Contribution à la progressivité des enseignements
technologiques
L’éducation technologique en France
Actuellement en France, l’expression « éducation technologique » n’est pas utilisée pour désigner une discipline particulière dans l’école obligatoire. En revanche, l’adjectif « technologique », quelquefois confondu avec « technique », qualifie certains enseignements.
Enseignements technologiques, éducation technologique
La dénomination « enseignement technique » perdure parfois. Elle correspond à un enseignement qui a vu le jour à la fin du dix-neuvième siècle avant d’être organisé officiellement en 1919 (Pelpel & Troger, 1993). Mais cette étiquette n’est plus en vigueur et la modification du terme correspond à une évolution des finalités. Les enseignements technologiques sont définis dans la loi d’orientation de 1971 comme « constitués par l’ensemble des moyens destinés à assurer la formation professionnelle initiale et la formation continue dans les différents domaines de l’économie ». A partir de la loi-programme de 1985, les lycées techniques et professionnels deviennent des lycées technologiques et professionnels, « l’enseignement technologique étant principalement organisé en vue de préparer à la poursuite d’études, l’enseignement professionnel étant principalement organisé en vue de l’accès à l’emploi. » (Bouyx, 1997). Par leur définition, les enseignements technologiques débutent après les décisions d’orientation en fin de classe de seconde. Avant, c’est l’expression « éducation technologique » qui pourrait être utilisée. Y. Deforge (1993) mentionne que la dénomination « éducation technologique » « avait été retenue dans les réunions internationales des années soixante-dix pour mettre fin à une confusion entre technologie et pré-technique ou pré-professionnel. Cet enseignement avait pour objectif de mettre à la disposition des élèves les outils de compréhension et d’action sur le monde actuel et futur». 16 Actuellement, l’éducation technologique recouvre différentes réalités selon les pays et intègre parfois les formations professionnelles (Ginestié, 2002 ; Graube, Dyrenfurth & Theuerkauf, 2003). J. Lebeaume (1999,b) propose d’appeler « éducation technologique » le curriculum proposé à l’élève au cours des trois premiers segments scolaires, correspondant à un itinéraire éducatif et progressif qui présente une « continuité de sous-ensembles éventuellement organisés en disciplines scolaires ». Dans le travail présenté ici, cette définition en tant que curriculum est reprise et étendue à la classe de seconde du lycée général et technologique. En effet, entre soixante-cinq et soixante dix pour cent des élèves1 d’une classe d’âge sont admis dans cette classe. La décision est renforcée par la lecture des travaux de la CO.P.R.E.T.2 qui formulait des propositions pour contribuer à l’élaboration d’une « éducation technologique » dispensée à l’école primaire, au collège mais aussi au lycée. Pour cette commission, l’éducation technologique est, à tous ces niveaux d’enseignement, « un élément important de la culture générale, ayant pour finalités la compréhension, appropriation des démarches de conception, étude, fabrication, essais, utilisation de produits techniques et la compréhension de l’influence de la technique sur la culture d’une société et l’empreinte de la technique dans la culture »3 . Ces deux visées restent exprimées, plus ou moins explicitement, dans les programmes élaborés depuis. En France, l’école obligatoire, depuis le cours préparatoire jusqu’à la classe de seconde, propose des enseignements qui, par leurs finalités, leurs objets paraissent liés à une éducation technologique. Cependant les dénominations, les enseignants et les conditions de mise en oeuvre varient.
