Le concept de soi et l’estime de soi « La valeur d’un homme se mesure à l’estime qu’il a de lui-même », Rabelais, (cité par Monbourquette, 2002, p.29)
Étymologiquement « estimer » signifie « évaluer », qui contient deux significations : « déterminer la valeur » et « avoir une opinion sur ». Branden et Rand (cités par Seligman, 2013) définissent l’estime de soi ainsi : « Notre confiance en nos capacités de réfléchir et de faire face aux défis (…) la confiance en notre droit au bonheur, le sentiment d’avoir de la valeur ». (p.40). L’équilibre psychique de l’enfant, nous dit Ayotte (1995), coordinatrice du projet de Reasoner (1995) s’appuie sur une adaptation optimale entre l’enfant et son environnement plus ou moins stressant ou harmonieux. C’est via son estime de soi qu’il va pouvoir ajuster ses ressentis et ses comportements. Tout individu s’évalue et se forge, au fil de ses expériences, d’abord une image de soi puis une estime de soi qui varie constamment. L’enfant apprend d’abord à se voir à travers le regard des personnes importantes pour lui (les significatifs).
En substance, l’estime de soi est donc la valeur positive qu’on se reconnaît comme individu de façon globale, dans chacun des domaines que l’on juge importants. Bien que l’estime de soi constitue le ressenti sur lequel nous allons nous pencher auprès des élèves et durant notre travail de recherche, il est nécessaire de préciser qu’il ne s’agit pas là de l’objet mesurable de celle-ci. En effet, dans une perspective d’objectivation de cette notion floue, c’est le concept de soi, qui a été opérationnalisé par le test de Bless, Bonvin et Schuepbach (2005), que nous allons mesurer et étudier durant le présent travail. C’est donc ce concept que nous allons expliciter principalement dans ce chapitre. James (1892) (cité par Borrero, 1984) décrit le concept du soi comme une composante de l’individu ayant trois facettes qui peuvent être soit des attitudes « objectivables » ou encore des sentiments. Il décrit en effet le soi matériel (qui manifeste des attitudes narcissiques tant autour de sa personne que de ses possessions et des sentiments d’orgueil ou de honte autour des possessions). Le soi social qui manifeste des attitudes d’ambition, de fanfaronnade et des sentiments d’orgueil ou de honte concernant son appartenance.
Et le soi spirituel qui manifeste des attitudes morales et religieuses, ainsi que des sentiments de supériorité ou d’infériorité morale ou intellectuelle. Notre recherche se focalisant principalement sur les éléments objectivables en milieu scolaire, les aspects nous concernant le plus sont la considération que l’individu obtient de son milieu, soit le soi social et la manière dont l’enfant ressent sa valeur personnelle, c’est-à-dire le soi spirituel. L’Ecuyer (1978) étudie les périodes de latence et de préadolescence sur lesquelles nous nous pencherons plus spécifiquement par le fait que la moitié de nos élèves se situent dans cette tranche d’âge (de 9 à 13 ans), les autres étant situés parmi les petits, qui ne se sont pas encore créés leur concept de soi (Harter, 1998) ou les adolescents qui sont en constante transformation de leur concept de soi (Gaillard, 1998). Dans son étude du concept de soi, il nous fait remarquer qu’il existe un lien très fort unissant la conscience de soi, la représentation de soi et l’image de soi (qui, dans son sens, ne peut pas encore être considéré comme un synonyme de l’estime de soi).
En effet, la conscience de soi qui correspond à nos expériences de ressenti (impressions et sensations) se concrétise dès l’enfance pour donner une impression de soi. « Ces premières images de soi ont trait aux perceptions que l’enfant a de son corps (…), et progressivement à tout un ensemble d’autres éléments perceptuels contribuant à l’élaboration d’un certain sens d’identité de soi ». (L’Ecuyer, 1978, p.28-29). Ces perceptions sont petit à petit reliées les unes aux autres et forment une sensation de cohérence identitaire, c’est la représentation de soi qui permet à l’enfant de faire la distinction de ses caractéristiques personnelles. Tout individu passe donc d’une construction de soi débutant par un soi somatique et se développant par la suite en un soi mental de plus en plus intégré et diversifié. Dans son étude du concept de soi, L’Ecuyer (1978) s’est également penché sur son développement et la diversité des champs ainsi ouverts. En effet, un individu développant et affinant de plus en plus son identité, en vient à aborder des sphères comme le soi idéal et l’estime de soi. Par la suite, il semble que cela soit par le biais de la communication et donc les liens sociaux que l’individu assoit son identité et la vision positive ou négative qu’il a de lui-même.
