Conséquences de l’anémie maternelle sur le jeune enfant de la naissance à mois de vie
Les anémies d’origine génétique
Les anomalies génétiques responsables d’anémie regroupent la drépanocytose et les thalassémies, le déficit en Glucose-6-phosphate déshydrogénase (G6PD) et de l’ovalocytose.
La drépanocytose
Il s’agit d’une anomalie génétique se caractérisant par l’altération structurelle de l’hémoglobine. L’anomalie consiste en la substitution en position 6 d’un acide glutamique par une valine sur la chaîne β de l’hémoglobine. Elle est généralement létale sous sa forme homozygote SS avant l’âge adulte, mais bien supportée par les hétérozygotes AS. La drépanocytose est fréquente dans les populations de l’Afrique subsaharienne, des Antilles, d’Inde, du Moyen-Orient et du bassin méditerranéen (Modell and Darlison 2008). Les globules rouges ont perdu leur élasticité et vont obstruer les capillaires provoquant une ischémie par manque d’apport d’oxygène au niveau de différents tissus, responsable des crises douloureuses, des infarctus cérébraux, et autres manifestations cliniques. Ces globules rouges peuvent également léser la paroi interne des vaisseaux entraînant un risque d’obstruction de ces vaisseaux. La drépanocytose est aussi responsable d’une anémie hémolytique chronique (World Health Organization 1993). Cette anémie est due à une destruction des globules rouges soit spontanément du fait de leur fragilité soit par phagocytose par les cellules réticulaires (Bondevik et al. 2000). L’anémie hémolytique du sujet drépanocytaire est constante et le taux d’hémoglobine est compris entre 6 et 8 g / dL. Cependant l’hyper 33 séquestration splénique des hématies falciformes, ou l’aplasie médullaire pouvant survenir dans la phase aiguë de l’infection peuvent aggraver cette anémie.
Les thalassémies
Les thalassémies constituent un groupe d’affections héréditaires caractérisées par une diminution de la synthèse de l’une ou l’autre des deux chaînes de l’hémoglobine, sans qu’il y ait en général d’anomalie structurelle de ces chaînes. Il en existe deux grands groupes selon que le défaut de synthèse touche les chaînes α ou β. On les retrouve plus fréquemment dans les pays de l’est méditerranéen et de l’Extrême-Orient et ou elles touchent plus du quart de la population (Modell and Darlison 2008). Leurs formes cliniques sont très nombreuses, caractérisées par des degrés variables d’anémie microcytaire due à une insuffisance de production de l’hémoglobine (ter Kuile et al. 2004)
Le déficit en G6PD
La Glucose-6-Phospho-Déshydrogénase (G6PD) joue un rôle clé dans le métabolisme énergétique cellulaire en participant à l’oxydoréduction du glutathion pour la glycolyse. Un déficit en G6PD entraine une accumulation des radicaux toxiques dans les globules rouges et leur destruction. Le déficit en G6PD est la première cause d’anémies hémolytiques aiguës déclenchées soit par la prise d’un médicament, soit par une infection ou par les deux mécanismes (Luzzatto, Metha, and Vulliamy 2001). Le déficit en G6PD, est le déficit enzymatique le plus répandu dans le monde. Il est souvent retrouvé chez les personnes originaires d’Afrique, d’Inde, de tout le bassin méditerranéen, du Moyen-Orient et du sud-est de l’Asie. Il reste sous-estimé dans les populations du nord de l’Europe mais on le retrouve dans les populations noires de l’Amérique du Nord, des Antilles et du Brésil.
