CONTRIBUTION A L’ECOLOGIE DES TABANIDAE
CLASSIFICATION, REPARTITION GEOGRAPHIQUE
La famille des Tabanides comporte 3000 à 3500 espèces (Kasbari, 2001 et Buge, 2008) qui se répartissent en quatre sous familles: les Pangoniinae, les Scepsidinae, les Tabaninae et les Chrysopiinae. Seules les sous familles des Chrysopiinae et des Tabaninae ont une importance médicale et vétérinaire (Buge, 2008). La famille des Tabanides est cosmopolite avec près de 160 espèces en Europe (Marc et al. 2007), 350 espèces en Amérique du Nord (Strother, 1999), 80 espèces recensées en Afrique (Taufflieb & Finelle, 1956). Par ailleurs, les espèces les plus couramment rencontrées,appartiennent aux genres Chrysops, Tabanus ou « la mouche du cheval » encore appelée («horse fly»), Haematopota et Atylotus (Taufflieb & Finelle, 1956, Strother, 1999 ; Desquesnes & Dia, 2003a, 2003b,2004). La discrimination entre certains genres est réalisée à l’aide des différents caractères morphologiques tels que la taille et la couleur de l’individu, l’ornementation dorsale de l’abdomen (dessins des tergites), la coloration des yeux ou de s ailes, la présence ou non d’épines sur les tibias postérieurs et la forme des premiers et troisièmes segments antennaires (Matyas, 1958 ; Taufflieb, 1981). Par exemple, le genre Chrysops mesure 7 à 10 mm, de couleur jaune à noire, présentent des rayures sur l’abdomen, des ailes tachetées de noir. Ils possèdent des éperons apicaux sur les tibias des pattes postérieures alors que le genre Tabanus mesure 10 à 20 mm. Les Tabanus sont de couleur marron foncé à noir avec des yeux verts ou noirs (Buge, 2008). 4 Figure 1. Morphologie générale des Tabanides : (a) vue dorsale;(b) détail de la base du thorax (scutellum), du 1er segment abdominal; (c) détail de la partie basale droite de l’aile. (Anthony & Stephen, 2009) Figure 2. A, Tête sans antenne de Chrysops. caecutiens L. (mâle) ; B, Tabanus autumnalis L. (femelle) ; a) tubercule ocellaire + ocelles; b) yeux composés; c) bande frontale; d) callosité médiane ; e): callosité basale; f) : triangle frontal ; g) callosité faciale (Matyas, 1958) Figure 3. Pièces buccales des Tabanidés (Wall & Shearer, 1997) 5 III. BIOLOGIE Contrairement aux autres Diptères (moustiques, simulies) dont certains stades de développement sont liés aux milieux aquatiques, les Tabanides ne le sont pas de façon étroite. Leurs exigences écologiques varient beaucoup suivant les genres et les espèces (Taufflieb, 1981).
Cycle de développement
Chez les Tabanides, les femelles de la plupart des espèces ont besoin d’un repas de sang pour compléter le développement des œufs (Strother, 1999) et l’accouplement a lieu trois à cinq jours après l’éclosion (Buge, 2008). Le cycle de développement des Tabanidés (Fig.5) comprend quatre stades principaux : œuf, larve, nymphe et adulte (Taufflieb, 1981, Strother, 1999, Marc et al, 2007 ; Buge, 2008). Les œufs (100 à 1000) sont pondus sur les sols boueux ou une surface verticale (tige, roche…) surplombant le gîte larvaire très humide. Les œufs éclosent en quelques jours, une semaine au plus, selon les conditions météorologiques ambiantes (température, humidité). La larve issue de l’œuf tombe sur le substrat humide et s’enfonce pour commencer une très longue vie, caractérisée par une croissance très lente de sept à neuf stades. En zone tempérée, le développement se déroule sur deux ou t rois ans ou pl us, alors qu’en zone tropicale il est d’un an (Buge, 2008). La larve subit plusieurs mues, justifiant la durée de ce stade (2 à 3 ans). Une fois qu’elle est pleinement développée, elle s’installe dans un sol sec, s’immobile pendant environ deux semaines : c’est le stade nymphal qualifié par Strother (1999) de stade chrysalide car la sortie de celui-ci marque le passage d’un état inachevé à celui de complet développement donc à l ’imago. La durée de vie des imagos ne parait pas dépasser deux mois (Taufflieb, 1981). L’activité de ces diptères est influencée par de nombreux facteurs :températures, luminosité, humidité. La température est le facteur le plus déterminant. En effet, chez certaines espèces le pic d’activité se si tue entre 20 et 25 °c. L’activité des Tabanides est moindre par temps couvert et venteux. De même, la variabilité météorologique observable d’une année à une autre exerce une influence significative sur l’abondance maximale des Tabanidés (Krcmar, 2005).
