Contribution à l’étude de l’environnement structural du chrome dans les verres
Le Cr3+ comme sonde locale de la structure des verres silicatés ?
Trois séries de verres silicatés ont été synthétisées (II.1.1). Afin d’étudier l’influence des différents cations modificateurs utilisés dans les verres silicatés, des compositions simples ont été adoptées. Tous les systèmes ont été étudiés par spectroscopie d’absorption optique. Les verres SL, SC et SCN ont été également étudiés par spectroscopie d’absorption X, ainsi que par RPE pour les deux derniers. Une série de verres binaires (trisilicates d’alcalins) a permis d’étudier l’effet de la concentration et de la nature des alcalins (Li, Na, K et Cs). Le verre ternaire SLCs a permis d’étudier l’effet de mélange d’alcalins (Li et Cs) sur le site du Cr3+ (en prenant l’alcalin le plus léger et le plus lourd pour avoir un effet maximal). Une deuxième série de verres binaires a été consacrée aux alcalino-terreux. De même, un verre mixte a été synthétisé dans le but d’observer un éventuel effet d’alcalino-terreux mixte. Dans cette série, la teneur en alcalinoterreux (au moins 45 %) est nettement supérieure à celle des alcalins de la première série. En effet, les verres ne sont vitrifiables dans les conditions usuelles que pour une faible plage de composition, autour d’un eutectique dans le diagramme binaire (II.3). Une troisième série de verres représente des mélanges d’alcalins et d’alcalino-terreux. Parmi ceux-ci, le verre sodocalcique SCN a une composition assez proche de celle du verre industriel standard (verre à vitre ou verre creux). La concentration en chrome n’est pas constante entre les différents échantillons étudiés ici. Comme il a été montré que les principaux paramètres spectroscopiques (champ cristallin en absorption optique et distance Cr-O en absorption X) étaient peu sensibles à sa valeur (IV.2), il est considéré que la concentration en chrome n’influe pas sur les résultats présentés ici et que sa variation n’empêche pas la comparaison des systèmes. Le choix d’une concentration de l’ordre de 0,5 % en Cr2O3 permet d’améliorer le rapport signal sur bruit en absorption optique par rapport à une concentration de seulement 0,05 %, comme cela a déjà été signalé. IV.3.1.Résultats de spectroscopie d’absorption optique Série des silicates d’alcalins : effet de la nature de l’alcalin Les spectres d’absorption optique des silicates d’alcalins (Figure IV-12) montrent un déplacement des bandes principales d’absorption vers les basses énergies lorsque le lithium est remplacé par le sodium puis le potassium. Ce déplacement est accompagné d’une faible modification de la largeur de bande et d’un creusement des structures additionnelles.Les résultats de l’exploitation des spectres d’absorption optique (Tableau IV-10) montrent une variation conséquente des paramètres spectroscopiques suivant l’alcalin considéré. Ainsi l’intensité du champ cristallin diminue-t-elle d’environ 640 cm-1 entre le silicate de lithium (SL) et le silicate de césium (SCs), le paramètre de Racah B diminue-t-il de 60 cm-1 (soit près de 10 %) et la largeur de bande diminue-t-elle de 10 %. La variation de l’intensité de la première bande est en revanche à peine supérieure à l’incertitude (de 14 à 16 L.mol-1 .cm -1). Les silicates de sodium (SN) et de