Contexte historique du Népal occidental
Les documents qui concernent l’histoire du Népal occidental et la généalogie de ses souverains proviennent essentiellement de deux aires culturelles : celle de culture khaśa/pahāṛī du Népal occidental et de l’Uttarkhand, et celle de culture tibétaine. Il s’agit dans le contexte khaśa/pahāṛī d’inscriptions sur pierre ou sur métal, dont la plus ancienne date de 1223 (inscrip- tion de Baleshwar du règne de Krācalla122), et de sources orales. Dans ce corpus, une inscription primordiale est celle du Kīrtīkhamba (« pilier de renommée ») de Dullu (DLK26-01, Fig. 1.8 et 1.9), l’une des capitales de l’empire Khaśa Malla. Ce pilier est érigé en 1357 par l’empereur Pṛthvīmalla qui y dresse la généalogie de sa lignée. La liste de noms commence par Nāgarāja, après qui les souverains ont des noms se finissant en -calla puis, à partir de Jitārimalla (attesté à partir de 1287), en -malla. Le suffixe -calla serait en relation avec le terme jhalla, mentionné dans la Manusmṛti et qui ferait partie de la progéniture issue de Kṣatriya dégradés de leur rang, au même titre que les malla, licchavi, khasa, etc123. Les documents népalais et ceux de l’Ut- tarkhand sont écrits en devanāgarī, en langues sanskrite et proto-pahāṛī (qui deviendra le népa- lais moderne, ou khaś kura). Le mantra d’Avalokiteśvara, oṁ maṇi padme hūṃ, est inscrit en caractères tibétains ou rañjana sur des inscriptions de Ripumalla et de Pṛthvīmalla. Les sources orales sont constituées de généalogies (vaṃśavalī et āśikā124) et de récits des hauts faits des dieux (Ju. paṛheli).
Commandités par des familles soucieuses d’affirmer leurs origines, les chroniques généalogiques sont encore récitées de nos jours par les bardes huḍke dans l’en- semble du Népal occidental125. Ce corpus forme une véritable tradition bardique. Les paṛheli sont déclamés par les médiums dhāmi, spécialistes des consultations oraculaires des divinités du même ordre126. Le matériel tibétain consiste en chroniques des royaumes tibétains et en biographies de personnages religieux rédigées à partir du XIIIconnus dans les documents au sud de l’Himalaya : Calla est rendu lde et Malla est smal ou rmal128. Il est désormais possible, grâce aux travaux de G. Tucci, L. Petech et R. Vitali, de res- tituer la succession des empereurs Khaśa Malla depuis Nāgarāja jusqu’à Abhayamalla, le der- nier empereur Khaśa Malla (Fig. 2.6). Notons que les sources tibétaines ne fournissent d’infor- mations que jusqu’à Pṛthvīmalla. L’ensemble des auteurs s’accordent néanmoins sur le fait que de nombreuses contradictions restent insolubles, comme par exemple l’origine tantôt tibétaine (de Purang)129, tantôt de la Karnali (de Gelā) de Puṇyamalla (bSod nams lde) sur laquelle je reviendrai (cf. infra et Ch. 10). La confusion entre les sources tibétaines et sanskrites repose également sur la localisation de la capitale impériale. Il est question de Yatse (Ya rtse) chez les premières et de Dullu et de Sinja dans le second cas.
Si, comme on le verra au chapitre sur Sinja et Dullu, la Yatse des textes tibétains a été identifiée avec la Sinja moderne, l’absence de réfé- rence à Dullu dans les textes tibétains reste surprenante. 2.1. La période pré-impériale Les données disponibles sur l’histoire du Népal occidental avant la période impériale Khaśa Malla sont lacunaires. Les régions voisines du Kumaon et du Garhwal sont sous la férule des Kuṇinda entre grosso modo le VIdhisme au Tibet, notamment sous le règne de Yeshe Ö (947-1024). En 996 Yeshe Ö fonde Tholing, qui deviendra la capitale de Guge avec Tsaparang et Tabo (Himachal Pradesh). Son frère, Khor re, établit quant à lui le monastère de Kojarnath (Kha char) à Purang136. La région de Guge est sévèrement affectée par des incursions de bandes armées venues du nord et du nord-ouest. Vers 1035, un chef de guerre du nom de Bhara dan-dur prend le contrôle de la région de Ngari. Le Mar-1ung-pa rnam-thar indique : Les troupes de Bhara Dandur sont également qualifiée de Garlog (Gar-log) ou de Sogpo (Sog- po)138. Elles se rendent maîtresses de Ngari, du Mustang, de Sinja (Ya rtse) et de Manang et entraînent la migration de la population vers le sud et les terres des Mon (le terme de Mon est couramment employé pour qualifier les occupants des régions au sud de la chaîne de l’Hima- laya139). Ces envahisseurs (Sogpo, Hor, Garlog) sont identifiables avec les musulmans de la e siècle) originaire de Kashgar. Leurs passages au Tibet sont ra- pides et consistent principalement en pillages140.