Constats, perspectives et conclusions provisoires sur la « théorie de la saillance »
La nature des saillances
Synthèse sur les natures saillancielles rencontrées de statut conceptuel Malgré notre tentative d’analyser des supports de natures variées, nous avons constaté dans le cadre de l’étude de mots lexicaux dans leur usage « habituel » que les saillances phono-articulatoires (articulatoires, onomatopéiques, acoustiques, idéophoniques) étaient surreprésentées par rapport à la nature graphique (basée sur le symbolique ou le différentiel). En effet, seules 2 saillances conceptuelles sur 12 correspondent à la sollicitation d’un invariant de nature graphique, soit à peine 16,66%, bien que l’on ait relevé plusieurs cas de sollicitations du graphisme pour des corrélations intra-structurelles ponctuelles (e.g. cinta / cíngulo, angina / angustia). La saillance articulatoire en {nasale x vélaire} implique le plus grand nombre de vocables de toutes les structures analysées (310 dans notre répertoire). Cela est logique car la saisie de la saillance s’opérant sur un stade sémiogénétique plus précoce, le concept représenté est voué à être plus général et donc plus englobant. Cette structure nous a montré combien le système pouvait intégrer des mots même issus de langues non indo-européennes (africaines, sémitiques ou précolombiennes). En l’occurrence, le signifiant apparaît comme le seul dénominateur commun permettant ce regroupement. Nous avons en outre pu établir une liaison au niveau conceptuel entre l’idée de « rétrécissement » et du « monde de la picaresque » concernant des mots tels que angustia, ángulo, rincón, esquina, gamberro ou 544 gandul. Cette structure est assez flexible car elle autorise nombre de capacités formelles et plusieurs variations vocaliques. La saillance {NG} est de nature plus acoustique puisque l’on note la reproduction du son à un niveau articulatoire et non pas d’un mouvement exclusif. Elle rappelle les « mimiques expressives » de Guiraud pour la structure B.B, mis à part que cette dernière exploite plus un champ visuel que sonore. Cependant, la sollicitation de cette saillance reste marginale en n’impliquant que 33 des 2421 formes en [ng] et en [nk], soit environ 1,47% des vocables virtuellement concernés. Enfin, elle est peu flexible puisqu’elle n’admet que la modulation de voisement [k] / [g] et une opposition vocalique [i] / [o] qui la rapprochent toutefois du statut de système. La saillance {M-T} représente un invariant complexe tel que Fónagy en a détecté pour l’évocation de l’idée de « succion » (cf. 5.2.1). Cet invariant inclut deux phones à la croisée de plusieurs autres sollicités. Ce croisement est soit d’ordre phonétique [m-t] / [m-d] / [nd], etc., soit d’ordre analogique et plus propre à l’espagnol : e.g. [m-t] / [m-s] pour renvoyer au concept de « tension entre un élément A et un élément B ». De plus, malgré l’ampleur des corrélations rendues possibles par le système, seules quelques-unes ont été permises par la structure, œuvre d’une nouvelle contrainte sélective à son échelle. Cette saillance est relativement flexible de fait puisqu’elle s’appuie sur deux phones moins solidaires que dans le cadre d’une racine (cf. infra). Nous avons, enfin, également remarqué qu’elle agissait en tant que système d’oppositions [r] / [Ø] ou [s] / [Ø]. Quant à l’existence de la nature idéophonique de la saillance, elle reste encore à démontrer en espagnol. Mais des interrogations subsistent avec les larges possibilités de corrélations analytiques (cf. sitiar, sentar), les variantes inversives (tascar, tieso), ou les variations axiales (decidir) et la corrélation énantiosémique (ceder). Les propriétés jouxtent en effet celles de ce que Guiraud nomme les structures onomatopéiques (onomatopées articulatoires). Par exemple, il est malaisé de classer dans une catégorie ou dans une autre la saillance {TR} liée à l’idée de « difficulté ». La théorie de la saillance ne sera néanmoins pas totalement opérationnelle pour établir précisément la distinction tant que nous n’aurons pas détecté un nombre suffisant de structures. Après l’analyse de l’ensemble des structurations idéophoniques connues reposant sur des formes synthétiques (voire parfois analytiques) comme en anglais et d’autres plus propres au système espagnol, nous pourrons tenter une mise en regard paramétrique plus exhaustive entre les structures onomatopéiques et idéophoniques. Nous devons nous borner 545 pour le moment au constat de l’implication exclusive de deux capacités formelles analytiques et inversives, ce qui est peu, pour {TR} comme pour {ST}.
Paramètres sémiosyntaxiques : mises en regard
Considérations générales
Nous avons établi plus haut quelques caractéristiques sémiosyntaxiques sommaires en fonction des natures des saillances. Il nous est apparu pertinent d’établir un recensement des sémiosyntaxes des capacités formelles (versants synthétique, analytique ou superexpansé) afin de montrer des tendances face aux contraintes imposées par le système (règles phonétiques, morpho-phonologiques et sémiosyntaxiques). Par exemple, le couple [fricative x dentale] ou [fricative x gutturale] en position initiale est une forme généralement rejetée en espagnol. C’est à cela que remédie la prothèse de [e] : e.g. stadium > estadio, scandălum > escándalo. Un autre exemple est la saillance {RR} qui ne peut être vraiment considérée avec pertinence dans les positions initiale ou finale car le redoublement [rr], dans ces cas, n’est pas instauré à des fins expressives mais exclusivement phonétiques, et est donc moins enclin à être motivé, sauf à être sciemment « allongé ».
Les écarts de plus d’une syllabe entre les éléments d’une capacité formelle
Les cas d’écart de plus d’une syllabe sont suffisamment particuliers pour que nous y consacrions une sous-partie autonome. En premier lieu, il est loisible de constater que les éléments de la racine occupent toujours, comme ceux cités ci-dessus, une position d’attaque. Cependant, il faut préciser que ces écarts importants font parfois barrage à la corrélation ou à la paradigmisation. En excluant les dérivés, nous n’avons en effet relevé dans nos répertoires que les termes holgazán, galbana {nasale x vélaire} ; mulato / muladí, bólido, morisco {MT} ; obstáculo, gazapo {B-K}1258 ; ainsi que sujetar, sólido {ST} ; carracao {K-K} ; canica {C-C} / {K-K} ; claudicar, caracol, conocer {C-C} ; sans oublier kárate de la structure en {T-K}.1259 La moindre fréquence de ces variantes amène en effet à penser que l’on est, avec ce phénomène de superexpansion, aux confins de la reconnaissance analogique. En effet, si les sujets ont eu recours à ce procédé c’est que la proximité sémantique le justifiait en dépit de l’éloignement sémiologique et dans certaines limites. Il est intéressant de constater également que les structures en {C-C}, {M-T}, {K-K}, etc. ne comportent pas plus de variantes superexpansées alors que l’on aurait été en droit de penser qu’ils en autoriseraient davantage. Elles auraient en effet été plus proches de l’invariant déjà expansé que dans le cas d’une saillance {ST} ou {TR} par exemple. En somme, il n’y a pas correspondance totale entre la sémiosyntaxe de la capacité formelle et le degré d’analogie. Enfin, la saillance {nasale x vélaire} implique, comme les autres, une solidarité entre les deux membres qui leur vaut de ne pas devoir être trop séparés pour être reconnus conjointement comme saillants.