CONTRIBUTION A L’ÉTUDE DE LA CONTRÔLABILITÉ DES SYSTÈMES LINÉAIRES SUR LES GROUPES DE LIE NILPOTENTS ET RÉSOLUBLES
Systèmes linéaires sur les groupes de Lie
Dans ce chapitre on rappelle ce que sont les groupes de Lie nilpotents, les groupes de Lie résolubles, les systèmes linéaires sur les groupes de Lie et leurs propriétés générales. Il est subdivisé en trois sections. La section 1.1 est réservée à la définition et propriétés des groupes de Lie nilpotents et résolubles. La section 1.2 est consacrée aux définitions, caractérisations et propriétés des champs linéaires. La section 1.3 est essentiellement consacrée aux propriétés et à la contrôlabilité des systèmes g˙ = X (g)+Pm j=1 ujYj (g) où X est un champ de vecteurs linéaire et les Yj des champs invariants à droite. Dans toute la suite G désigne un groupe de Lie connexe, et g son algèbre de Lie.
Groupes de Lie nilpotents et résolubles
Soit G un groupe de Lie connexe d’algèbre de Lie g. Définition 1 On appelle série centrale descendante de g, la série (C n g )n>0 d’idéaux de g définie par C 0 g = g et C n+1 g = g, C n g . On dit que G est nilpotent si il existe p ∈ N tel que C p g = {0}. Définition 2 On appelle série dérivée de g, la série (Dn g )n>0 d’idéaux de g définie par D0 g = g et Dn+1 g = Dn g , Dn g . On dit que G est résoluble si il existe p ∈ N tel que Dp g = {0}. Remarque. Les inclusions suivantes sont toujours vérifiées : (1) C i+1 g ⊂ Ci g . 11 (2) Di+1 g ⊂ Di g . Définition 3 (1) Le commutateur de deux éléments x et y de G noté [x, y] est l’élément de G [x, y] = x −1 y −1xy. (2) Le groupe dérivé de G est le sous-groupe noté D1G de G engendré par tous les commutateurs de G. (3) Le ième groupe dérivé de G noté DiG, i ≥ 2 est le groupe dérivé de Di+1G. (4) On définit aussi la série centrale descendante C nG de sous-groupes de G par C 0G = G et C i+1G est le sous-groupe engendré par les commutateurs [x, y] où x ∈ G et y ∈ Ci+1G. Proposition 1 Si G est un groupe de Lie simplement connexe, de dimension finie alors les sous-groupe dérivés DiG (resp. centraux C iG) sont des sousgroupes de Lie d’algèbre de Lie DiG (resp. C iG). La démonstration de cette proposition se trouve dans [Bourbaki2] page 232. Définition 4 1. On appelle dérivation de g, tout endomorphisme de g qui vérifie D([x, y]) = [D(x), y] + [x, D(y)] ∀ x, y ∈ g. 2. h est un idéal de g, si h est une sous-algèbre de Lie telle que, [h, g] ∈ h, ∀h ∈ h et ∀g ∈ g. 3. Un idéal de g est dit caractéristique si il est stable par toute dérivation de g. Remarque Tout groupe de Lie nilpotent est résoluble, la réciproque est fausse. Par exemple le groupe Aff+(2) qui est défini dans la section 2.2 est résoluble mais n’est pas nilpotent. Proposition 2 1. Les sous-algèbres de Lie de la série centrale descendante et les sous-algèbres de Lie dérivées sont des idéaux caractéristiques. 2. Si h est un idéal de g, g/h est abélien si et seulement si D1 g est inclus dans h. 3. Si G est simplement connexe, les sous-groupes de Lie correspondants aux sous-algèbres de Lie de la série descendante ou aux sous-algèbre dérivées sont fermés. La démonstrations 1 et 2 sont immédiates et se trouvent par exemple dans [Bourbaki1] ; pour 3 voir [Bourbaki2] page 232.
