Contribution à l’analyse de la prise en compte du climat urbain dans les différents moyens d’intervention sur la ville
Climatologie urbaine : une science en évolution
Naissance et évolution de la climatologie urbaine
Les premières études sur le climat urbain ou sur les conditions climatiques des villes datent d’avant Jésus Christ comme le constate Yoshino (1990/91) dans son article relatant les différentes études en climatologie urbaine depuis la nuit des temps jusqu’aux années 1980. Vitruve ou Marcus Vitruvius Pollio (75-26 avant Jésus Christ), architecte et ingénieur romain, a écrit sur les relations entre l’aménagement des villes et les conditions climatiques, ou encore Manasara Silpasatra (avant JC), un indien, a écrit sur la prise en compte des conditions de luminosité et de ventilation pour la conception d’aménagement. L’étude du climat urbain est également très liée à l’intérêt pour la pollution de l’air. Horace (65-68 avant JC) décrit celle de Rome tout comme Circa (3 avant JC – 65). Sir John Evelyn écrit au XVIIème siècle sur la pollution de l’air, le vent, la température de la ville et le brouillard fumeux ou smog de Londres. C’est à partir de la fin du XVIIIème siècle que nait vraiment la climatologie urbaine, avec l’arrivée progressive des mesures instrumentales. Cotte (1774) va ainsi décrire le climat de Paris à partir d’observation et Howard (1818, 1833) celui de Londres. En 1927, la première traversée en voiture avec un équipement de mesures mobile est effectuée par Schmidt et Peppler ; en 1927, Geiger publie un ouvrage sur les microclimats en incluant la climatologie urbaine ; en 1937, Kratzer publie le premier ouvrage sur la climatologie urbaine. La recherche en climatologie urbaine va alors s’accélérer durant la deuxième partie du XXème siècle (Yoshino (1990/91), Duchêne-Marullaz (1980)), et des études détaillées vont montrer, par le biais de mesures, la particularité climatique des villes : New-York (Bornstein, 1968), Paris (Escourrou, 1986), etc. Yoshino (1990/91) estime que les progrès effectués dans cette discipline s’expliquent et se perçoivent par l’apparition progressive des éléments et évènements suivants : 1) Les observations se sont élargies à la troisième dimension au-dessus de la ville. 2) Les méthodes de télédétection (cf. lexique) et l’interprétation des photographies aériennes ont été introduites. 3) Les simulations numériques ou les études de modélisation ont été employées en utilisant un ordinateur. 4) Les analyses et la cartographie sont faites en relation avec la pollution atmosphérique et les conditions topoclimatiques. 5) Des ouvrages, articles à comité de lecture, et bibliographies en climatologie urbaine ont été publiés. 6) Les effets de la ville sur les précipitations ont été étudiés avec l’îlot de chaleur urbain. 7) Les îlots de chaleur sont 41 considérés en relation à la densité bâtie, le paramètre de rugosité, le facteur de vue du ciel3 (sky view factor), la population, etc. 8) La climatologie urbaine n’a plus été étudiée uniquement dans les pays développés, mais également dans les pays en développement. 9) les problèmes environnementaux dans les villes sont réapparus. 10) Une insistance a été donnée aux travaux portant sur les processus comme les études des bilans d’énergie et en eau. Nous pouvons résumer que la connaissance en climatologie urbaine est issue à la fois des mesures sur sites, de la simulation en soufflerie ou en tunnel aéraulique et des simulations numériques (Peneau, 1995). Ainsi, de l’observation du climat urbain grâce entre autres à de nombreuses campagnes de mesures4 à la modélisation plus ou moins fines des phénomènes physiques en jeu, les climatologues ont pu décrire et comprendre avec de plus en plus de précisions la formation du climat urbain. Si les premiers travaux étaient avant tout concentrés sur l’îlot de chaleur urbain observé globalement sur toute l’agglomération, les climatologues se sont progressivement intéressés à des échelles inférieures mettant ainsi en exergue l’importance de la géométrie urbaine (Aida et Gotoh (1982), Oke (1988), Giridharan et al. (2007), Yamashita et al. (1986), Ali Toudert (2005)) et des matériaux de construction (Taha et al. (1988), Rosenfeld et al. (1995)). Aujourd’hui, la compréhension du bilan d’énergie, c’est-à-dire des échanges d’énergie entre l’atmosphère et la surface urbaine est au cœur de nombreuses recherches sur la modélisation (informatique ou non) du climat urbain. Mais avant cela la relation entre le milieu urbain et sa température a été largement simplifiée par les climatologues et les modèles des différents chercheurs ont principalement estimé la différence de températures maximales entre zones urbaine et rurale la nuit (c’est le moment où l’îlot de chaleur est le plus conséquent). Climatologie urbaine : une science pluridisciplinaire ? La climatologie urbaine est aujourd’hui un domaine de recherche investi à la fois par les climatologues et les géographes, mais également par les architectes et les urbanistes. Chacun d’eux s’est approprié ce sujet selon des échelles, des variables ou encore des objets d’étude différents (Ali Toudert, 2005). Il est nécessaire aujourd’hui, comme l’ont déjà signalé de nombreux auteurs (Bitan, 1988. Katzschner, 1988. Oke, 1984, 1988, 2006. Arnfield, 1990. Eliasson, 2000. Alcoforado et al., 2006) de mettre en place une démarche pluridisciplinaire et d’intégrer à la pratique de l’aménagement urbain et de l’architecture des éléments de climatologie urbaine. Cette ouverture d’esprit de la part des architectes, des urbanistes et des aménageurs à l’intégration de critères climatiques dans leurs pratiques sera bénéfique pour traiter les problèmes plus généraux que sont l’environnement et la qualité de vie. Alors que les climatologues et géographes se sont penchés plus particulièrement sur la formation du climat urbain, les architectes se sont intéressés à l’impact des conditions climatiques et environnementales sur les bâtiments. Parallèlement, les architectes, focalisés initialement sur les questions de confort intérieur et sur les besoins énergétiques pour le maintenir, se sont ouverts progressivement aux conditions extérieures au bâtiment. Le contexte urbain, modifiant l’apport solaire et le comportement du vent, a ainsi progressivement intégré les pratiques (Ali Toudert, 2005). Si aujourd’hui le climat urbain est perçu pour beaucoup de façon négative et comme quelque chose qu’il est nécessaire de maitriser et de réduire, ce ne fut pas toujours le cas. Selon Landsberg (1981), Linke (1940) décrit le climat urbain comme un phénomène météorologique positif qui trouve son développement le plus important par temps calme et un ciel sans nuage. 45 D’une recherche fondée sur l’observation des différences climatiques entre le milieu urbain et le milieu rural environnant peu encline à distinguer la variété constructive des villes et leurs effets sur le climat urbain, nous sommes passés à des études interrogeant la relation entre la forme urbaine et différents paramètres climatiques du climat urbains (Givoni, 1998). Aujourd’hui, le fossé entre les études pointues mais théoriques en climatologie urbaine et la pratique de l’aménagement urbain tente d’être comblé par différents auteurs d’ouvrage et d’outil relatifs à la prise en compte du climat urbain dans l’aménagement et l’architecture (Katzschner (1988), Givoni (1998), Scherer et al. (1999), Adolphe et al. (2002), Dhakal et Hanaki (2002), Baumüller et al. (2005)) ou au rafraichissement des villes (Rosenfeld et al. (1995), Santamouris et al. (2004), Sailor et Dietsch (2005), Alcoforado et al. (2006), Alcoforado (2006), Rosenzweig et al. (2006)).
Prise en compte du climat urbain dans l’aménagement et l’architecture : quelques exemples
L’étude de Katzschner (1988) concernant la ville de Hannoversch-Münden (Allemagne) se focalise sur la ventilation au sein de la ville et par voie de conséquence sur la dispersion des polluants. Une cartographie de la ville avec les zones de faibles ou fortes ventilations et les couloirs de ventilation permet à Katzschner (1988) de conclure que Hannoversch-Münden peut difficilement accueillir des industries polluantes à ses alentours sans risquer une pollution de l’air importante. Cette étude montre que de telles cartographies peuvent être mises en relation avec le zonage effectué régulièrement en aménagement urbain. Givoni (1998) s’est intéressé aux considérations d’ordre climatique dans le bâtiment et l’aménagement urbain. Son ouvrage, conséquent, aborde à la fois la climatologie du bâtiment (notions de confort intérieur, éléments architecturaux influençant le confort intérieur, propriétés des matériaux et performance thermique des bâtiments, les systèmes de chauffage passif au soleil, le refroidissement passif, ou encore les caractéristiques climatiques de maisons types) et la climatologie urbaine (caractéristiques générales, effets de l’aménagement urbain, ou encore effets des espaces végétalisés) avant de proposer des indications pour la construction des bâtiments et l’aménagement urbain. La structure d’une ville peut être contrôlée par la planification urbaine et l’aménagement urbain ; il est alors possible selon Givoni (1998) de modifier le climat urbain par le biais des règles d’urbanisme et par la conception des zones périurbaines voisines et des nouvelles villes. Il met ainsi en avant différents critères tels que la localisation géographique de la ville, sa taille, la densité de constructions, la nature de la surface, la taille des bâtiments, l’orientation et la largeur des 46 rues, etc. Ses indications, qui concernent quatre types de climat (chaud et sec, chaud et