Le vécu d’une agression sexuelle peut entraîner des nombreuses conséquences sur un enfant ainsi que sur l’ensemble des membres de sa famille. Ces conséquences dépendent de différents éléments d’influence, tels que la relation entre l’agresseur et l’enfant et entre les parents et l’agresseur, la fréquence des agressions, les moyens utilisés par l’agresseur, les formes de violence présentes lors de l’agression ainsi que les réactions et l’influence des proches (Boivin & Boucher-Dandurand, 2009). Le présent mémoire s’intéresse aux impacts des agressions sexuelles ainsi qu’aux stratégies utilisées par les parents pour les surmonter et pour apporter leur soutien à l’enfant victime. Avant de se pencher sur les impacts des agressions sexuelles sur les parents, il importe de dresser un portrait des conséquences vécues par les enfants qui subissent ces assauts à leur intimité.
Conséquences des agressions sexuelles pour l’enfant victime
Saint-Pierre et Viau (2010) ont dégagé deux types de troubles pouvant être observés chez les enfants victimes d’agression sexuelle : les troubles intériorisés qui désignent les symptômes d’anxiété, de dépression, les troubles somatiques et les comportements d’isolement social ainsi que les troubles extériorisés qui se manifestent par des sentiments de colère de l’enfant, de l’agressivité et des troubles des conduites. Les enfants victimes d’agression sexuelle peuvent aussi vivre des difficultés d’adaptation scolaire (Daignault & Hébert, 2004; 2009). Si l’enfant présentait déjà des traits anxieux avant l’agression sexuelle, il sera plus à risque de développer des symptômes de stress post-traumatique qu’un enfant agressé qui n’avait pas de symptômes anxieux auparavant (Berliner, 2011).
Les symptômes relatifs au trouble de stress post-traumatique (TSPT) sont bien souvent observés chez les enfants victimes d’agression sexuelle, mais sans nécessairement être diagnostiqués comme TSPT (van der Kolk, 2007). Ces symptômes sont de l’ordre du contrôle des impulsions, des problèmes dissociatifs et de l’attention, des problèmes relationnels, de l’abus de substance, des troubles de personnalité limite et antisociale ainsi que des troubles de l’alimentation, sexuels, somatiques, cardiovasculaires, métaboliques et immunologiques (van der Kolk, 2007). En reléguant ces symptômes de stress post traumatique à des conditions comorbides, les professionnels passent parfois à côté du réel diagnostic appliquant ainsi des approches et traitements non pertinents (van der Kolk, 2007).
Les chercheurs s’entendent pour dire qu’il y a une diversité des profils dans les cas d’agressions sexuelles. En effet, il est difficile, voire impossible d’établir une seule et unique trajectoire entre la victimisation d’agression sexuelle et les conséquences vécues. Certains facteurs peuvent influencer le fait de vivre ou pas des symptômes de l’agression sexuelle; la nature de l’abus vécu, les capacités de résilience des enfants, etc. (Hébert et al., 2011). Il est également important de préciser que certains enfants demeurent asymptomatiques après un vécu d’agression sexuelle. L’absence de symptômes perceptibles ne signifie toutefois pas nécessairement que l’enfant ne souffre pas intérieurement (St-Pierre & Viau, 2010). De plus, il est estimé que 30 % des enfants qui ne présentent pas de conséquences au moment du dévoilement ont développé des difficultés par la suite (St-Pierre & Viau, 2010). Cette absence de conséquences perceptibles peut être attribuable à différents facteurs de protection inhérents au contexte de vie de l’enfant, combinés à des réactions parentales de soutien et de réassurance (St-Pierre & Viau, 2010). Pour leur part, Kendall-Tackett, Williams et Finkelhor (1993) font référence à ces facteurs de protection qui augmentent la capacité de l’enfant à composer avec le trauma subi. Les facteurs de protection sont des caractéristiques individuelles ou environnementales qui modifient, améliorent ou altèrent la réponse d’un individu à une menace ou une agression (Rutter, 1985). Parmi ces facteurs de protection, l’on retrouve les facteurs liés à l’individu : l’intelligence des enfants, une bonne estime de soi, des bonnes capacités de communication, une maturité précoce, des stratégies d’adaptation efficaces, la recherche de soutien et la révélation, la restructuration cognitive, la perception des effets positifs, le sens donné à l’événement ainsi que l’expression des émotions (Dufour, Nadeau & Bertrand, 2000). Les facteurs de protection comprennent aussi une dimension environnementale qui fait presque toujours référence au rôle du soutien parental et celui fourni par l’entourage de la victime. Des études démontrent que ces facteurs sont primordiaux dans le rétablissement des victimes (Dufour et al., 2000). Le soutien parental est souvent défini comme le niveau d’acceptation, de sollicitude et d’aide apporté à l’enfant par ceux qui s’occupent principalement de lui. Le présent mémoire vise à déterminer quelles sont les stratégies parentales et les formes de soutien qui favorisent la résilience chez l’enfant victime d’agression sexuelle. Un comparatif sera alors effectué entre les réactions et les stratégies des mères et celles des pères des enfants victimes d’agressions sexuelles. Toutefois, avant d’aborder ces deux éléments, il est nécessaire de documenter comment les agressions sexuelles d’un enfant affectent la vie de leurs parents.