Des dénominations et des situations variables
Actuellement, les programmes distinguent à l’école primaire « découverte du monde » (cycle 1 et 2) puis « sciences et technologie » (cycle 3). Au collège, l’emploi du temps des élèves affiche des cours de Technologie. ___________________________________________________________________________ 1 D’après les tableaux statistiques établis par la Division de la Programmation et du développement pour les années 2000, 2001, 2002, 2003. Tous ces enseignements sont obligatoires. En revanche, au moment de l’entrée en seconde générale et technologique, le jeune lycéen doit choisir au moins deux enseignements de détermination parmi lesquels4 « Initiation aux Sciences de l’Ingénieur (I.S.I.) », « Informatique et Système de Production (I.S.P.) », « Informatique de Gestion et Communication (I.G.C.)». Par ailleurs, les professeurs responsables de ces différents enseignements de l’école obligatoire appartiennent à des corps professoraux distincts. A l’école primaire, le professeur des écoles est considéré comme « polyvalent », spécialisé dans les apprentissages du jeune élève, plutôt que spécialiste d’une discipline scolaire. Il faut remarquer que la majorité de ces enseignants n’est pas issue de formations scientifiques ou technologiques (Ernst, 1996). Au collège, la création de la discipline en 1985 a entraîné une reconversion importante d’un grand nombre d’enseignants d’Education Manuelle et Technique et a conduit en 1987 à la mise en place d’une nouvelle section du concours de recrutement, le C.A.P.E.T5 . de Technologie. Les épreuves de ce concours ont été modifiées en 1998, en cohérence avec l’évolution de la discipline. Le corps de professeurs ainsi constitué ne relève pas d’une Inspection Générale spécifique mais est rattaché aux Inspections Générales S.T.I (Sciences et Techniques Industrielles) et/ou S.T.G (Sciences et Techniques de Gestion). Parmi les enseignants exerçant en collège, ce sont les seuls titulaires d’un C.A.P.E.T6 . Même si la pyramide des âges tend à gommer progressivement les différences, il reste des professeurs dont la formation initiale n’est pas obligatoirement technique. Cette hétérogénéité du corps professoral est à souligner. En revanche, au lycée, les enseignements de détermination sont dispensés par des professeurs certifiés ou agrégés, tous issus de formations technologiques. Toutefois, la multiplicité des spécialités entraîne aussi une certaine diversité. Enfin, entre les différents segments scolaires, les conditions d’enseignement varient également. Parmi les onze enseignements de détermination proposés, nous retenons les trois enseignements cités à partir des critères suivants : choix par un grand nombre d’élèves, vocation technologique annoncée dans les programmes, contenus relevant d’au moins un des six champs techniques définis par la COPRET. 5 Certificat d’Aptitude au Professorat de l’Enseignement Technique. 6 Les autres professeurs sont titulaires d’un Certificat d’Aptitude au Professorat de l’Enseignement Secondaire, parfois d’une agrégation. 18 A l’école primaire7 , trois heures hebdomadaires sont prévues pour le domaine « découvrir le monde» en cycle 2, deux heures trente pour « sciences expérimentales et technologie » en cycle 3. Au collège, selon le niveau, l’horaire est d’une heure trente ou deux heures8 . Au lycée, chaque enseignement de détermination représente trois heures dans l’emploi du temps de l’élève9 . L’effectif des classes, les locaux sont aussi à comparer, en rappelant que le nombre d’élèves correspond à des décisions académiques tandis que les équipements dépendent d’une gestion municipale pour l’école primaire, d’une gestion départementale pour les collèges, d’une gestion régionale pour les lycées. L’enseignement est très souvent réalisé classe entière dans le premier degré, des groupes sont recommandés (mais sans obligation) au collège alors qu’ils sont prévus pour les enseignements de détermination I.S.I., I.G.C., I.S.P. dans les programmes du lycée . Dans les deux derniers types d’établissement cités, les salles sont spécialisées et des guides fournis par le ministère de l’Education Nationale en orientent l’équipement et l’organisation. Ce n’est pas encore le cas à l’école primaire même si le récent « Plan de rénovation de l’enseignement des sciences et technologie à l’école primaire » 11 recommande une dotation progressive de matériel pour développer les activités de réalisation. Parallèlement à ces différences, les textes officiels affichent une volonté de développer les relations école-collège puis collège-lycée pour éviter que le cursus scolaire « soit vécu par l’élève comme une suite de ruptures, sans qu’il puisse apercevoir la cohérence du parcours, sans qu’on prenne le relais de ses acquis et du corpus de connaissances déjà construites » 12 . 4.1.3 Une volonté de rapprochement entre les différents niveaux scolaires En 199713 , un rapport de l’Inspection Générale constate que « la liaison CM2-sixième est beaucoup moins riche qu’on pouvait l’espérer. Les réformes intervenues dans le fonctionnement de l’école pénètrent peu le collège ». Ce document classe les obstacles en Le B.O. N°1 du 14 février 2002 prévoit 3h minimum/3 heures 30 maximum en cycle 2 et 2h30 minimum/ 3h maximum au cycle 3. 8 B.O n°5 du 30/01/1997 et B.O. n° 8 du 21/02/2002. 9 B.O. N°6 du 31 août 2000. 10 En I.G.C, l’enseignement est de 2h classe entière, 1h en groupe. En ISI et I.S.P. les 3 heures sont enseignées en groupe. 11 B.O. N°23 du 15 juin 2000. 12 Rapport de l’Inspection Générale de 1997. 