humide, froid, et froid en hiver, chaud et humide en été), abordent à la fois le bâtiment et l’aménagement urbain, avec cependant une forte prédominance du premier. Cette dernière partie s’apparente plus à un ensemble de règles de bon sens qu’à une analyse des conséquences d’une transformation du cadre bâti. Scherer et al. (1999) se sont intéressés aux concepts et méthodes pour analyser et évaluer le climat urbain dans un but d’optimisation des procédés de planification urbaine. Ils se sont plus particulièrement intéressés à la région de Bâle (Suisse) et ont produit des cartes climatiques de cette région (distinguant plusieurs types de secteurs) pour permettre aux aménageurs de prendre en compte le climat urbain et ses interactions avec les structures urbaines. Pour chaque section climatique, un guide d’aménagement abordant les questions de ventilation, de qualité de l’air et de conditions thermiques a été proposé. Adolphe et al. (2002) ont travaillé sur le projet SAGACités (Système d’Aide à la Gestion des Ambiances urbaines) dont l’un des objectifs était de mettre en relation et perspective les données recueillies par le biais de mesures in situ, celles obtenues par les outils de modélisation physique de la qualité environnementale des espaces urbains (modélisation thermique, thermographie5 , modélisation aérodynamique, etc.) à des échelles plutôt micro, des indicateurs objectifs (densité de bâtiments, taux de minéralisation, densités de sites propres, densités d’espaces verts par habitant, énergie pour le chauffage, etc.) et des indicateurs subjectifs liés à la perception qu’en ont les usagers, et tout cela dans une approche croisant technique, social et environnemental. Le modèle issu de ce projet a été mis en œuvre dans un outil d’aide à la décision pour les gestionnaires urbains, qui s’appuie sur un Système d’Informations Géographiques (SIG). Ce projet, dont les deux thèmes étaient le microclimat et l’énergie, a nécessité la collaboration entre des architectes, des ingénieurs et des sociologues, permettant ainsi une approche pluridisciplinaire. L’échelle principale était l’échelle locale du quartier mais la relation avec les autres échelles géographiques, de l’espace public à l’agglomération, était également prise en compte. Le projet proposait au final une plate-forme informatique permettant le suivi de projets urbains existants (une forme de tableau de bord environnemental), la comparaison (intra ou inter-urbaine) entre sites, et la construction de scénarii de conception d’espaces urbains prenant en compte des enjeux environnementaux (centrés sur les paramètres énergétiques et microclimatiques), mais aussi 5 Thermographie : Technique d’enregistrement graphique des températures de divers points d’un corps par détection du rayonnement infrarouge qu’il émet. Cette technique est utilisée en télédétection 47 sociaux et perceptifs. Dans cette étude, Adolphe et al. (2002) mettent en avant plusieurs disfonctionnements : « Les politiques de maîtrise énergétique dans le bâtiment, portées par une vision technologique et réglementaire, ont surtout conforté des actions d’optimisation (au sens de la recherche opérationnelle) de certains composants de l’habitat neuf. Elles visent uniquement la performance maximale, quelquefois au mépris de simples considérations d’usage ou de qualité des ambiances […]. En conception architecturale ou urbaine, cette vision partielle et partiale de la performance énergétique du projet a occulté d’autres composantes aussi importantes. On peut citer d’abord l’environnement proche du bâtiment à l’échelle urbaine, du parcellaire au tracé des voies, en passant par les effets de végétation. Cette analyse oblige à réintégrer l’information climat ou énergie dans l’élaboration des modes opératoires de planification, et notamment dans les procédures d’urbanisme opérationnel (zones NA, ZAC, PLU, SCOT…). […] On peut citer la réhabilitation du parc existant. Avec un taux de croissance annuel du parc immobilier légèrement supérieur à un pour cent (on construit peu, on réhabilite beaucoup), c’est bien évidemment sur les bâtiments existants que les impacts d’une politique de maîtrise énergétique seront les plus visibles à l’échelle d’un quartier, comme d’une nation. Enfin, on peut citer la modification de l’usage de l’énergie par des stratégies basées sur l’inflexion de la demande. Pour se convaincre du poids important de ces dernières mesures, il suffit en effet de s’intéresser aux consommations unitaires de chauffage (KWh/m2), qui varient d’un facteur de 1 à 3 entre l’électricité en individuel et le fioul en collectif : à statut identique (locataire ou propriétaire), la consommation unitaire est supérieure pour le collectif, comparée à l’individuel, alors que l’on peut penser que la compacité6 et la contiguïté y sont supérieurs. »
Introduction |