Contexte d’inclusion scolaire dans les écoles québécoises

Stratégies d’intervention des enseignants en contexte d’intimidation

Au cours de la dernière décennie, un certain nombre de recherches ont examiné les réponses des enseignants du primaire face à l’intimidation (physique, verbale et relationnelle; Asimopoulos et al., 2014 ; Bauman, Rigby et Hoppa, 2008 ; Burger et al., 2015 ; Byers, Caltabiano et Caltabiano, 2011 ; Duy, 2010 ; Kochenderfer-Ladd et Pelletier, 2008 ; Marshall, Varjas, Meyers, Graybill et Skoczylas, 2009 ; Troop-Gordon et Ladd, 2015 ; Van der Zanden, Scholte et Denessen, 2015). Ces études ont permis de ressortir 11 stratégies applicables par les enseignants (Tremblay et al., soumis) : a) travail avec l’agresseur, b) travail avec la victime, c) discipline de l’agresseur (sanction, geste réparateur, mention du comportement inapproprié), d) implication d’autres adultes (parents, directeur, personnel de soutien), e) ignorance de la situation, f) discussion en groupe, g) séparation des élèves impliqués, h) résolution de conflits, i) suggérer l’affirmation, j) suggérer l’évitement/ignorance et k) utilisation de l’expérience personnelle. De plus, une récente étude québécoise s’est intéressée, en partie, aux interventions éducatives pratiquées en contexte de violence par le personnel de l’école, dont les enseignants (Beaumont et al., 2018a ; Beaumont et al., 2018b). Toutefois, les résultats ne sont pas présentés spécifiquement au niveau des enseignants. Contrairement au rapport présentant les données en 2013, 2015 et 2017, le rapport sur les données obtenues en 2013 distingue néanmoins la réquence d’utilisation des interventions par les enseignants et les professionnels (Beaumont et al., 2014).

Vues ces différences, les résultats de ces recherches sont utilisés à titre de comparatif dans la discussion de ce mémoire. À ce jour, les recherches relatives aux réponses des enseignants indiquent que la discipline de l’agresseur est la première stratégie vers laquelle les enseignants ont l’intention de se tourner (Bauman et al., 2008 ; Burger et al., 2015 ; Van der Zanden, Scholte et Denessen, 2015), notamment lorsqu’ils perçoivent négativement le climat scolaire (Bilgin et Kartal, 2009). De même, la distanciation des élèves et l’implication d’autres adultes permettant de réduire l’intimidation sont aussi fréquemment rapportées par les enseignants comme étant des stratégies qu’ils ont l’intention d’appliquer (Kochenderfer-Ladd et Pelletier, 2008 ; Troop-Gordon et Ladd, 2015). À la différence de l’agresseur, les victimes ne semblent pas bénéficier d’autant d’attention de la part des enseignants, malgré les conséquences importantes sur le plan de leur santé physique et psychologique (Brendgen et Poulin, 2018 ; Schoeler et al., 2018). En effet, les enseignants ont moins tendance à travailler avec la victime que de contacter les parents et de discipliner ou travailler avec l’agresseur (Bauman et al., 2008 ; Burger et al., 2015 ; Van der Zanden, Scholte et Denessen, 2015).

Pourtant, dans leur méta-analyse, Schoeler et al. (2018) suggèrent d’intervenir directement après l’évènement auprès des victimes pour développer leur résilience et diminuer les conséquences négatives qui en résultent. De plus, l’efficacité de la discipline de l’agresseur comme stratégie est controversée dans la littérature actuelle. Par exemple, blâmer l’agresseur n’a aucun impact sur l’intention de l’agresseur de modifier son comportement (Kochenderfer-Ladd et Pelletier, 2008 et Troop-Gordon et Ladd, 2015), alors que la mention du comportement inacceptable et le fait de susciter son empathie s’avèrent efficaces (Garandeau, Vartio, Poskiparta et Salmivalli, 2016). À l’inverse, la méta-analyse de Ttofi et Farrington (2011) indique que les méthodes disciplinaires sont efficaces. Il semble donc y avoir un nombre limité de données disponibles concernant les meilleures stratégies pour contrer l’intimidation. Ceci peut expliquer le manque de références probantes pour les pratiques des enseignants et leur choix de stratégies dont l’efficacité est parfois discutable. Bien qu’un certain nombre d’études portent sur les réponses des enseignants, différentes limites doivent être soulevées concernant l’interprétation des résultats. En effet, actuellement, les études collectent les données à l’aide de questionnaires (ex. Handling Bullying Questionnaire [HBQ]; Bauman et al., 2008) offrant des choix de réponses.