L’ovalocylose
Encore appelée elliptocytose héréditaire, il s’agit d’une maladie héréditaire caractérisée par une anomalie de la membrane du globule rouge entraînant une déformation des globules, qui prennent une forme légèrement ovale ou elliptique. Elle est responsable d’une anémie hémolytique (Bossi and Russo 1996). Sa prévalence est très faible dans les pays développés alors qu’elle est élevée dans les régions où le paludisme est endémique en Afrique et en Asie (Bossi and Russo 1996). Que retenir de ces principales causes d’anémies ? Le point le plus important me semble être que leurs répartitions géographiques dans les pays du sud se superposent grandement et que dans bien des cas, même si la carence martiale semble devoir être considérée comme la cause principale, les étiologies sont multiples et intriquées. Ainsi, le caractère « interchangeable » des termes anémie et anémie par carence martiale que l’on peut retrouver dans la littérature et qui semble admis par l’OMS peut être critiqué. Mais encore une fois, il faut garder à l’esprit, que la conséquence essentielle de cette multitude de causes et de leurs répartitions, est qu’il faudra, malgré les difficultés que cela engendre, les intégrer dans une éventuelle politique de lutte et de prévention. En effet, les conséquences de l’anémie peuvent être très sévères. 35 4. Conséquences de l’anémie De nombreuses études se sont intéressées aux conséquences de l’anémie et il nous est apparu important de nous limiter à celles concernant la femme enceinte et l’enfant. Ainsi, nous décrirons dans un premier temps les conséquences de l’anémie maternelle sur le poids de naissance et la prématurité, puis nous présenterons ses conséquences sur la mortalité maternelle et périnatale. Ensuite nous aborderons les répercussions de l’anémie maternelle en termes d’anémie du nouveau-né et du jeune enfant. Enfin, nous nous intéresserons aux conséquences de l’anémie sur le développement cognitif de l’enfant.
Conséquences de l’anémie maternelle sur le poids de naissance et la prématurité
Depuis plus d’un quart de siècle de nombreuses études s’intéressent aux conséquences de l’anémie chez la femme enceinte sur le nouveau-né à la naissance en termes de faible poids de naissance et de prématurité. Nous allons passer successivement en revue certaines d’entre elles afin de souligner les discordances fréquemment rencontrées, que ces études proviennent d’Europe, d’Asie ou d’Afrique. Murphy et al. se sont intéressés à ces conséquences en fonction du niveau d’Hb et de l’âge gestationnel (Murphy et al. 1986). Cette étude de cohorte a été menée au pays de Galles entre 1970 et 1979 puis de 1980 à 1982 auprès de 54382 couples mère-enfant. Le taux d’hémoglobine des femmes a été codé en trois classes, à savoir : faible (Hb < 10,4 g / dL), intermédiaire (10,4 – 13,2 g / dL) et élevée (Hb ≥ 13,3 g / dL). Les femmes ont été réparties en trois groupes selon leur âge gestationnel lors de l’inclusion : inférieur à 13 semaines d’aménorrhée (SA), compris entre 13 et 19 SA et enfin compris entre 20 et 24 SA. Elles ont ensuite été suivies jusqu’à l’accouchement et les diverses complications ont été identifiées. 36 Les auteurs ont mis en évidence une relation en U entre le taux d’hémoglobine et la prématurité ainsi que le faible poids de naissance en fonction des périodes définies ci-dessus. Le risque de donner naissance à un nouveau-né prématuré ou de faible poids de naissance est d’environ 1,18 pour les femmes incluses avant 13 SA. Ce risque décroît ensuite si l’inclusion a eu lieu entre 13 et 19 SA pour remonter à 1,75 pour les femmes incluses entre 20 et 24 SA. Klebanoff et al. ont utilisé en 1991 des données collectées entre 1974 et 1977 pour examiner la relation entre l’anémie durant le second et le troisième trimestre de grossesse et la prématurité (Klebanoff et al. 1991). Dans cette étude le critère utilisé pour définir l’anémie était l’hématocrite. Ces auteurs ont montré que les femmes anémiées au second trimestre de grossesse avaient un odds ratio deux fois plus élevé de donner naissance à des nouveau-nés prématurés (OR = 1,9 ; IC 95% : 1,2 – 3,0). Au troisième trimestre de grossesse, l’anémie n’était plus un facteur de risque. Toute une série d’études sur cette problématique ont été effectuées en Chine. En 1998, Zhou et al. ont publié les résultats d’une étude de cohorte qui s’est déroulée de 1991 à 1992 à Shanghai. L’objectif de leur étude était d’examiner la relation entre le taux d’hémoglobine mesuré à différents moments de la grossesse (2ème, 5ème et 8ème mois de grossesse) et le faible poids de naissance ou la prématurité. Neuf cent femmes ont été incluses et les analyses ont été réalisées chez les 829 femmes ayant