Préférences trophiques, comportement et dispersion
Chez les Tabanides, les mâles ne sont pas hématophages et se nourrissent d’exsudats ou de sucs végétaux alors que les femelles de nombreuses espèces, en plus de ce type de repas, ont besoin de sang pour développer leurs ovaires et murir leurs œufs (Taufflieb, 1981). La détection de l’hôte fait intervenir des moyens d’ordre olfactifs (attirance pour le dioxyde de carbone par exemple) et visuel (détection du mouvement, attirance préférentielle pour les couleurs sombres). Ces caractéristiques sont prises en compte dans l’élaboration de pièges ciblant les Tabanidés (Buge, 2008; Squitier, 2006). Les femelles hématophages ubiquistes, piquent par telmophagie (la trompe dilacère les tissus et crée une marre de sang et de lymphe que l’insecte aspire) avec des possibilités de repas interrompus (Buge; 2008). Cette pratique favoriserait le changement d’hôte, et donc constitue 7 un facteur épidémiologique important. Cette caractéristique est à prendre en compte lors de la lutte contre les maladies infectieuses transmises par les Tabanidés. Le mode de nutrition par telmophagie avec dilacération des tissus et les propriétés anticoagulantes de la salive des Tabanidés sont à l’origine des saignements au site de piqure (très appréciés des muscidés non piqueurs). Les Tabanides sont exophiles, c’est-à-dire qu’ils ne pénètrent pas dans les habitations; on les retrouve dans les régions où il y a des élevages de bétail et dans les régions boisées. Les adultes sont de bons voiliers ; ils peuvent parcourir plusieurs kilomètres à partir de leur lieu de développement à la recherche de leur nourriture (Taufflieb, 1981). Les larves aquatiques, semi-aquatiques ou terrestres, deviennent des prédateurs voraces d’autres invertébrés (asticot de toutes sortes, petits crustacés aquatiques, insectes) ou de petits vertébrés (Strother, 1999 ;). Cependant, certaines larves de Chrysops paraissent se nourrir de microorganismes animaux ou vé gétaux (Taufflieb, 1981). Elles peuvent se déplacer sur de longues distances dans la mousse ou la vase (Marc et al, 2007) Bradley et al (1979), ont étudié le comportement de diverses espèces de Tabanidae vis-à-vis de leurs hôtes. Il semblerait que ces insectes ont une zone préférentielle pour se poser et se nourrir sur l’animal. Certaines espèces ont tendance à se nourrir sur le dos de l’animal, tandis que d’autres comme les chrysops, choisissent des zones situées plus bas, où le poil est moins abondant (Kasbari, 2001). Une telle spécificité a son importance dans la mesure où on la relie aux réactions de l’hôte. En effet, l’interruption des repas favorise la transmission mécanique des pathogènes. Or, certaines zones du corps, plus sensibles que d’autres vont occasionner des réactions de défense de la part d’hôte qui délogera ainsi l’insecte en train de se nourrir (Kasbari, 2001). Magnarelli & Anderson (1980) ont démontré que le genre Chrysops se nourrit préférentiellement au niveau de la tête, la plupart du temps sans interruption, ce qui n’est pas le cas chez d’autres espèces de Tabanidae prenant leur repas sur les flancs ou les pattes de l’animal. Un autre comportement à prendre en compte est la spécificité d’hôte. Même après interruption du repas, certains insectes persisteront à revenir sur leur hôte de départ, tandis que d’autres chercheront de nouveaux individus appartenant ou non à la même espèce. 8 III.3. Nuisances causées par les Tabanidés Les Tabanidés, diptères hématophages, ont un impact sur le plan médical, vétérinaire et économique. En effet, ces insectes représentent un fléau pour l’élevage par leur nuisance direct, mais également par leurs rôles de vecteur potentiel dans la transmission mécanique (l’insecte transporte les germes sur ses pattes, son corps , ses pièces buccales) et biologique des pathogènes (l’agent pathogène absorber par l’insecte accomplit un cycle de développement chez celui-ci) .
