Consommations, travail et ressources alimentaires différents rythmes d’intégration sur le long terme

Consommations, travail et ressources alimentaires différents rythmes d’intégration sur le long terme

Grâce à l’étude de l’alimentation conjugale, il apparaît qu’au sein d’un même domaine de pratiques (l’alimentation, les vacances, l’entretien de l’intérieur, etc.) divers aspects ne sont pas intégrés de la même façon. Il ne le sont pas non plus tous sur le même rythme. Nous allons souligner ici ces écarts de rythmes en observant l’intégration des consommations, du travail alimentaire et enfin des ressources financières dédiées à l’alimentation sur le long terme. Nous allons voir que les consommations sont mises en commun précocement, et font l’objet sur le long terme d’une socialisation conjugale en même temps que de la définition de territoires alimentaires personnels (1). Ce sont elles dont la mise en commun entraîne progressivement celle du travail domestique et des ressources. Le travail domestique alimentaire, connaît d’abord une prise en charge commune se transformant ensuite, sur bien des aspects, en délégation (2). Enfin, les ressources financières connaissent une mise en commun relativement tardive et découlant de celle des contenus et du travail alimentaire (3).Les contenus et activités alimentaires étant volontiers mises en commun au moment de l’emménagement, le long terme est plutôt à l’origine d’un mouvement inverse de délimitation de territoires alimentaires individuels autonomes nécessaires au respect de différences subsistant au-delà de la socialisation conjugale alimentaire, et pouvant donner lieu à une certaine ré-autonomisation des alimentations.

Cristallisation des désaccords et définition de territoires individuels

Alors que les débuts de la cohabitation s’accompagnent de discours conjugaux insistant sur la compatibilité des alimentations, le long terme semble conduire les partenaires à accepter et à assumer davantage l’existence de différences alimentaires entre elleux. La logique collective adoptée au moment de l’installation finit parfois par se changer en séparatisme : La ré-autonomisation exigée par l’un·e peut découler du sentiment d’un engagement trop faible de l’autre envers le « nous » conjugal90, et témoigne d’une capacité des partenaires à renégocier les termes de leurs arrangements alimentaire et domestique. Cette capacité est probablement favorisée par la relative « contractualisation des relations intimes » (Giraud, 2017, p. 289), c’est-à-dire la diminution de la pression à suivre des normes encadrant les rôles domestiques, laissant les partenaires davantage libres de négocier à deux leur modèle d’organisation91. Ainsi, Charlotte (21 ans, installée depuis 2 mois en grande agglomération, en licence) au premier entretien et deux mois après son emménagement avec Maxence (21 ans, en recherche d’emploi), livre un discours relativement idéalisant quant à leur complémentarité (« moi je trouve qu’on arrive plutôt bien à lier nos deux alimentations, tout simplement »), insiste sur leur satisfaction concernant leur répartition des tâches et sur le fait de manger tou·tes deux « mieux » depuis qu’iels habitent ensemble, enfin sur la praticité de la vie cohabitante en termes d’horaires et d’organisation. Ce discours s’atténue lors des entretiens suivants, pour laisser davantage place à la description assumée de leurs différences, bien qu’elle continue à les considérer comme non problématiques. Camille, plus âgée et installée quant à elle depuis huit mois, révèle, au détour d’une phrase, que les premiers temps en couple ont donné lieu à des efforts réciproques pour adopter les habitudes de l’autre, efforts qui se sont progressivement réduits, pour laisser place à l’expression plus franche de divergences.

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Le sentiment de cohésion conjugale étant essentiel au début du couple, il n’est pas étonnant que les divergences soient, parfois complètement inconsciemment, minimisées voire niées au début de la cohabitation. Or, cela favorise, dans le domaine alimentaire rapidement mis en commun, l’instauration de pratiques communes qui vont parfois apparaître pesantes voire intenables sur la durée. Ce phénomène est accentué par le fait que la confrontation à l’autre conduit à caractériser celui-ci, le typifier, et conjointement à se caractériser soi-même, donc à découvrir et affirmer ses propres préférences (cf. partie I). L’intégration alimentaire conjugale s’accompagne donc d’une part d’une hausse de la connaissance des préférences du/ de la partenaire et de soi-même, d’autre part d’une diminution pour certaine·es de la tolérance aux écarts à ses propres préférences. Le temps long pose alors la nécessité de l’invention d’un nouvel équilibre alimentaire conjugal, permettant de mieux respecter les exigences individuelles divergentes découvertes et non résorbées par la socialisation conjugale. Ceci passe notamment par la modification des pratiques alimentaires conjugales – pour intégrer certaines exigences nouvelles de l’un·e ou de l’autre – ou par la définition de territoires individuels distincts des territoires communs, permettant d’assurer l’équilibre individuel en dehors des pratiques alimentaires communes. Ceci est notamment rendu possible par l’individualisation de certains repas, à commencer par les repas du matin et du midi. Celle-ci est facilitée par les contraintes professionnelles, amicales et familiales, qui produisent des repas parfois seul·e, parfois avec d’autres commensaux. Petits déjeuners et déjeuners, davantage « indépendants » (Hinata), peuvent ainsi servir de balancier aux dîners conjugaux, de nombreux couples trouvant normal de les prendre à part (Kemmer et al., 1998). Ces repas pris seul·e ou avec d’autres sont l’occasion de déroger aux pratiques conjugales, comme en témoigne la réaction de Sylvain (26 ans, aide médico-psychologique installé depuis 6 mois avec Hanna, chargée de mission) en entretien conjugal, à l’idée d’évoquer leurs pratiques aussi bien collectives qu’individuelles.

 

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