Ce type de questionnaire peut induire un biais de désirabilité sociale du répondant qui tentera de choisir la réponse qu’il pense être la plus acceptable socialement plutôt que ce qu’il applique réellement. De plus, des mises en situation sont également utilisées pour mesurer les réponses potentielles des enseignants (ex. Bullying attitude Questionnaire, BAQ; Craig, Pepler et Atlas, 2000 ; version adaptée par Yoon et Kerber, 2003), ce qui place le répondant dans une situation subjective avec une réponse anticipée. En accord avec les hypothèses de Marshall et al. (2009), il est possible de croire que certaines stratégies sont identifiées ou sur-identifiées, sans corroborer ce que les enseignants appliquent réellement. De plus, les stratégies, évaluées par divers instruments de mesure (ex. BAQ, HBQ), sont définies et mesurées différemment. Par exemple, la stratégie « discipline de l’agresseur », mesurée par le HBQ, comprend des items portant, à la fois, sur la mention du comportement inacceptable et sur les sanctions (Bauman et al., 2008). À la différence de cet instrument, le Classroom management policies questionnaire (CMPQ ; Troop et Ladd, 2002) précise la punition de l’agresseur comme une stratégie et exclue la mention du comportement inapproprié. Ces différences doivent donc être considérées lors de l’interprétation des résultats.

Sentiment d’auto-efficacité

Le sentiment d’auto-efficacité semble être un facteur prédictif de la probabilité d’intervenir chez les enseignants (Dedousis-Wallace et al., 2014 ; Yoon, 2004). En effet, certaines études indiquent que les enseignants qui ressentent avoir les capacités pour intervenir dans une situation d’intimidation physique et verbale sont plus enclins à intervenir (Byers et al., 2011 ; Gregus et al., 2017), alors qu’une étude indique qu’il n’existe aucune relation entre ces variables (Yoon et al., 2016). De plus, Veenstra et al. (2014) ont démontré que le sentiment d’auto-efficacité des enseignants semble être associé négativement au niveau d’intimidation rapporté par les élèves, alors qu’Oldenburg et al. (2015) montrent que ces deux variables sont associées positivement. Bref, les études relatives au sentiment d’auto-efficacité sont mitigées et ne permettent pas d’affirmer avec certitude le sens de l’influence de l’auto-efficacité et ses effets potentiels sur les réponses des enseignants face à l’intimidation. D’autres variables seraient donc en jeu concernant le sentiment d’auto-efficacité des enseignants et leurs actions concernant l’intimidation. Bien que cela ne soit pas directement en lien avec l’intimidation, certaines études ont examiné le sentiment d’auto-efficacité des enseignants en lien avec leur gestion de classe.

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En effet, les enseignants ayant un fort sentiment d’auto-efficacité auprès des élèves ayant des difficultés de comportement utilisent davantage des stratégies préventives favorisant le développement des capacités d’autorégulation de ceux-ci (Tremblay, 2014) et les soutiennent davantage au niveau émotionnel (Gaudreau, Royer, Beaumont et Frenette, 2012). Ces stratégies préventives répondent d’ailleurs aux besoins des élèves présentant un TSA ou un TDAH. Or, les élèves ayant des difficultés de comportement sont une source de stress importante pour les enseignants (Plouffe-Leboeuf, 2015), particulièrement les élèves ayant un TSA (Boujut, Popa-Roch, Palomares, Dean et Cappe, 2017 ; Cappe, Smock et Boujut, 2016) ou un TDAH (Greene, Beszterczey, Katzenstein, Park et Goring, 2012). En effet, l’enseignement auprès d’élèves ayant un TSA, par exemple, est un facteur de risque menant à l’épuisement professionnel (Boujut et al., 2017). Les enseignants dénoncent leur sentiment d’incompétence et de faible accomplissement dans leur travail, leur stress par rapport à la gestion des comportements difficiles chez ces élèves et leur frustration envers les répercussions négatives que peuvent causer ces comportements sur l’ensemble du groupe (Cappe, Smock et Boujut, 2016). De plus, plusieurs études démontrent que les enseignants ont des attitudes moins positives envers les élèves ayant des difficultés comportementales et ont plus tendance à utiliser des stratégies punitives (ex. retrait) envers ceux-ci lorsqu’ils se perçoivent peu efficaces (Gaudreau et al., 2012 ; Gordon, 2001 ; Tremblay, 2014 ; Leclerc et al., 2016 ; Potvin et Rousseau, 1993). D’ailleurs, plus les enseignants vivent du stress face à l’intégration des élèves ayant des besoins particuliers, moins ils se sentent compétents et plus ils utilisent des stratégies punitives, ont une attitude négative envers leur intégration et entretiennent une relation de moins bonne qualité (Benoît, 2016 ; Plouffe-Leboeuf, 2015 ; Tremblay, 2014 ; Plouffe-Leboeuf, Couture, Massé, Bégin, et Rousseau, 2019). À l’inverse, les enseignants ayant une relation positive avec leur élève sont plus à l’écoute de leurs besoins et appliquent des stratégies différenciées et adaptées auprès d’eux (Tremblay, 2014).

