Considérations méthodologiques
Avant d’aborder les écrits des apprenants chinois, il nous semble pertinent de nous expliquer d’abord sur les choix méthodologiques. En vue d’atteindre les objectifs décrits dans l’introduction de cette étude, il a été indispensable de créer un corpus écrit permettant d’observer les pratiques orthographiques des apprenants chinois du français L2. Étant donné que la création d’un corpus relève de maints paramètres pratiques et méthodologiques, nous entamons, dans ce chapitre, une discussion sur les considérations méthodologiques, ainsi que sur les choix des méthodes pour la constitution du corpus et les analyses de données. Cette discussion nous semble tout à fait importante pour la compréhension de ce travail et pour l’interprétation des données. Les données sont fondamentales dans les recherches en science du langage. Au cours de notre travail sur les données nous avons dû prendre position par rapport aux différents aspects méthodologiques que nous discutons brièvement ici. Premièrement, le recueil des données (3.1.1.) : il s’agit d’adopter une méthode adéquate aux objectifs de notre recherche tout en tenant compte des contraintes et problématiques propres aux apprenants du français L2. Nous évoquerons ensuite les problèmes méthodologiques qui s’imposent à l’analyse des données (3.1.2.) et les choix théoriques ayant permis leur description et la mise au jour des résultats.
Un dispositif pour observer les performances au cours de la production écrite
La production langagière est « une habileté spécifiquement humaine » (Segui & Ferrand, 2000). Si la production orale est extrêmement rapide et efficace (Fayol, 2002), l’écriture demande plus d’effort à des scripteurs que celle à l’oral, et elle « s’avère laborieuse et parfois avec un succès qui n’est pas garanti » (Bonin, 2002). Notons que la production verbale sous la modalité écrite n’a fait, comme l’écrit Fayol (2007), que très récemment l’objet de recherches scientifiques, plus récemment encore quand il s’agit de son acquisition, contrairement à l’intérêt porté à la production verbale orale ou à la lecture. Malgré ce relatif retard, les études consacrées à la production verbale écrite ont augmenté de façon significative au cours des trois dernières décennies. Dans le cadre spécifique du français, le groupe de recherche GDR CNRS 256719 se situe dans ce contexte, en fédérant les différents chercheurs nationaux impliqués dans l’étude de la Production Verbale Écrite. Toutefois, dans le cadre spécifique du français L2, les recherches conduites sur la production écrite sont en effet relativement rares quand le système graphique de la langue source est très éloigné de celui du français, tels que le chinois et le français, que rien ne semble rapprocher.
Comment les locuteurs de chinois font-ils pour apprendre à orthographier en français ? Comment gèrent-ils les différences entre deux systèmes graphiques si opposés ? Comment s’approprient-ils le français dans « un milieu scolaire (universitaire) complètement coupé du contexte social de la langue cible » (Trevisiol, 2003) ? Ce fut le point de départ qui a motivé notre travail. Nous souhaitons ainsi créer un dispositif pour observer les performances orthographiques des apprenants chinois étudiant le français en Chine. Depuis le modèle fondateur de Hayes et Flower (1980), il est généralement admis que « la production verbale écrite met en œuvre des processus récursifs qui sollicitent une activité langagière complexe et de haut niveau » (Plane, Rondelli & Venerin, 2013). Parmi d’abondants travaux sur la production écrite, on voit un intérêt particulier porté sur l’un des processus d’écriture, la révision, surtout dans le champ de la psychologie cognitive, qui a pour objectif d’ « affiner les formalisations de l’activité scripturale en s’appuyant sur des expérimentations menées dans un cadre très contrôlé » (Plane, 2015). Pourtant, l’autre grand processus, la textualisation est rarement abordé ou du moins partiellement étudiés par les chercheurs. On voit notamment les recherches menées par les linguistes à travers les analyses génétiques des brouillons d’écrivains (Lumbroso, 2004 ; Hamon, 2009) ou des textes d’élèves (Fenoglio & Boucheron-Pétillon, 2002 ; Doquet-Lacoste, 2003). En essayant de reconstituer la genèse d’un texte, ces études se sont notamment attachées à caractériser les singularités des scripteurs, et il nous semble donc particulièrement intéressant d’enrichir les connaissances portant sur les variations dans les processus de mise en texte par des apprenants-scripteurs, pour identifier plus précisément les différentes manières dont ils procèdent dans ce processus et des types de difficultés rencontrées, afin, dans une perspective didactique, de construire des dispositifs d’enseignement différenciés et appropriés (Plane, Rondelli & Venerin, 2013).