Modèle de gestion de la diversité
La gestion de la diversité est un ensemble de « programmes ou procédures systématiques et planifiés conçus a) pour améliorer les interactions entre diverses personnes, en particulier de différents groupes ethniques, sexes ou cultures et b) pour faire de cette diversité une source de créativité, de complémentarité et de plus grande efficacité » (Stockdale et Crosby, 2004, p.12, traduction libre). Le concept de gestion de la diversité a évolué au cours des dernières décennies (Lorbiecki et Jack, 2000), notamment en ce qui a trait à sa définition, ses hypothèses, ses applications (Mor Barak, 2016; Morrison et al., 2006; Nkomo et Cox, 1999; Nemetz et Christensen, 1996) et à sa capacité à améliorer l’efficacité organisationnelle (Dijke et al., 2012; Guillaume et al., 2012; Herring, 2009; Joshi et Roh, 2009). Dans le cadre de cette thèse, le concept de gestion de la diversité sera mobilisé afin d’évaluer les stratégies mises en place par les employeurs miniers pour favoriser le recrutement, l’intégration et la rétention d’employés autochtones (Chapitre II), ainsi que les perceptions des Autochtones face à ces stratégies (Chapitre III). Il existe différents cadres d’analyse de la gestion de la diversité au sein des organisations. Certains mettent l’accent sur les liens entre l’organisation et les systèmes externes aux échelles locale, nationale et internationale (Mor Barak, 2000), tandis que d’autres s’intéressent aux caractéristiques des employés (p. ex. normes et valeurs personnelles) et des organisations (p. ex. politiques, pratiques et récompenses) (Mor Barak, 1999). Il existe un modèle permettant de mesurer la satisfaction professionnelle des employés autochtones en fonction de différents facteurs tels que le capital humain, les caractéristiques sociodémographiques, les pratiques organisationnelles, les différences individuelles et le bien-être culturel (Haar et Brougham, 2013). Le modèle de gestion de la diversité de Guillaume et al. (2014) est issu d’un travail de synthèse réunissant, dans une vision globale et cohérente, les différents aspects de la gestion de la diversité culturelle liés à la société (p.ex. : législation et situation socioéconomique), à l’organisation (p.ex. : politiques et procédures de gestion de la diversité et conviction de la haute direction en matière de diversité), au groupe de travail (p.ex. : climat d’inclusion et capacités de leadership des superviseurs), ainsi qu’à l’individu (p.ex. : personnalité, motivation pour le travail, motivation au travail et valeurs). Ce modèle a été retenu puisque, contrairement aux autres cadres recensés, il est axé sur le milieu de travail local, intègre les facteurs liés à la société et au groupe de travail et offre la possibilité de comparer les points de vue des employeurs (Chapitre II) et des employés (Chaptre III), quant aux facteurs de succès liés au recrutement, à l’intégration et à la rétention de la main-d’oeuvre autochtone dans le secteur minier. En outre, le modèle de Guillaume et al. (2014) est plus complet que d’autres parce qu’il combine les perspectives de la gestion des ressources humaines et de la psychologie du travail.
Facteurs sociétaux
Les facteurs sociétaux impliquent, dans un premier temps, les contextes économique et démographique. Les fluctuations économiques entraînent des changements quant à la disponibilité des emplois ainsi qu’à la création et au développement d’entreprises, lesquels influencent à leur tour la participation des Autochtones au marché du travail (Eckermann, 1979; Gregory et Martin, 2000; Lamb, 2015; Mills et Clarke, 2009; Pearson et Daff, 2013). D’ailleurs, les Autochtones seraient plus affectés par les crises économiques, alors que les emplois qu’ils occupent sont généralement moins spécialisés (Lamb, 2015). Le vieillissement de la population favorise également l’intégration de la main-d’oeuvre autochtone (Rheault et Poirier, 2012), laquelle est généralement jeune, en croissance, en recherche d’emploi et désireuse de participer au développement (Deanna et John, 2017; Gouvernement du Canada, 2011b; Proulx et Gauthier, 2012). Dans un autre ordre d’idées, les entreprises qui opèrent dans des pays dotés d’une culture et d’une législation axées sur l’égalité sont susceptibles d’appliquer des politiques, des procédures et des pratiques de gestion en faveur de la diversité culturelle (Brodbeck et al., 2004; Guillaume et al., 2014; House et al., 2004). En ce sens, l’obligation légale des promoteurs miniers de collaborer avec les Autochtones, notamment via la conclusion d’ententes, présente un déterminant important de l’offre de formation et d’emplois aux membres de ces communautés (Knotsch et al., 2010). D’autres initiatives législatives relatives à l’équité et aux relations de travail peuvent aussi influencer la propension des entreprises à se tourner vers la main-d’oeuvre autochtone (Benhamadi, 2003; Crawley et Sinclair, 2003; Jain et al., 2000; Mills, 2011).