Conséquences du vécu d’agression sexuelle d’un enfant chez ses parents
Les conséquences d’une agression sexuelle pour les parents d’un enfant agressé peuvent principalement s’observer sur les plans émotif et comportemental (Saint Pierre & Viau, 2010). En ce qui a trait aux conséquences observées chez les parents non-agresseurs au plan émotif, elles varient considérablement (Hébert, et al., 2011). Certains parents vont vivre une blessure affective profonde après le dévoilement de leur enfant, d’autres vont ressentir un sentiment de doute ou de déni ainsi qu’un stress psychologique important (Saint-Pierre & Viau, 2010). Après une évaluation psychologique, les conséquences vécues par les parents peuvent être qualifiées de traumatisme vicariant (ou secondaire) puisqu’elles correspondent souvent aux symptômes du TSPT (Hébert et al., 2011). Le traumatisme vicariant se présente à travers des symptômes tels que la confusion, un sentiment d’insécurité ou de vulnérabilité, un sentiment d’impuissance ou d’injustice. Il peut aussi s’observer à travers des flashbacks, des cauchemars relatifs aux scènes de l’agression sexuelle rapportées par l’enfant, de l’anxiété ou de l’hypervigilance. De plus, des conséquences physiques telles que la perte d’appétit, l’insomnie, des palpitations cardiaques ou l’augmentation de la consommation d’alcool peuvent être observées ainsi que des conséquences relationnelles comme une baisse de l’intérêt pour l’intimité ou la sexualité, des relations personnelles tendues, des changements dans les comportements parentaux ou de l’isolement (Nadeau, 2010). Des études ont aussi identifié la présence de symptômes d’évitement et d’intrusion associés au TSPT (Hébert et al., 2011).
D’autres conséquences psychologiques sont aussi observables chez les parents d’enfants victimes d’agression sexuelle. Ainsi, ces derniers peuvent ressentir un sentiment d’impuissance devant la souffrance de leur enfant, avoir l’impression d’être un mauvais parent, avoir l’impression de ne plus reconnaître leur enfant et de ne plus savoir comment le prendre (Saint-Pierre & Viau, 2010). De plus, les parents de l’enfant peuvent ressentir de la colère face à l’agresseur, de la culpabilité de ne pas avoir pu protéger l’enfant, devenir hypervigilants et restrictifs envers l’enfant victime et sa fratrie pour éviter que l’agression sexuelle se reproduise (Saint-Pierre & Viau, 2010). Ensuite, les parents peuvent avoir peur que leur enfant ne soit plus jamais comme avant et doivent apprendre à composer avec les impacts du dévoilement face à l’entourage et les mythes et préjugés qui en ressortent (Saint-Pierre & Viau, 2010). L’histoire personnelle du parent peut refaire surface avec toutes les émotions qui en découlent et celui-ci doit vivre et traverser toute la trajectoire de services d’une agression sexuelle sur un enfant (processus judiciaire, processus thérapeutique) (Boivin & Boucher-Dandurand, 2009).
