Contribution à l’amélioration de la tolérance à la salinité de Senegalia senegal (L.)
Généralités sur la salinisation des terres
Après défini la salinité et la salinisation des terres, nous évoquerons les principales causes de la salinité et ses effets salinité sur le sol et les plantes dans cette première partie de notre synthèse bibliographique.
Définition de la salinité et de la salinisation des terres
Dans le contexte de l’agriculture, la salinité peut être définie comme étant la quantité de sels dans le sol (Gorham, 1992). La salinisation peut être définie comme étant le processus d’accumulation des sels minéraux solubles dans le sol à des niveaux nuisibles pour les plantes (Tanji, 2004). Ces sels dissouts sont constitués d’un mélange de cations (Na+ , K+ , Mg2+ , Ca2+,…) et d’anions (Cl- , SO4 2- , CO3 2- , HCO3 – ,…) (Tanji, 2004). La salinité d’un sol se mesure par la conductivité électrique (CE) d’un extrait de pâte diluée. La conductance est inversement proportionnelle à la résistance électrique (ohms) et la mesure brute est donnée en mhos (1 mmhos cm-1 = 1 dS m-1 ). Un sol est considéré comme salé lorsque sa conductivité électrique est supérieure à 4 déci-siemens par mètre (dS/m) correspondant à 40 mM de NaCl soit 2,4 g/l (Hillel, 2005). Le tableau 1 montre la classification des sols salés en fonction de la conductivité électrique (Loyer et Le Brusq, 1982 ; Daffé et Sadio, 1988). Tableau 1: Classification des sols salés Conductivité électrique (dS m-1 ) Appréciation CE ≤ 4 Sol non salé 4 < CE ≤15 Sol salé 15 < CE ≤ 35 Sol très salé CE > 35 Sol sursalé Rappel : 1000μS/cm = 1 mS/cm = 1mmhos/cm
Les causes de la salinité des terres
La salinité des terres peut résulter de processus naturels (salinisation primaire) ou être induite par des activités humaines ou anthropiques (salinisation secondaire) (Ghassemi et al., 1995) : – La salinisation primaire Près de 80 % des terres salinisées ont une origine naturelle (FAO et IPTRID, 2006) et sont qualifiées de salinisation «primaire». Elle résulte d’une accumulation progressive des ions nécessaires à la formation des sels solubles. Ces ions sont libérés suite à une altération de certaines roches sédimentaires, volcaniques et hydrothermales (Loyer, 1991) ou à partir d’accumulations salines anciennes (Munns, 2009). L’intrusion d’eaux marines dans les zones côtières est aussi une autre source d’accumulation d’ions. Les sels libérés sont transportés par des eaux souterraines. Ils sont accumulés à la surface des zones basses où le taux d’évapotranspiration est élevé (Pitmani et Lauchli, 2004). En effet, la salinisation primaire se produit naturellement lorsque le matériel d’origine du sol est riche en sels solubles ou en présence d’une nappe phréatique salée peu profonde. Pendant la saison sèche, les fortes températures à la surface provoquent l’évaporation de la solution du sol et entraînent une remontée par capillarité de la nappe salée qui accroît la concentration des sels en surface et augmente ainsi la salinité des horizons de surface (Munns et al., 2006). La grande mobilité des ions Clet Na+ expliquerait les fortes concentrations de sels à la surface des tannes (Sadio, 1991). La salinisation des terres au Sénégal résulte essentiellement des différentes phases climatiques qui se sont succédées au quaternaire et qui ont provoqué l’envahissement du continent par les eaux marines (Sadio, 1991). A cela s’ajoute, l’effet des changements climatiques, notamment le déficit pluviométrique des années 1970 et l’élévation du niveau marin (intrusion marine, inondations,…), qui ont en outre contribué à accentuer les effets de la salinité en aval des principaux bassins versants du Sénégal (le Sénégal, le Sine, le Saloum et la Casamance) (Sadio, 1991 ; Zeng, 2003). La figure 1 montre la répartition des sols au Sénégal. Chapitre I: Synthèse bibliographique 6 Figure 1: Répartition des terres salées au Sénégal (INP, 2009) – La salinisation secondaire Près de 20% des terres salinisées ont une origine anthropique (FAO et IPTRID, 2006) et sont qualifiées de «secondaires». Elle est le résultat d’accumulation des sels apportés par des activités humaines. L’irrigation (avec de l’eau de faible qualité) est la principale cause anthropique de la salinisation des sols (Anonyme, 2006). Elle conduit à la salinisation des terres, en particulier dans les régions arides et semi-arides (Munns, 2009). En effet, les quantités d’eau apportées au fil du temps entrainent un dépôt cumulé de sel dans les sols (Ghassemi et al., 1995 ; Marlet, 2005). Cette salinisation secondaire peut être aussi induite par l’utilisation d’intrants agricoles, les barrages, etc (Loyer, 1991).