Action pathogène Directe
Les pièces buccales des femelles hématophages telles des scalpels miniatures peuvent macérer la peau des animaux à la profondeur des vaisseaux dermiques superficiels occasionnant des blessures, et causant des nuisances notamment des retards à l a cicatrisation, des actions irritatives, des actions spoliatrices etc. (i) Les retards à la cicatrisation des plaies sont à la charge des hématophages secondaires, lorsqu’ils envahissent une plaie, ils stimulent les écoulements, ralentissant ainsi la cicatrisation d’une part. et favorisent d’autre part les surinfections en contaminant la plaie par divers agents pathogènes (Buge, 2008). (ii) La piqure provoque suivant l’insecte, une irritation plus ou m oins marquée mais toujours ressentie, dont les effets sont d’une sensation qui peut aller du simple prurit à la douleur parfois vive. Dans le cas de gros insectes comme les Tabanidés, il se forme une plaie véritable, d’où le sang s’écoule plusieurs minutes après la piqure. Puis une croute persiste, l’œdème évolue en papule avant de disparaitre sans laisser de trace (Buge, 2008). (iii) Les tabanides ont aussi un rôle spoliateur important. En effet, ils prennent un repas sanguin volumineux, décrit par. Foil (1988) qui estiment que dans les conditions naturelles, chaque piqure provoque une perte de 0,5 à 1 ml de sang et si l’on tient compte du sang qui sort de la plaie pendant les minutes qui suivent la piqure. D’autres tels que Webb & Wells, en 1924, estimaient que 25 à 30 taons qui se nourrissent pendant six heures provoquent une perte sanguine de 100 ml. (iv) Leur piqûre laisse à la surface de la peau une goutte de sang susceptible d’attirer d’autres mouches, source d’énervement pour les animaux. Chez les hommes, la piqûre passe souvent inaperçue, ou provoque des allergies avec entre autres, des boutons d’urticaire ; un peu de vinaigre calme la douleur mais en cas de 9 sensibilité aux corticoïdes, l’utilisation d’antihistaminiques s’imposent. Ajoutés aux cas des boutons d’urticaires, des cas extrêmes de choc anaphylactique ont aussi été rapportés dans la littérature (Frazier, 1996; Maat-Bleeker & Bronswijk, 1995) mettant en cause la salive des Tabanidés, et un cas de coïncidence entre ces diptères et des hyménoptères (abeilles et guêpes) dans l’anaphylaxie, a été rapporté par Freye & Litwin (1996). Hemmer et al. (1998), en étudiant l’anaphylaxie induite par la piqûre de taon, ont identifié dans les glandes salivaires de Chrysops, une protéine de liaison IgE de 69kda, susceptible d’être impliquée dans le choc anaphylactique.
Action pathogène Indirecte: le rôle vecteur
Les diptères hématophages peuvent transmettre de nombreux pathogènes, soit mécaniquement lors de repas consécutifs sur deux hôtes distincts, soit en tant que vecteurs biologiques, c’està-dire que l’agent pathogène poursuit son développement dans le diptère concerné (Buge, 2008). Les Tabanides sont vecteurs de virus, de bactéries, de protozoaires et d’helminthes (ex. la loa-loa). (i) Foil & Foil (1989) signalait que certaines espèces du genre Chrysops seraient impliquées dans la transmission de virus tels que l’anémie infectieuse équine (maladie infectieuse grave et contagieuse des équidés due à un virus de la famille des Retroviridae) et le virus de l’encéphalite californienne. Cependant, dans les conditions naturelles, seules les équidés sont sensibles à l’anémie infectieuse équine, il n’y a pas transmission possible à l’homme ou à d’autres espèces animales. (ii) En matière de capacité vectorielle, les Tabanidae sont vecteurs de plus de 35 agents pathogènes du bétail, parmi lesquels Trypanosoma evansi et T. vivax ; notamment dans les zones exemptes de glossines (Kasbari, 2001). La transmission de T. vivax par Cryptotylus unicolor a été démontrée par Frenc et al (1988) en interrompant des repas de sang pris sur un animal infecté. Pourtant, les trypanosomes vivants n’ont pas été trouvés sur les pièces buccales, mais dans le tube digestif, dans un délai de 24 heures après le repas. D’autres travaux, à Lahirasso au Burkina Faso par Dia et Desquesnes pour démontrer la transmission mécanique de Trypanosoma vivax et T. congolense par des Tabanidés communs en Afrique, Atylotus agrestis et A. fuscipes, ont Montré des taux d’incidence de la transmission de T. vivax à 63- 75% sous une pression quotidienne des deux espèces et 25% d’incidence pour T. congolense sous un pression quotidienne de Atylotus agrestis 10 dans les zones d’expérimentation. Certains Tabanidés sont également des vecteurs biologiques de Trypanosoma theileri, protozoaire parasite des bovins (Poinsignon, 2005). (iii) Les Tabanides sont également impliqués dans la transmission d’une helminthiase due à Loa loa. C’est la filariose à Loa loa ou loase qui est une helminthose cutanéo-dermique par la localisation des vers adultes et sanguine par celle des microfilaires. La transmission des microfilaires, essentiellement assurée par le genre Chrysops ou taon en Afrique de l’Ouest et centrale Cette filariose est largement rapporté dans la littérature (Toure et al. 1999, Demanou et al,. 2001; Poinsignon, 2005). (iv) Les Tabanidés ont été suspectés comme vecteurs dans des cas de tularémie humaine (Franciscella tularensis), et de charbon (Bacillus anthracis) bien que des preuves tangibles ne soient pas fournies (Krinsky, 1976) à cette époque. Mais en 1989, Foil & Foil en parlent dans sa revue sur les Tabanidae et incrimine le genre Chrysops dans la transmission de bactéries Borrelia burgdorferi et Franciscella tularensis.
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