Au Canada, par exemple, la Loi sur l’équité en matière d’emploi exige que les employeurs prennent des mesures pour assurer que les membres des groupes désignés, dont les Autochtones, soient pleinement représentés au sein de leur entreprise (Gouvernement du Canada, 2003, 2020). De plus, la Loi sur les compétences du gouvernement du Québec encadre les investissements des entreprises relatifs à la formation des employés (Gouvernement du Québec, 2017b). D’autres facteurs sociétaux affectant la gestion de la diversité culturelle concernent, notamment, les programmes de santé, de formation ainsi que les programmes d’aide à l’intégration au travail implantés par les autorités locales. L’instauration de programmes visant l’amélioration des conditions de santé des communautés autochtones encourage la participation de leurs membres au marché du travail (Usher et al., 2005). Ces initiatives sont d’autant plus importantes que ces communautés subissent généralement de plus grands problèmes de santé que les populations non-autochtones (Anaya, 2015). Enfin, les programmes de formation et d’aide à l’intégration au travail sont importants parce que la transition entre l’école et le travail ainsi que la rétention sont des défis majeurs pour les jeunes autochtones et les minorités culturelles (Marshall et al., 2013).
Facteurs organisationnels
Les facteurs organisationnels, dont les politiques, les procédures et les convictions de la haute direction, ont une influence sur la gestion de la diversité culturelle au sein des entreprises. Différentes études ont montré qu’une main-d’oeuvre diversifiée est plus susceptible de contribuer à accroître la performance d’une organisation, lorsque la haute direction adopte des politiques et des procédures justes et équitables envers ses employés (Avery et McKay, 2010; Homan et al., 2007; McKay et al., 2008; Singh et al., 2013), et lorsqu’elle établit des conditions qui contribuent à l’instauration d’un climat de travail axé sur l’inclusion, notamment en impliquant les employés dans la prise de décisions (Caron et al., 2019b; Guillaume et al., 2014; Nishii, 2013). Dans le cas contraire, l’innovation, l’efficacité, l’assiduité, l’identification au groupe de travail ainsi que le bien-être des employés pourraient être affectés (Avery et al., 2007; Chattopadhyay et al., 2004). Quant à la planification de politiques et de procédures spécifiques à la main-d’oeuvre autochtone, celle-ci doit être réalisée en intégrant les réalités sociales, culturelles et économiques des communautés (Thomas, 2015). Par ailleurs, la mesure dans laquelle les facteurs sociétaux influencent les politiques et procédures de gestion de la diversité organisationnelle dépend des convictions et du soutien de la haute direction en matière de diversité (Guillaume et al., 2014; Wentling, 2004; Wentling et Palma-Rivas, 1998). Certains employeurs considèrent que le recrutement de main-d’oeuvre autochtone ne représente pas une solution à la rareté (Lamontagne, 2004) et que, dans les faits, peu d’Autochtones seraient réellement à la recherche d’emplois, ce qui expliquerait les difficultés de rétention ainsi que le haut taux d’absentéisme (Sammartino et al., 2003). À l’opposé, certains dirigeants d’entreprises considèrent le recours aux communautés autochtones comme une option favorable pour pourvoir au manque de main-d’oeuvre, et investissent des efforts en ce sens, que ce soit par l’établissement d’une relation de confiance (Perkons et Brown, 2010), l’application de procédures de recrutement particulières (Joseph 2008; Brown 2003; Sloan et Oliver 2009), la mise en oeuvre de programmes de mentorat et de formation (Burgess et Dyer, 2009; McCalman et al., 2009) ou l’instauration de partenariats (Jose, 2013; Sloan et Oliver, 2009).