Effets de la salinité sur le sol
Les fortes teneurs en sels peuvent influencer négativement les propriétés biologiques, chimiques et physiques du sol.
Sur les propriétés biologiques
La salinité peut perturber le nombre de microorganismes et leurs fonctions dans le sol. Plusieurs études ont montré l’effet négatif de la salinité sur la biomasse microbienne totale, la biomasse fongique et l’ergostérol fongique (Sardinha et al., 2003 ; Rietz et Haynes, 2003 ; Walpola et Arunakumara, 2010). En outre, Garcia et Hernandez (1996) ont montré que Chapitre I: Synthèse bibliographique 7 l’augmentation de la salinité inhibe plusieurs activités enzymatiques du sol, telles que les activités phosphatase alcaline et ß-glucosidase. Toutefois, Chandra et al. (2002) ont souligné qu’à faible concentration, les sels ont un effet stimulant sur la minéralisation du carbone, mais peuvent devenir toxiques pour les micro-organismes avec des concentrations croissantes.
Sur les propriétés chimiques
La salinité affecte les propriétés chimiques du sol tels que le pH, la capacité d’échange cationique (CEC), le pourcentage de sodium échangeable (ESP), le carbone organique et modifie le potentiel osmotique et matriciel du sol (Wang et al., 2014). – Le pH Le pH est une mesure de l’acidité ou de l’alcalinité du sol. Plus précisément, il s’agit d’une mesure de la concentration en ions hydrogène dans une solution aqueuse et sa valeur varie dans les sols de 3,5 (très acide) à 9,5 (très alcalin). L’augmentation de la concentration en sels ou ion solubles entraine une alcalinisation du milieu. En effet, il existerait une compétition entre les ions Na+ et H+ , ce qui provoquerait une augmentation du pH du milieu. – La capacité d’échange cationique (CEC) La CEC est une mesure de la quantité de charges négatives présentes sur les surfaces minérales et organiques du sol. Elle représente la quantité de cations (Na+ , Mg2+ ; Ca2+ et K+ ) qui peuvent être retenus par ces surfaces. Elle est exprimée en centimoles d’hydrogène par kilogramme (c molc/kg ou 100 meqc/100g). La CEC est utilisée comme mesure de la fertilité, de la capacité de rétention des éléments nutritifs. Une CEC élevée permet au sol de retenir une grande quantité de nutriments pour une utilisation par les plantes. Par contre un sol à basse CEC ne peut retenir qu’une faible quantité de nutriments sur les sites d’échanges. Les nutriments appliqués au sol en excès peuvent être facilement lessivés par les pluies ou eaux d’irrigation en surplus. Les fortes salinités entrainent une augmentation de la concentration des cations échangeables tel que le Na+ . – Le pourcentage de sodium échangeable (PSE) Dans les sols salés, les ions échangeables de Na+ sont liés aux charges négatives de l’argile, donc, ce qui provoque une défloculation des particules argileuses. Les fortes teneurs en Na+ échangeables peuvent conduire à un gonflement et la dispersion des argiles, ainsi que la Chapitre I: Synthèse bibliographique 8 rupture des agrégats du sol (Lauchli et Epstein, 1990). Ces phénomènes peuvent entrainer à la fois une réduction de la capacité d’infiltration et de rétention d’eau des sols. Les sols salés sont plus faciles à récupérer que les sols sodiques, parce que, généralement, les premiers exigent le lessivage des sels solubles, tandis que les seconds nécessitent une source de Ca2+ pour remplacer l’excès de Na+ .