Les parents qui apprennent que leur enfant est victime d’agression sexuelle peuvent également vivre des conséquences au plan de leur vie sociale, familiale et conjugale (Saint-Pierre & Viau, 2010). Étant donné que deux individus à part entière forment une entité conjugale, il est fréquent que les réactions au dévoilement ne soient pas synchronisées. De ce fait, l’un des partenaires peut se sentir incompris de l’autre parent (Saint-Pierre & Viau, 2010). Des difficultés de communications, des conflits conjugaux peuvent alors prendre de l’importance au sein du couple, en plus de difficultés au plan de la sexualité (idem, 2010). Les conséquences de leur implication dans le processus judiciaire et thérapeutique pour leur enfant sont également non négligeables. Cette implication demande beaucoup de mobilisation et d’engagement de la part des parents qui doivent orchestrer leurs obligations familiales et professionnelles selon les demandes de ce processus. Ces dernières conséquences, observées au plan clinique, sont toutefois peu documentées dans la littérature, c’est pourquoi ce présent mémoire s’attardera à ces conséquences, qualifiées ici d’organisationnelles.
Lors de la survenue d’un événement traumatique, diverses fonctions parentales peuvent se trouver perturbées. Ces fonctions parentales font référence à des qualités d’interaction du parent avec son enfant. Romano (2013) élabore de quelle façon les trois fonctions parentales de protection, de compréhension et d’affection/valorisation peuvent être atteintes. Tel que mentionné plus haut, une agression sexuelle sur un enfant vient affecter la fonction protective du parent. Quand les parents sont adéquats pour l’enfant, celui-ci a la conviction que ses parents sauront le protéger des menaces du monde extérieur. Lorsque l’enfant est agressé et qu’en plus les parents réagissent avec détresse, l’enfant n’a plus la même confiance dans la capacité de ses parents à le protéger. De même, ceux-ci doutent de leurs compétences en tant que parents et peuvent se culpabiliser, se sentir impuissants et devenir non-aidants pour leur enfant (Romano, 2013). Le sentiment de culpabilité peut devenir tellement handicapant pour les compétences parentales qu’une attitude de déni peut en surgir (Romano, 2013). Le parent développe alors une peur de savoir, d’entendre, une culpabilité de n’avoir pas été là, de n’avoir pas pu empêcher l’horreur (Romano, 2013, p.116).
Une autre fonction parentale qui est atteinte lors d’une victimisation d’agression sexuelle d’un enfant est celle de la compréhension. L’enfant qui vit un traumatisme peut vivre des émotions, présenter des symptômes et des conséquences qui échappent à la compréhension des parents. Ceux-ci peuvent interpréter à leur manière l’attitude de leur enfant, nier l’importance des conséquences et des émotions présentes ou alors faire écho à leur propre passé traumatique et ainsi répondre inadéquatement aux appels à l’aide de leur enfant (Romano, 2013).
L’importance, pour l’enfant, que ses parents réagissent avec calme et réassurance à son traumatisme prend alors tout son sens. Ainsi l’enfant se sent compris et écouté dans son vécu. Il arrive que les parents vivent tellement d’impuissance devant le traumatisme de leur enfant qu’ils ne savent plus comment l’approcher, comment lui manifester du soutien. Ces réactions font référence au concept de contamination traumatique (Romano, 2013). Dans cette optique, la fonction d’affection et de valorisation se trouve atteinte. Les parents peuvent alors faire de l’évitement envers leur enfant pour ne pas avoir à gérer la situation traumatique (Romano, 2013).
Le dysfonctionnement de ces trois fonctions parentales (protection, compréhension et valorisation) dépend des ressources préalablement existantes des parents. Ces ressources peuvent être nombreuses ou déficientes. Romano (2013) en fait état dans son ouvrage sur le traumatisme chez l’enfant. Ces ressources parentales sont l’état psychique de chacun des parents et du couple parental, les croyances familiales, la dynamique familiale, le soutien social et le mode de communication avant l’événement (Romano, 2013).
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