Champs de vecteurs linéaires
Soit G un groupe de Lie connexe, et g son algèbre de Lie, identifiée à l’ensemble des champs de vecteurs invariants à droite. L’ensemble des champs de vecteurs analytiques sur G est noté V ω (G), et le normalisateur de g dans V ω (G) est par définition N = normV ω(G)g = {F ∈ V ω (G); ∀Y ∈ g [F, Y ] ∈ g}. Definition 5 Un champ de vecteurs F sur G est dit linéaire s’il appartient à N et vérifie de plus F(e) = 0. En d’autres termes la restriction de ad(F) à g est une dérivation de g. Il est bien connu que N est une sous-algèbre de Lie de V ω (G). L’application F 7−→ ad(F) est un morphisme d’algèbre de Lie de V ω (G) dans l’algèbre D(g) des dérivations de g. Le théorème 1 permet de caractériser les champs linéaires de trois manières différentes, sa démonstration se trouve dans [Jouan11]. Théorème 1 Soit X un champ de vecteurs sur un groupe de Lie connexe G. Les conditions suivantes sont équivalentes : 1. X est linéaire ; 2. le flot de X est un groupe à un paramètre d’automorphismes de G ; 3. X vérifie ∀x, x0 ∈ G Xxx0 = T Lx.Xx0 + T Rx0.Xx (1.1) La seconde condition implique qu’un champ de vecteurs linéaire sur un groupe de Lie connexe est complet. Ce théorème montre qu’un champ linéaire n’est rien d’autre que ce qui est couramment appelé automorphisme infinitésimal dans la littérature par exemple dans [Bourbaki2].
La dérivation associée à un champ linéaire
Définition 6 Soit X un champ linéaire. On peut associer à X la dérivation D de g définie par : ∀Y ∈ g DY = − [X , Y ] , c’est à dire D = −ad(X ). 13 Remarque. Le signe »- » qui apparait dans cette définition vient de la formule [Ax, b] = −Ab dans R n . Il permet aussi d’éviter un signe « – » dans les formules de la proposition suivante. Proposition 3 Pour tout t ∈ R Teϕt = e tD et, par conséquent, ∀Y ∈ g ∀t ∈ R ϕt(exp Y ) = exp(e tDY ) La démonstration de cette proposition se trouve dans [Jouan11] page 30-31
Les dérivations intérieures
Définition 7 Une dérivation D de g est intérieure si il existe un élément X ∈ g tel que D = ad(X). Soit X ∈ g un champ de vecteurs invariant à droite. On note par I le difféomorphisme de G défini par : x −→ x −1 . Le champ de vecteurs I∗X est invariant à gauche ; il est égal à −Xe au point e et le champ de vecteurs X = X + I∗X est ainsi linéaire. La dérivation D = −ad(X ) = −ad(X) est intérieure et le flot de X est donné par : ϕt(x) = exp(tX)x exp(−tX). Remarques. 1. A toute dérivation intérieure dans un groupe de Lie quelconque, on peut associer un champ linéaire. Ceci n’est pas vrai lorsque la dérivation n’est pas intérieure et que le groupe n’est pas simplement connexe. 2. Si G est un groupe de Lie matriciel, donc un sous-groupe de GL(n) pour un certain n, les champs de vecteurs invariants à droite sur G sont les champs M −→ XM où X appartient à g. Le champ linéaire associé à D = −ad(X) est par conséquent : X (M) = XM − MX. Ce sont les premiers exemples de champs linéaires considérés en théorie du contrôle (Cf [Markus81]). 3. Si G est semi-simple toutes les dérivations de g sont intérieures donc tous les champs de vecteurs linéaires sont du type précédent.
Champs linéaires sur les groupes simplement connexes
Théorème 2 On suppose que le groupe G est connexe est simplement connexe, et soit D une dérivation de son algèbre de Lie g. Alors il existe un et un seul champ de vecteurs linéaire sur G dont la dérivation associée est D. La démonstration de ce théorème est contenue dans le lemme 4, page 250, de [Bourbaki2].
Les systèmes linéaires
Définition 8 Un système linéaire sur un groupe de Lie connexe G est un système contrôlé (Σ) ˙g = X (g) +Xm j=1 ujYj (g) où X est un champ de vecteurs linéaire et les Yj des champs de vecteurs invariants à droite. Les contrôles uj prennent leurs valeurs dans R. L’ensemble des entrées admissibles est un sous-espace de L ∞ loc([0, +∞[ , R m) qui contient les entrées constantes par morceaux et qui est stable par concaténation. Une entrée t −→ u(t) = (u1(t), . . . , um(t)) étant fixée on note par gu(t) (ou simplement g(t) si il n’y a pas d’ambiguité) la trajectoire de (Σ) qui vérifie gu(0) = g.
