Phase méthodologique 1 : Création du modèle
Identification des états critiques de la tâche et des variables propres à chaque état
Sur la base de l’étude de documents médicaux propres à l’urgence médicale et à la prise en charge du choc septique ou sepsis, un modèle de la tâche est développé (AMLS 2013 ; Leclerc et al. 2002 ; Martin & Brun-Buisson 2007). L’objectif étant de mettre en évidence les états suffisants et nécessaires que les opérateurs doivent contrôler pour assurer la prise en charge d’un choc septique en pédiatrie. Une fois validé par un médecin expert en anesthésie, le modèle proposé se compose de 11 états, chacun pouvant être atteint ou non atteint. Chaque état est ensuite caractérisé en termes de variables essentielles, autrement dit les opérations nécessaires à l’atteinte de l’état (Tableau 11).
Caractérisation des états au regard des contraintes
Chaque état est ensuite caractérisé au regard des contraintes. Cette caractérisation repose sur un critère de criticité. En effet, comme évoqué précédemment, un état possède 3 coordonnées au sein de DSM, une sur chaque contrainte. Cependant, seule la contrainte la plus critique est utilisée pour caractériser l’état. Ainsi, pour chaque état, l’objectif est de répondre à la question suivante : pour quelles raisons les opérateurs ne seraient-ils pas en mesure d’atteindre l’état donné ? Du fait de problèmes liés à la gestion des informations (TI), du fait de problème liés à la répartition des tâches ou la manipulation des objets (GT) ou encore du fait de certaines lacunes de connaissances/compétences médicales (SP) ? Au sein de notre modèle, l’atteinte des états « état infectieux identifié », « état infectieux compris », « réponse thérapeutique surveillée », et « soutien logistique et transfert en réanimation assuré » dépend.
Analyse de l’activité de soignants médicaux et paramédicaux sur simulateur haute-fidélité lors de simulations d’urgence, en vue de la conception d’un environnement de soins ergonomique Cécile I. Bernard 2020 essentiellement de la qualité et la quantité des informations recueillies. En effet, si l’opérateur n’est pas en mesure de recueillir les données physiologiques du patient, de questionner les parents, de communiquer avec ses collègues quant à la situation et/ou la mise en place d’examens supplémentaires, ou encore, s’il ne parvient pas à établir un tableau clinique précis sur la base des informations dont il dispose, alors il lui sera difficile d’atteindre ces états. Des problèmes de communication ou des informations manquantes constituent donc le principal risque pouvant compromettre l’atteinte de ces états alors caractérisés « TI : Traitement de l’information ».
Concernant les états « procédure d’urgence déclenchée » et « conditionnement technique réalisé », le risque repose essentiellement sur une incapacité à manipuler le téléphone permettant l’envoie du code d’urgence, des difficultés techniques à organiser l’espace, à adapter le lit du patient ou encore à manipuler les outils permettant la pose du cathéter intra-osseux (KTO). Ainsi, ces états sont caractérisés « GT : Gestion des tâches ». Pour finir, l’atteinte des états « oxygénothérapie assurée », « remplissage injecté », « soutien antiinfectieux injecté », « soutien hémodynamique injecté », et « détresses associées (cardiaque et/ou respiratoire) contrôlées » relève essentiellement de la connaissance médicale pure concernant le choix des drogues au regard des symptômes, leurs dilutions respectives ou la réalisation des gestes techniques tels que l’intubation ou le massage cardiaque. Ces états constituent des actions de soins directs réalisées sur le patient. Le risque principal est donc lié à des oublis, des compétences médicales limitées, à certaines lacunes de connaissances spécifiques ou au non-respect des procédures de soin (e.g. procédure ACR). Ces états sont donc caractérisés « SP : Soins au patient ».
Classification des états selon une dimension séquentielle de réalisation de la tâche et identification des liens de dépendances entre les états
Après avoir identifiés les états critiques nécessaires à la réalisation de la tâche et les avoir caractérisés au regard des contraintes, l’objectif est de les classer selon une dimension séquentielle puis d’identifier les liens de dépendances qu’ils partagent. Les formes graphiques utilisées pour modéliser ces éléments sont les cercles et les flèches à sens unique. Chaque cercle est un état numéroté en fonction de sa position dans la séquence de réalisation de la tâche. Chaque flèche met en évidence un lien de dépendance entre deux états. Rappelons que le lien de dépendance entre deux états indique un prérequis dans la réalisation des actions où l’atteinte d’un état donné est dépendante de la bonne réalisation d’un état précédent. La figure 30 illustre le modèle que nous proposons pour la prise en charge d’un choc septique en pédiatrie.