potassium (SK) viennent compléter cette série décroissante de champ cristallin, de largeur de bande et de paramètre de Racah. Le rapport des largeurs est un peu plus grand (1,4 au lieu de 1,3) pour les verres SK et SLCs. Le silicate de potassium est aussi le verre présentant la bande de champ cristallin de plus faible largeur. L’élargissement des bandes dans les verres de structure locale la plus désordonnée se manifeste donc d’abord sur la première bande (de champ cristallin).La diminution du champ cristallin et du paramètre de Racah B le long de la série des alcalins est en accord, du moins qualitativement, avec les résultats antérieurs concernant des verres moins dépolymérisés (Tischer 1968) ou au contraire plus dépolymérisés (RodriguezMendoza et al. 1999 et 2004). Cependant, toutes les valeurs de ∆o de Tischer sont décalées vers les hautes énergies tandis que leur variation est près de deux fois plus faible et non monotone (Figure I-13). La variation de B27 est en revanche beaucoup plus importante que celle mise en évidence ici (160 cm-1, soit 25 %) et ses valeurs absolues sont nettement plus faibles. La différence pourrait venir, notamment, de phénomènes de séparation de phase signalés dans ces compositions comportant seulement 15 % d’alcalin. Dans des verres très dépolymérisés, les résultats les plus récents sont très proches de ceux présentés ici pour ∆o et B (RodriguezMendoza et al. 2004). Le faible décalage de B vers les hautes énergies est attribué à la faible concentration en chrome (on retrouve d’ailleurs exactement la même valeur que dans le verre SN, IV.1.1) plutôt qu’à la plus forte proportion d’alcalin (puisque les verres S33N et SN05 présentent la même valeur de B). L’évolution des largeurs est en bon accord avec celle dégagée par Tischer (1968), qui indique toutefois un minimum de largeur beaucoup plus marqué pour le silicate de potassium. Les largeurs des verres au Na et Cs sont en effet 1,3 à 1,4 fois plus grandes qu’ici, sans doute à cause de la forte concentration en chrome (IV.2.1). Pour des verres faiblement concentrés en Cr et plus dépolymérisés (Rodriguez-Mendoza et al. 2004), la diminution des largeurs (plus faibles qu’ici) est confirmée lorsque l’on passe du lithium au sodium et au potassium. Par ailleurs, les resultats antérieurs permettent de calculer le rapport des largeurs des deux bandes principales (Tischer 1968 ; Rodriguez-Mendoza et al. 2004) et confirment qu’il est le plus grand pour le verre SK. La bande de champ cristallin est donc la plus sensible au désordre. En ce qui concerne l’intensité des bandes, aucune tendance claire ne se dégage des valeurs précédentes de coefficient d’extinction molaire (Tischer 1968) ou de force d’oscillateur (Rodriguez-Mendoza et al. 2004). D’après Nath et Douglas (1965) cependant, ε augmenterait de 16,3 à 18,6 et 19,1 L.mol-1 .cm -1 pour les trois premiers alcalins. Une telle tendance n’est pas visible ici. Les résultats présentés ici, qui mettent clairement en évidence les évolutions du champ cristallin, du paramètre de Racah et de la largeur de bande en fonction de la nature de l’alcalin modificateur de réseau, précisent et complètent la bibliographie disponible. Ils permettent notamment d’envisager d’étudier l’effet d’alcalin mixte sur la structure locale autour du chrome dans les verres.