complété le suivi et ayant une grossesse unique (Zhou et al. 1998). Leur étude se rapproche de celle de Murphy et al. à deux différences près. En effet Zhou et al. ont suivi les femmes depuis l’inclusion jusqu’à l’accouchement alors que Murphy et al. ont inclus les femmes et les ont réparti en plusieurs groupes selon leur âge gestationnel à l’inclusion. Deuxièmement Zhou et al. se sont intéressés également aux conséquences de l’anémie au 3ème trimestre de grossesse alors que Murphy et al. se sont arrêtés au 2ème 37 trimestre. Ils ont retrouvé la même relation en U décrite en 1986 par Murphy et al. Le risque de donner naissance à un nouveau-né de faible poids de naissance ou à un nouveau-né prématuré était significativement élevé si la mère était anémiée au 1er trimestre. Ce risque décroît au cours du second trimestre et remonte au cours du troisième sans pour autant devenir significatif. Par ailleurs ils ont indiqué que l’anémie du 1er trimestre serait responsable de 25% de la prématurité et de 33% du faible poids de naissance. Nous signalons que ces chiffres nous semblent particulièrement élevés. En 2000, une méta analyse a été réalisée par Xiong et al. (Xiong et al. 2000) sur ce même thème. Ces auteurs ont montré que l’anémie, quelle que soit sa période de survenue au cours de la grossesse, ne représentait pas un facteur de risque pour le faible poids de naissance. En revanche pour la prématurité seule l’anémie du 1er trimestre de grossesse constituait un réel facteur de risque. Il est important de noter qu’en 2003, ces mêmes auteurs n’ont retrouvé aucune association entre l’anémie durant la grossesse, quelle que soit sa période de survenue, et le faible poids de naissance ou la prématurité. Cette dernière étude concernait 16936 femmes incluses entre 1989 à 1990 à Suzhou (Xiong et al. 2003). Enfin, une étude portant sur un important échantillon de 102 484 femmes chinoises a été réalisée entre janvier 1999 et décembre 2000. Dans cette grosse étude, les femmes avec un taux d’hémoglobine compris entre 8 et 9 g / dL au 1er trimestre donnaient plus souvent naissance à des nouveau-nés de faible poids de naissance (OR=1,44, 95% CI 1,17–1,78) ou à des nouveau-nés prématurés (OR=1,34, 95% CI 1,16–1,55) (Ren et al. 2007). 38 Concernant cette fois l’Afrique de l’Ouest, Geelhoed et al. ont conduit une étude cas-témoin sur un échantillon de 309 femmes enceintes dans deux dispensaires en zone rurale au Ghana. Dans cette étude menée de Janvier 1999 à Janvier 2000 les cas comprenaient 157 femmes présentant une anémie grave (hémoglobine inférieur à 8 g / dL). Les témoins appariés sur l’âge et la parité comprenaient des femmes non anémiées avec un taux d’hémoglobine supérieur ou égal à 10,9 g / dL. Aucune association n’a été retrouvée entre l’anémie sévère telle que définie et le faible poids de naissance. Cependant ces auteurs ont montré que pour un taux d’hémoglobine inférieur à 6 g / dL les femmes enceintes donnaient plus souvent naissance à des nouveau-nés de faible poids (OR = 2,5 ; IC 95% : 1,2 – 5,4) (Geelhoed et al. 2006). Terminons cette courte revue par une étude réalisée au sud Bénin par Bodeau-Livinec et al. (2011), qui a portée sur des données collectées lors d’un essai clinique qui s’est déroulé de 2005 à 2008. Les analyses concernaient 1508 femmes enceintes chez lesquelles l’anémie a été définie par un taux d’hémoglobine inférieur à 11 g / dL et l’anémie sévère par un taux d’hémoglobine inférieur à 8 g / dL. Les auteurs ont mis en évidence une association entre l’anémie sévère et le faible poids de naissance, avec une probabilité de donner naissance à des nouveau-nés de faible poids de naissance trois fois plus élevées chez les femmes présentant une anémie sévère au 3ème trimestre de grossesse (Bodeau-Livinec et al. 2011). A la vue de ces résultats, il semble que les conséquences de l’anémie chez la femme enceinte sur le nouveau-né en termes de faible poids de naissance et de prématurité sont très discutées. Il faut noter que ces études diffèrent énormément entre elles par leur design, le site d’étude mais également par les définitions utilisées pour définir l’anémie chez la femme enceinte (le taux d’hémoglobine ou la mesure de l’hématocrite). Pour celles qui utilisent le taux 39 d’hémoglobine, le seuil utilisé est variable et, si certains considèrent le seuil recommandé par l’OMS à savoir 11 g / dL d’autres par contre utilisent le seuil de 10 g / dL, voire des seuils choisis selon des critères assez flous. Ce qui semble néanmoins prépondérant dans ces études est le rôle primordial de la période d’installation de l’anémie et, même si les résultats sont encore variables le premier trimestre pourrait constituer la période la plus à risque.