Les états 1 et 2 partagent un lien de dépendance. En effet, l’état infectieux ne peut être compris s’il n’est préalablement pas identifié. Les opérateurs doivent avant tout identifier l’état infectieux et orienter ensuite les examens ou la recherche d’information vers une compréhension plus approfondie de la situation. Ainsi, si l’état infectieux n’est initialement pas détecté (i.e. 𝐸1 non atteint), alors l’état concernant la compréhension de la situation ne pourra être atteint (i.e. 𝐸2 non atteint). Le lien de dépendance entre les états 𝐸1 et 𝐸3 indique que l’état 3 « Procédure d’urgence déclenchée » ne peut être atteint si l’état infectieux n’est préalablement pas identifié. En effet, le déclenchement des procédures d’urgence (i.e. appel à l’aide) n’est pertinent que si la situation critique est rapidement identifiée et que les opérateurs anticipent des besoins supplémentaires en termes de ressources humaines et matérielles. Ainsi, si l’état d’urgence n’est pas identifié, les procédures qui en découlent ne seront pas déclenchées.
Pour finir, les liens de dépendances entre les états 𝐸4 ; 𝐸7 ; 𝐸8 ; 𝐸9 indiquent que l’état 4 est un prérequis dans la réalisation des autres états. En effet, avant de pouvoir perfuser des médicaments ou des solutés de perfusion (i.e. remplissage, antibiotiques, catécholamines), il est nécessaire que le patient soit équipé de voies veineuses périphériques. Sans ces accès veineux, l’injection des médicaments est impossible.
Construction de la matrice calque et identification des zones de risques potentiels dans la navigation
Sur la base des états composant le modèle SSS, une matrice d’ordre 11 est construite (i.e. 11 colonnes ; 11 lignes). Les 121 cases qui composent cette matrice représentent l’ensemble des transitions possibles entre les états, autrement dit les degrés de libertés disponibles pour contrôler les contraintes.
Deux calques sont ici proposés. Un premier calque fonctionnel (Figure 31) indique ce qui est « normal », « anormal » ou « impossible » d’un point de vue fonctionnel dans la réalisation des actions. Nous considérons les cellules de la diagonale comme des comportements où les opérateurs bouclent sur le même état. Même si ces comportements sont synonymes de stabilité, les cases sont caractérisées en orange dans le but d’identifier rapidement des comportements suspects qui pourraient être risqués. La partie haute de la diagonale est également caractérisée en orange. En effet, d’un point de vue fonctionnel, la progression dans la tâche se fait au regard de la dimension séquentielle ayant permis de classer les états, depuis l’état 𝐸1vers l’état 𝐸11. Tout retour en arrière peut mettre en évidence un potentiel problème et nécessite une analyse supplémentaire. À titre d’exemple, un retour en arrière depuis l’état 𝐸11vers l’état 𝐸4 peut indiquer que le transfert en réanimation n’a pas été anticipé/préparé et nécessite la mise en place d’une nouvelle voie veineuse périphérique pour assurer le transport. Quant aux transitions 𝐸1→ 𝐸11 ; 𝐸2→ 𝐸11 et 𝐸3→ 𝐸11, nous considérons qu’elles sont inattendues. En effet, les 3 premiers états sont des états complexes où l’équipe soignante est souvent en faible nombre, où l’état du patient se détériore et où une compréhension rapide de la situation est nécessaire pour mettre en place des thérapeutiques appropriées et faire appel à du soutien. Une transition vers l’état relatif au transfert en réanimation ne serait pas appropriée. Sur la base des liens de dépendances identifiés dans le modèle, les transitions inverses aux liens de dépendance sont jugées impossibles et sont caractérisées en rouge. Par exemple, si la voie veineuse doit être posée avant d’injecter les médicaments, un retour en arrière depuis l’étape d’injection vers l’étape d’installation de la voie indique un problème. En effet, soit le prérequis n’a pas été réalisé et cet oubli oblige les opérateurs à retourner en arrière dans la progression de la tâche, soit la voie posée n’est pas fonctionnelle ou défectueuse.