Relation élève-enseignant

La relation élève-enseignant s’avère être une sous-dimension du climat scolaire importante pour contrer l’intimidation (Janosz et Bouthillier, 2007). En effet, l’intimidation est moins présente dans les écoles perçues comme étant sécuritaires et caractérisées par des relations élèves-enseignants positives (Richard, Schneider et Mallet, 2012 ; Boulton et al., 2009). De plus, il est démontré que la relation enseignant-élève permet de réduire les effets négatifs de l’intimidation sur les performances scolaires des élèves (Konishi, Hymel, Zumbo et Li, 2010) et de modérer le lien entre le niveau d’intimidation et la sécurité perçue en classe par les élèves (Boulton et al., 2009). En d’autres termes, les élèves percevant qu’ils ont une relation positive avec leur enseignant semblent se sentir en sécurité, malgré la présence de l’intimidation en classe (Boulton et al., 2009). Bien que cette variable soit démontrée comme étant une condition favorable pour contrer l’intimidation et pour favoriser l’engagement des élèves, la qualité de la relation enseignant-élève semble être affectée par les besoins particuliers de ces derniers. Par exemple, il est démontré que les comportements hyperactifs et impulsifs des élèves prédisent une relation « conflictuelle » avec leur enseignant (Fontaine-Boyte, 2015). Nadeau, Massé, Gaudreau et Lessard (2018) corroborent ces résultats en démontrant que 30 à 40 % des enseignants ne sont pas confortables à l’idée d’être indulgents envers les élèves avec qui ils ont de la difficulté à communiquer ou envers ceux dont ils ne comprennent pas les comportements. D’ailleurs, la revue de littérature de Cappe et al., (2016) démontre que les enseignants ressentent de la frustration face aux élèves ayant un TSA avec qui ils ont de la difficulté à interagir. Il est donc probable qu’en contexte d’intimidation, les enseignants soient moins enclins à intervenir auprès des élèves ayant des besoins particuliers considérant les liens directs et indirects entre la relation élève-enseignant, les caractéristiques de l’élève, le niveau de stress vécu, le sentiment de compétence et les attitudes des enseignants (Benoît, 2016 ; Fontaine-Boyte, 2015 ; Plouffe-Leboeuf, 2015 ; Plouffe et al., 2019 ; Tremblay, 2014).

Table des matières

INTRODUCTION
1. PROBLÉMATIQUE
2. CADRE DE RÉFÉRENCE
2.1 Contexte d’inclusion scolaire dans les écoles québécoises
2.2 Intimidation scolaire : définition et types
2.3 Prévention et intervention en contexte d’intimidation
2.4 Portrait des connaissances et des compétences des enseignants dans la lutte contre l’intimidation
2.5 Stratégies d’intervention des enseignants en contexte d’intimidation
2.6 Facteurs ayant un impact sur la probabilité d’intervenir des enseignants en situation d’intimidation
2.6.1 Sentiment d’auto-efficacité
2.6.2 Relation élève-enseignant
2.6.3 Types d’intimidation
3. PROJET DE RECHERCHE ET QUESTIONS DE RECHERCHE
4. MÉTHODE
4.1 Devis de recherche
4.2 Participants(es
4.3 Procédure de recrutement et de collecte de données
4.4 Mesures
4.4.1 Entrevue par courriel ou par téléphone
4.4.2 Questionnaire en ligne
4.4.3.1 Relation enseignant-élève
4.4.3.2 Sentiment d’auto-efficacité des enseignants
4.5 Analyse de données
5. RÉSULTATS
5.1 Portrait des stratégies d’intervention rapportées par les enseignantes (Objectif 1)
5.2 Facteurs individuels et environnementaux ayant influencé le choix des stratégies
5.2.1 Caractéristiques de l’élève
5.2.2 Caractéristiques de l’enseignant
5.2.3 Formation et expériences
5.2.4 Sentiment d’auto-efficacité
5.2.5 Relation enseignant-élève
5.2.6 Caractéristiques de la situation
5.3 Besoins rapportés par les enseignants pour contrer l’intimidation
6. DISCUSSION
7. EN PRATIQUE, COMMENT INTERVENIR ? POINTS À RETENIR
8. LIMITES DE L’ÉTUDE
9. CONCLUSION
ANNEXE A — LETTRE D’APPROBATION ÉTHIQUE CÉR UQAT
ANNEXE B — FORMULAIRE DE CONSENTEMENT
ANNEXE C — ENTREVUE PAR COURRIEL OU PAR TÉLÉPHONE (QUESTIONNAIRE OUVERT
ANNEXE D — QUESTIONNAIRE EN LIGNE
ANNEXE E — MODÈLE D’INTERVENTION : J’ÉVALUE LA SITUATION ET J’AGIS AVEC MES STRATÉGIES
LISTE DE RÉFÉRENCES

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