Propriétés des ensembles accessibles
Le résultat suivant dont la démonstration se trouve dans [CM05] est fondamental. Proposition 4 L’entrée t 7−→ u(t) étant fixée, on note par eu(t) la trajectoire issue de e. La trajectoire issue de g est alors gu(t) = eu(t)ϕt(g), où (ϕt)t∈R désigne le flot de X . Remarque. Si les champs de vecteurs Yj étaient invariants à gauche on aurait de la même manière gu(t) = ϕt(g)eu(t). Notations On note par : 15 (i) A(g, t) = {gu(t); u ∈ L ∞[0, t]}, l’ensemble des points accessibles du point g en temps t; (ii) A(g, ≤ t) = [ s≤t As, l’ensemble des points accessibles du point g en temps plus petit que t; (iii) A(g) = [ t∈R At , l’ensemble des points accessibles du point g en temps quelconque. En particulier les ensembles atteignables de l’identité e seront notés par At = A(e, t) et A = A(e). Ces différents ensembles sont liés par les relations suivantes : Proposition 5 1. ∀ t ≥ 0 A(e, ≤ t) = A(e, t) = At . 2. ∀ 0 ≤ s ≤ t As ⊂ At . 3. ∀ g ∈ G A(g, t) = Atϕt(g). 4. ∀ s, t ≥ 0 At+s = Atϕt(As) = Asϕs(At). La démonstration des deux premières assertions se trouvent dans [Sontag98]. Les deux dernières sont des conséquences immédiates de la proposition 3. On note également par A− = {g ∈ G; e ∈ A(g)} l’ensemble des points à partir desquels l’identité peut être atteint. C’est l’ensemble des points atteignables de l’identité pour le système inverse : (Σ−) ˙g = −X (g) +Xm j=1 −ujYj (g).
Algèbre de Lie du système
L’algèbre de Lie du système (Σ), notée L est l’algèbre de Lie engendrée par {X , Y1, · · · , Ym} et (Σ) vérifie la condition du rang si L = g. L’idéal de l’accessibilité forte noté L0 est l’idéal de L engendré par Y1, · · · , Ym. Rappelons que L0 est la plus petite sous-algèbre de Lie qui contient Y1, · · · , Ym et qui est fermée pour le crochet de Lie avec X , autrement dit : X ∈ L0 =⇒ DX ∈ L0. Rappelons également que L = L0 ⊕ RX .
Condition du rang
On rappelle que la condition du rang est une condition nécessaire de contrôlabilité (voir [Sontag98]). Soit h la sous-algèbre de Lie de g engendrée par {Y1, · · · , Ym}, et notons Dh le sous-espace vectoriel de g engendré par h et stable par la dérivation D associée à X : Dh = Vect{D kY ; Y ∈ h et k ∈ N}. Notons enfin LA(Dh) la sous-algèbre de Lie de g engendrée par Dh. La proposition qui suit donne une condition nécessaire et suffisante pour que le système vérifie la condition du rang. Proposition 6 La sous-algèbre LA(Dh) est stable par D. Elle est par conséquent égale à l’idéal de l’accessibilité forte L0, et l’algèbre de Lie du système est égale à RX ⊕ LA(Dh) = RX ⊕ L0. Le système vérifie la condition du rang si et seulement si L0 = g. La démonstration de cette proposition repose sur le fait que L0 ⊂ g et rang (RX ⊕ L0)(e) = rang(L0)(e); elle se trouve dans [Jouan11].