Verre d’alcalins mixte
Le verre d’alcalins mixte (SLCs) présente un champ cristallin intermédiaire entre celui des deux compositions extrêmes (SL et SCs). Plus précisément, ∆o (15 180 cm-1) est très proche de la moyenne de ces extrêmes (15 200 cm-1). La largeur de bande est légèrement supérieure à celle qui est observée dans les silicates binaires correspondants (SL et surtout SCs), indiquant probablement une plus large distribution de site. Une modélisation simple montre que la largeur de la somme de deux gaussiennes de paramètres ceux obtenus pour SL et SCs donne une bande (non exactement gaussienne) de largeur à mi-hauteur 3 040 cm-1 environ28. La largeur expérimentale étant légèrement supérieure (3 040 cm-1), elle correspond à une distribution relativement large (par rapport aux verres binaires) autour d’un site moyen plutôt qu’à deux distributions superposées correspondant à deux environnements du chrome de type « lithium » et de type « césium ». D’ailleurs, une seule fonction gaussienne suffit à ajuster la bande de champ cristallin. Les résultats sur les propriétés spectroscopiques du chrome dans ce verre mixte indiquent donc un mélange des cations moficateurs de réseau. Au sein de la série des silicates d’alcalin, le verre SK comporte les dips les plus intenses (Figure IV-12, Tableau IV-11), alors qu’il s’agissait du silicate de sodium dans la série de Rodiguez-Mendoza et al. (1999). Dans cette dernière série (qui ne comportait pas de verre au Cs), l’intensité était en effet similaire dans les verres de Li et de K. Dans tous les verres, l’intensité supérieure des « dips » par rapport à celle obtenue ici peut être expliquée par la plus faible concentration en Cr (IV.2.1) et non par le taux d’alcalin supérieur (Tableau IV-13). Les résultats obtenus ici montrent que les dips les plus intenses sont obtenus en parallèle avec un facteur q faible (en valeur aboslue) et une faible intensité du champ cristallin. Cette évolution concomitante de q et de ∆o est conforme à ce qui avait déjà été relevé (Rodriguez-Mendoza et al. 1999). Les paramètres liés au niveau 2 T1 n’avaient jamais été étudiés dans une série. L’évolution de ρ2 2 est similaire à celle de ρ1 2 . Les évolutions des trois autres paramètres sont moins claires. Pour le verre mixte (SLCs), les paramètres sont compris entre ceux des deux verres binaires correspondants (SL et SCs). La faible valeur de γ1 laisse penser que les dips observés ne sont pas le résultat de la somme de deux contributions correspondant à deux environnements de type « lithium » et « césium ». La position du système considéré dans le diagramme de Tanabe-Sugano (Figure IV-2), c’est-à-dire la valeur du rapport ∆o/B, peut être envisagée afin d’expliquer les variations d’intensité des « dips » (facteur ρ 2 ). C’est en effet avec les verres SK et SCs que l’on obtient les « dips » de plus grande intensité. C’est également dans ces verres que le niveau 2 E est le plus proche du niveau 4 T2 (après normalisation par le paramètre de Racah). Autrement dit, dans le diagramme de Tanabe-Sugano, le niveau étroit se trouve plus proche de la région du « croisement » avec le niveau large. La proximité de ces niveaux pourrait favoriser leur couplage, et donc expliquer l’augmentation du facteur ρ1 2 . Par contre, la position relative des niveaux 2 T1 et 4 T2 dans les différents verres ne permet pas d’expliquer la variation du facteur ρ2 2 , qui est parallèle à celle de ρ1 2 . D’autres explications des variations d’intensité des dips sont donc à rechercher. Un couplage moins fort entre les niveaux étroits et le niveau large peut être interprété comme la manifestation d’une distorsion plus importante de l’octaèdre autour du Cr. Cette distorsion défavoriserait le couplage électron-phonon qui serait à l’origine de ces dips (Calas et al. 2006a). L’hypothèse d’une distorsion plus importante peut être justifiée par la largeur très supérieure de la bande principale quand le dip est moins intense. Toutefois, cette interprétation vient en contradiction de celle qui avait permis d’expliquer l’intensité supérieure des dips dans les verres par rapport aux cristaux (Illarramendi et al. 1993 ; Voda et al. 1994) : le désordre (et notamment la distorsion) permettrait un mélange plus important des composantes de spinorbite du niveau 4 T2 et des composantes du niveau 2 E. Il a été montré (dans le cas des complexes et cristaux au Ni2+) qu’une relation quantitative entre l’intensité des « dips » et l’écart entre les positions énergétiques des niveaux concernés ou la largeur du niveau large ne pouvait être avancée qu’avec prudence (Gonzalez et al. 2007). Dans le cas des verres au Cr3+ , une hypothèse au sujet de la faible intensité des dips quand la largeur de la bande principale augmente est liée à la distribution de site. En effet, la position des dips varie beaucoup moins que le champ cristallin (Figure IV-2) et le résultat d’une augmentation de la distribution de ce dernier (seulement) est une somme de dips moins intense (et sans doute plus large).
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