Facteurs liés au groupe de travail Quoique les politiques, les procédures, et les croyances des dirigeants jouent un rôle important dans la gestion de la diversité culturelle des entreprises, encore faut-il que les cadres intermédiaires, tels que les superviseurs et les chefs d’équipe, les mettent en oeuvre (Rentsch, 1990; Zohar, 2000, 2002). Les facteurs liés au groupe de travail incluent, notamment, les aptitudes de leadership des superviseurs ainsi que leur capacité d’instaurer un climat de travail favorable. Certains auteurs se sont intéressés à la capacité des dirigeants à favoriser un sentiment d’appartenance et d’inclusion au groupe de travail afin de mieux gérer la diversité culturelle (Groggins et Ryan, 2013; Guillaume et al., 2014; Nishii, 2013; Shore et al., 2011). D’autres ont suggéré que la clé réside dans la capacité des dirigeants à faire valoir et à inculquer une valeur organisationnelle selon laquelle la diversité représente un avantage (Avery et McKay, 2010). Bien que les employés provenant d’un groupe culturellement diversifié aient différents rôles au sein d’une organisation, le traitement inclusif et équitable à leur égard encourage leur sentiment d’appartenance ainsi que leur valorisation (Dovidio et al., 1998). De plus, un sentiment d’inclusion et d’acceptation de la part des employés se traduit par un sentiment de sécurité (Brewer, 1991), accroît leur satisfaction, facilite la résolution de conflits et favorise la rétention du personnel (Nishii, 2013). Par ailleurs, l’innovation, l’efficacité ainsi que le bien-être des employés sont favorisés si leurs préoccupations sont prises en compte par les dirigeants, et si ces derniers établissent des objectifs de performance réalistes et atteignables (Guillaume et al., 2014). Alors que peu d’études focalisent sur la gestion de la diversité culturelle spécifique aux Autochtones, des recherches confirment que ceux-ci souhaitent avoir des possibilités de carrières et apprécient particulièrement les environnements de travail qui respectent leur culture et dont la main-d’oeuvre inclut d’autres employés parmi leurs semblables (Ewing et al., 2017).
La distance qui les sépare de leur communauté, jumelée à l’absence de relations significatives entre collègues, complique l’intégration des employés autochtones (Haley et Fisher, 2014; Simard, 2002). Le sentiment d’appartenance de ces travailleurs serait cependant favorisé lorsque des programmes de formation et de mentorat par d’autres employés autochtones sont en place, bien que cela puisse engendrer la création de sous-groupes (Daly et Gebremedhin, 2015). Au-delà des aptitudes des dirigeants et des superviseurs, le climat de travail est également conditionné par les relations entre les travailleurs. Les comportements discriminatoires ou inappropriés envers les travailleurs autochtones nuisent à leur intégration de même qu’à leur rétention sur le marché du travail (Biddle et al., 2013; O’Faircheallaigh, 2006; Rerden et Guerin, 2015), et nécessitent des interventions stratégiques de la part des dirigeants (Day et al., 2004; Haley et Fisher, 2014; Loxton et al., 2012). De plus, les Autochtones ont souvent tendance à éviter les conflits et préfèrent travailler dans une perspective de collaboration (Thiessen, 2016). Puisqu’il peut être plus facile pour un employé autochtone de quitter un emploi que de s’adresser à des superviseurs concernant un conflit, la sensibilité ainsi que la capacité de ces derniers dans la gestion de différends, de même que l’instauration de programmes de formation interculturelle sont importantes pour la rétention de la main-d’oeuvre autochtone (Haley et Fisher, 2014).
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