Extension du système
Le Saturé de Lie LS(Σ) du système (resp le saturé de Lie fort LSS(Σ) du système) est l’ensemble des champs de vecteurs f qui appartiennent à l’algèbre de Lie du système et dont le flot φt vérifie ∀g ∈ G, ∀t ≥ 0 φt(g) ∈ A(g) (resp. φt(g) ∈ A(g, ≤ t)). La notion de saturé de Lie se trouve dans [Jurdjevic97] (voir aussi [Gauthier84], [JK81]). L’intérêt de cette notion vient de la proposition suivante, (voir [Jurdjevic97]). Proposition 7 Si un système (Σ) est Lie déterminé alors Int(A(g, 6 t)) = Int(A(g, 6 t)). Par conséquent certains champs de vecteurs peuvent être ajoutés, on a la proposition suivante : 17 Proposition 8 L’algèbre de Lie h est contenue dans LSS(Σ), ainsi le système (Σ) peut être remplacé par le système (Σ) ˙ e g = X (g) +Xm j=1 ujYej (g) où Ye1, · · · , Yem est base de h, sans modifier A(g, ≤ t)) et l’intérieur des ensembles A(g, ≤ t).
Contrôlabilité locale et condition du rang algébrique
Un système contrôlé est localement contrôlable au voisinage d’un point d’équilibre dès que son linéarisé est contrôlable (Cf [NvdS90]). Ici « localement contrôlable au voisinage d’un point g signifie que l’ensemble A(g, t) est un voisinage de g pour tout t > 0. Définition 9 On dit que le système (Σ) vérifie la condition du rang algébrique (ou ad-rank condition dans [AT99]) si Dh = g, en d’autres termes si le linéarisé au point e du système étendu (Σ) e est contrôlable. Puisque la condition du rang algébrique est équivalente à la condition du rang pour le linéarisé du système étendu au point e, on a la proposition suivante : Proposition 9 (Voir [AT99]) Si le système vérifie la condition du rang algébrique alors, alors pour tout t > 0 l’ensemble At est un voisinage de e. Le théorème qui suit, dont la démonstration est tirée de [Jouan102] donne une condition nécessaire et suffisante de contrôlabilité d’un système linéaire sur un groupe nilpotent lorsque la dérivation associée au champ linéaire est intérieure. On note comme précédemment h la sous-algèbre de g engendrée par les champs Yj , j = 1, . . . , m. Théorème 3 On suppose le groupe G nilpotent et la dérivation associée au champ de vecteurs linéaire X intérieure. Alors le système (Σ) est contrôlable si et seulement si h = g. Dans ce cas il est contrôlable en temps exactement T pour tout T > 0. Démonstration. La suffisance de la condition ainsi que la contrôlabilité en temps exact qui en découle sont évidents. 18 Pour la réciproque, supposons le système contrôlable, et notons (C ig)i≥0 la série centrale descendante de g. Soit X un champ de vecteurs invariant à droite tel que ad(X) = ad(X ), et soit k le plus grand indice pour lequel X ∈ Ckg ; on a donc ad(X)g ⊂ Ck+1g. La condition du rang impose que la plus petite sous-algèbre de g contenant h et stable par ad(X) soit égale à g. Or h + C k+1g est une sous-algèbre de g (car C k+1g en est un idéal) qui est stable par ad(X), puisque ad(X)(h) ⊂ ad(X)(g) ⊂ Ck+1g. Ceci prouve que h + C k+1g = g Suposons maintenant que h + C k+rg = g pour un entier r > 0. On peut décomposer X en X = Xh + Xr où Xh ∈ h et Xr ∈ Ck+rg. Par conséquent ad(X)(h) = ad(Xh)(h) + ad(Xr)(h) ⊂ h + C k+r+1g. Ceci entraîne que h + C k+r+1g est une sous-algèbre stable par ad(X) qui contient h, donc égale à g. Cette récurrence montre que ∀r > 0 h + C k+r g = g. Comme C k+rg = {0} pour r assez grand on en conclut h = g. Contre-exemples (1) Le théorème n’est plus vrai lorsque la dérivation associée au champ linéaire n’est pas intérieure, puisque par exemple le théorème 7, donne des conditions nécessaires et suffisantes de contrôlabilité d’un système linéaire à une seule entrée sur le groupe Heisenberg de dimension 3. (2) Le théorème n’est pas non plus vrai sur les groupes de Lie résolubles, puisque le théorème 4, donne une condition nécessaire et suffisante de contrôlabilité d’un système linéaire (évidemment à une entrée) sur le groupe Aff+(2) et pourtant dans aff+(2) 1 toutes les dérivations sont intérieures.
1 Rappels : Systèmes linéaires sur les groupes de Lie |