Le sentiment d’efficacité personnelle et de maîtrise
« Ce que la chenille appelle la fin du monde, le reste du monde l’appelle un papillon. », Bach (cité par Monbourquette, 2002, p.145) En étudiant l’estime de soi, puis le concept de soi, nous avons constaté, comme Laporte et Sévigny (2002), qu’il existe des paramètres nécessaires à toute bonne construction de cette notion. Ces auteures nous indiquent quelques points qu’elles estiment essentiels à l’avènement d’une bonne estime de soi chez l’enfant. Ces points consistent à faire vivre du succès à l’enfant, soit de le valoriser dans certains domaines, afin que ce dernier ne nourrisse pas une impression d’impuissance apprise (Seligman, 2013) pouvant conduire jusqu’à une dépression. En faisant vivre des succès à l’enfant, il s’agit de développer chez lui un sentiment d’efficacité personnelle (Bandura, 2007) assurant sa motivation pour les tâches qu’il réalise, notamment scolaires. Le sentiment d’efficacité personnelle est un mécanisme psychologique qui consiste à développer une perception et une croyance en ses aptitudes dans certains domaines. Bouffard-Bouchard (1990), cité par Bandura (2007), indique dans une étude quatre des bienfaits du développement du sentiment d’efficacité personnelle à l’école.
D’une part « les élèves dont le sentiment d’efficacité avait été accru se fixaient des objectifs plus élevés » (p.327.), d’autres part ces derniers « faisaient preuve d’une plus grande flexibilité stratégique dans la recherche de solutions » (p.327.), puis ils « obtenaient de meilleures performances intellectuelles » (p.327.). Finalement, ce qui est primordial également pour un bon développement de l’estime de soi, est qu’ils « évaluaient avec plus d’exactitude la qualité de leurs performances.». (p.327.) Laporte et Sévigny (2002) insistent sur le fait qu’il faut encourager l’autonomie de l’enfant (sans le surprotéger) en le motivant à relever des défis réalistes et accessibles. Mais pour cela, ce dernier doit accepter qu’il a des limites et doit s’attendre à avoir des difficultés avant de réussir. Cependant, ses progrès doivent être soulignés dans une bonne mesure en tenant compte du résultat, mais aussi de l’effort fourni pour y parvenir. En relevant l’effort, la personne significative pour l’enfant l’encourage à persévérer et développe ainsi de la fierté. Cette fierté récurrente dans certains domaines créera le sentiment d’efficacité personnelle, nécessaire à toute réussite par le fait que, armé de cette confiance, il courra plus facilement le risque de chercher une solution nouvelle à un problème et augmentera son adaptabilité, ce qui favorisera une meilleure réussite scolaire.
Gilmore (1974) ajoute que l’individu ne peut être productif, créatif et mener ses projets à terme que s’il a une bonne estime de soi, soit une évaluation réaliste de ses forces et de ses faiblesses. Sears (1964), dans son étude sur le concept de soi, démontre que les enfants qui ont une bonne (réaliste) estime de soi parviennent à se fixer des buts atteignables. Cela permet de renforcer leur sentiment de maîtrise, ce qui, à la manière d’un cercle vertueux, génère une plus haute estime de soi. Ainsi les enfants se perçoivent de manière plus positive, ce qui augmente leur sentiment d’efficacité personnelle, ad libitum. Seligman (2013) propose quant à lui d’enseigner l’optimisme aux élèves. Cet auteur est particulièrement sensibilisé par des observations qu’il a faites de sujets qui développement ce qu’il appelle « l’impuissance apprise ». Cette dernière consiste à penser qu’aucun comportement du sujet n’a d’impact sur son environnement. Cela mène indéniablement à une baisse de l’estime de soi et du sentiment d’efficacité personnelle, voire à une dépression. Il a, par contre, observé que, lorsqu’une personne est optimiste, elle s’encourage et persévère dans l’effort, sans abandonner un problème qui pourrait sembler insoluble de prime abord. En effet, si l’élève a un sentiment d’efficacité personnelle et qu’il perçoit que ses difficultés sont momentanées et liées à des facteurs modifiables, il continuera à faire des efforts pour s’améliorer. Viau (1997), nous donne des conditions permettant de motiver la classe. Ces dernières mettent en avant la contrôlabilité que doit avoir l’enfant sur son environnement, favorisant sa motivation en classe. Est également mise en avant la contrôlabilité de l’élève sur le travail effectué, son investissement en terme de responsabilité, de même que le sens que l’activité doit revêtir pour lui. Il est donc nécessaire, pour que ladite activité soit motivante et que l’élève s’y investisse, que celui-ci jouisse d’un bon sentiment d’efficacité personnelle. Lecompte (2004) a étudié Bandura et en a extrait des principes de base montrant son importance dans la réussite scolaire.
CHAPITRE 1 : PRESENTATION DE LA RECHERCHE |