Sur les propriétés physiques
– La structure du sol La structure du sol peut être définie comme le mode d’agencement des particules primaires du sol dans les agrégats. Elle gouverne d’une part, la pénétration des racines dans le sol et d’autre part le déplacement de l’eau et des éléments nutritifs de la masse du sol vers les racines (Lavelle et Spain, 2001). L’augmentation de la quantité de sodium dans un sol entraîne la destruction de sa structure. En effet, un excès de sodium favorise la dispersion des colloïdes minéraux et par conséquence la réduction de la structure poreuse du sol. La salinisation augmente ainsi l’imperméabilité des couches profondes du sol, ce qui empêche l’aération et l’absorption d’eau nécessaire pour une bonne croissance des plantes (Ghassemi et al., 1995). La présence de sels et l’élévation conséquente de la pression osmotique de la solution du sol, entraînent la formation de paysages particuliers, soit occupés par une végétation naturelle spécialisée dite halophyte, soit présentant une absence totale de végétation (tannes), selon le degré de salinité atteint (Loyer, 1991). – Le complexe adsorbant La salinité agit sur le complexe adsorbant par les cations échangeable (Na+ et Mg2+ ) ce qui provoque le lessivage des bases, la destruction des ponts calciques et avec comme conséquence une forte vitesse d’infiltration des eaux. La saturation du complexe adsorbant en Na+ provoque la dispersion des argiles (fraction fine) diminuant ainsi la porosité (aération) et la capacité de rétention de l’eau (Fig. 2).
Effets de la salinité sur les végétaux
Le stress salin exerce à la fois des déséquilibres osmotiques, ioniques et nutritionnels. Cependant, l’effet physiologique exact du stress salin sur la plante est encore inconnu (Brun, 1980). Les fortes concentrations en sels dissouts dans la solution du sol ont des effets délétères sur les végétaux. Cependant, certaines espèces végétales dites halophytes sont adaptées à ces conditions grâce à différents mécanismes physiologiques. Elles se développent à des teneurs de sels supérieurs à 300 mM. Par contre, les espèces dites glycophytes sont sensibles au sel, leur croissance est fortement inhibée avec des concentrations de sel entre 100 mM et 200 mM (Zhu, 2007). Les effets négatifs de la salinité sur les végétaux peuvent entrainer trois types de stress (hydrique, ionique e nutritionnel). – Le stress hydrique D’une manière générale, l’alimentation en eau du végétal dépend de la différence de potentiel hydrique entre la solution du sol et le suc cellulaire de la plante. La présence de sels à forte concentration dans la solution du sol augmente sa pression osmotique qui devient alors supérieure à celle du suc cellulaire, d’où l’impossibilité pour les racines d’absorber l’eau nécessaire à la croissance de la plante (Brun, 1980). Cela nécessite un ajustement osmotique adapté afin que le potentiel hydrique cellulaire demeure inférieur à celui du milieu extracellulaire. Lorsque l’ajustement osmotique n’est pas suffisant, l’eau a tendance à quitter les cellules ; ce qui provoque un déficit hydrique et une perte de turgescence des cellules (Levigneron et al., 1995 ; Munns, 2009). – Le stress ionique (toxicité) La toxicité ionique survient lorsque l’accumulation de sels dans les tissus perturbe des activités métaboliques de la plante comme l’absorption d’eau et de nutriments, l’ajustement osmotique, la synthèse de protéines et d’acides nucléiques, l’accumulation de solutés organiques, la respiration et la photosynthèse (Levigneron et al., 1995). – Le stress nutritionnel Des concentrations salines élevées dans le milieu provoquent une altération de la nutrition minérale de la plante. L’accumulation des ions de Na+ dans le sol limite l’absorption de cations indispensables tels que K+ et Ca2+. Il y aurait une compétition entre ces ions et le sodium pour les mêmes sites de fixation apoplasmiques. La présence des ions Clinhibe l’absorption des nitrates (NO3 – ). Ce déséquilibre nutritionnel est une des causes de la réduction de croissance en présence du sel lorsque des ions essentiels comme K+ , Ca2+ ou NO3 – deviennent limitant (Levigneron et al., 1995 ; Zhu, 2007).
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