L’approche écologique ou biopsychosociale
2. Les modèles théoriques retenus
2 . 1 L’interactionnisme symbolique
2. 2 Le constructivisme
2. 3 La sociologie des représentations
2.4 La sociologie implicite
2.5 La phénoménologie
CONCLUSION

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