13 Ce n’est pas la première fois que le thème est évoqué mais il est davantage développé dans ce rapport. 19 trois catégories : des cultures différentes entre primaire et secondaire, l’incertitude des mesures concernant les acquis des élèves, le manque de temps pour la rencontre et l’échange. Depuis, pour remédier à ces obstacles, différents textes incitent régulièrement à développer des liaisons école-collège ou collège-lycée, à utiliser des documents mis au point par le ministère de l’Education Nationale. Les circulaires de préparation de rentrée constituent un premier ensemble de textes qui définissent des axes à développer. Concernant les relations inter-cycles, celle de 199814 rappelle que « la continuité pédagogique et éducative entre l’école élémentaire et le collège doit être renforcée et qu’il faut favoriser les échanges directs entre collèges et écoles avant la rentrée». Cette recommandation est formulée à nouveau chaque année pour les liaisons école-collège, moins systématiquement pour celles entre le collège et le lycée (2001, 200315 ). L’accent est souvent mis sur l’utilisation de l’évaluation16 comme outil dont les enseignants disposent pour prendre en compte les acquis antérieurs. Par ailleurs, les orientations mentionnées sont à mettre en relation avec la parution de nouveaux programmes ou l’accompagnement de leur mise en oeuvre. En 1999, la circulaire de rentrée annonce la diffusion de « documents d’application pour le recentrage des programmes actuels de l’école élémentaire, dans certains champs disciplinaires qui serviront de base pour l’élaboration de nouveaux programmes, qui devront être plus précis quant aux objectifs à atteindre et s’inscrire plus clairement dans une continuité avec ceux du collège. ». En 2004, le texte prévoit la mise à disposition de documents de liaison entre école et collège, notamment pour les sciences et technologie. Ce premier constat de différences, dans la désignation, dans les conditions de mise en œuvre, renforcé par l’incitation officielle à développer les liaisons entre les segments scolaires, conduit à s’interroger sur l’existence d’un continuum entre les enseignements de « découverte du monde », « sciences et technologie », « technologie collège », « I.S.I. », « I.S.P. », « I.G.C. ». Cette question d’un parcours cohérent proposé à l’élève s’inscrit dans un champ de recherche encore peu exploré. BO n°3 du 15 janvier 1998. 15 Le B.O. recommande une « meilleure articulation entre les différents cycles, entre école et collège ainsi qu’entre collège et lycée ». 16 Il s’agit essentiellement des évaluations nationales de français et de mathématiques.
Le choix de la progressivité des notions dans l’éducation technologique
Une orientation récente
En 1999, J. Lebeaume proposait d’orienter les recherches selon une perspective curriculaire, d’apporter des connaissances pour identifier une matrice présentant une cohérence entre les différents enseignements de l’école obligatoire liés à l’éducation technologique. Cette orientation génère différentes questions parmi lesquelles la définition des tâches offertes aux élèves, leur répartition dans le cursus, leur progressivité, la flexibilité des programmes, leur spécialité technologique ou encore la mise en œuvre des contenus par les enseignants. Parmi les thèses parues depuis, deux s’inscrivent dans une perspective curriculaire. Celle de I. Rak (2001) s’intéresse aux activités de préparation et de conception tandis que celle de C. Lasson (2004) étudie les ruptures et continuités dans la familiarisation pratique de l’école préélémentaire au collège. L’accent est alors mis sur la répartition chronologique. Mais il n’existe pas, à propos de l’enseignement français, de thèse consacrée à la progressivité, qui concerne davantage les progrès de l’élève.
Le choix des notions
Parmi les publications, la progressivité du curriculum national reste peu évoquée. Dans son habilitation à diriger des recherches, J. Lebeaume (1999, b) illustre les principes qu’il propose pour l’organisation de la progressivité en citant quelques exemples concernant les tâches et les références. J-L. Martinand (2001), dans un article relatif à la conception d’un curriculum, décrit la progressivité des tâches pour la technologie collège. Mais la progressivité des notions nécessaires pour réaliser les tâches, pour rendre intelligibles les références associées aux activités prescrites, n’a pas encore fait l’objet de recherche et justifie le choix du sujet de cette thèse. Cependant, porter une attention particulière aux notions pourrait laisser supposer qu’une primauté leur est accordée, que les tâches proposées aux élèves n’ont pour objectif que l’acquisition de savoirs. Ce n’est pas le cas. La familiarisation pratique, base du curriculum français, n’est pas niée, elle est sous-jacente : c’est au cours d’activités de réalisation que 21 l’élève utilise et s’approprie les notions. Mais l’activité n’est pas un support dont l’objectif principal serait l’acquisition de connaissances.
Limites de l’étude
La présentation du contexte institutionnel (paragraphe 1.3) a mis en évidence l’incitation à développer les relations entre les différents cycles. Dans l’objectif de mettre à disposition des connaissances sur la progressivité des notions dans les programmes et contribuer ainsi au développement des liaisons école-collège et collègelycée, le champ d’étude est limité aux enseignements de cycle 3, à la technologie collège et aux enseignements de détermination I.S.I., I.S.P., I.G.C. Mais ce n’est pas le seul enjeu de cette recherche
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