Conséquences de l’anémie maternelle sur la mortalité maternelle et périnatale
Le taux de mortalité maternelle est le rapport du nombre de décès maternels, observés sur une année par rapport au nombre d’accouchements ayant donné lieu à une naissance vivante, il se calcule sur une base de 100 000 naissances. Une méta-analyse réalisée en 2004 a compilé les données de six études observationnelles et a montré qu’une augmentation du taux d’hémoglobine de 1 g / dL diminuerait la mortalité maternelle avec un odds ratio de 0,75 (IC 95% : 0,62-0,89) (Ezzati et al. 2004). La mortalité périnatale se définit comme le nombre de mortinaissances (décès d’un fœtus après 28 semaines de gestation) et de décès néonatals précoces (décès d’enfants de moins d’une semaine). La relation entre l’anémie maternelle et la mortalité périnatale semble complexe tant les résultats sont contradictoires. En 1991, Mavalankar et al. ont étudié les déterminants de la mortalité périnatale. Cette étude cas-témoins a été réalisée sur la base des données collectées entre 1987 et 1988 dans trois hôpitaux d’Inde. Dans cette étude, l’anémie maternelle qu’elle soit sévère ou modérée était un déterminant de la mortalité périnatale (Mavalankar, Trivedi, and Gray 1991). Cependant, dans une méta-analyse effectuée en 2000 par Xiong et al., cette association n’a pas été confirmée (Xiong et al. 2000), alors qu’elle l’est à nouveau quelques années plus tard. En effet, en 2004, dans une nouvelle méta-analyse, 40 l’augmentation du taux d’hémoglobine de 1 g / dL semble diminuer la mortalité périnatale avec un odds ratio de 0,75 (IC 95% : 0,65-0,81) (Ezzati et al. 2004). Notons pour conclure cette partie qu’en 2009, une large étude de cohorte a été menée en Chine sur 163313 couples mère-enfant et était compatible avec le fait que l’anémie maternelle ne représentait pas un facteur de risque pour la mortalité néonatale, avant 28 jours de vie (Zhang et al. 2009).
Conséquences de l’anémie maternelle sur l’anémie du nouveau-né et du jeune enfant
A notre connaissance, cette relation a été très peu décrite dans la littérature. En 1999, Kilbride et al. ont mené une étude cas-témoin dont l’objectif était d’étudier la relation entre l’anémie chez la femme enceinte et l’anémie par carence martiale chez l’enfant durant sa première année de vie (Kilbride et al. 1999). La prévalence de l’anémie par carence martiale dans le groupe des enfants nés de mères anémiées (81%) était significativement plus élevée que dans le groupe des enfants nés de mères non anémiées (65%). De tels résultats avaient été décrits auparavant en Espagne (Colomer et al. 1990) puis au Niger (Preziosi et al. 1997). Dans l’étude de Kilbride, les enfants ont ensuite été revus à 3, 6, 9 et 12 mois et à chacune de ces dates, l’anémie par carence martiale était significativement plus élevée chez les enfants nés de mères anémiées comparées aux enfants nés de mères non anémiées (Kilbride et al. 1999). De la même manière, de Pee et al. (2002) ont montré que les enfants nés d’une mère anémiée avait deux fois plus de probabilité d’avoir un faible taux d’hémoglobine entre 3 et 5 mois de vie comparé aux enfants nés d’une mère non anémiée (de Pee et al. 2002). Cependant aucune de ces deux études n’avait tenu compte du caractère répété, et donc non indépendant, des données. 41 A côté des conséquences périnatales de l’anémie de la femme enceinte sur son nouveau-né, en termes de poids de naissance, d’anémie et de mortalité, les associations possibles entre la carence martiale et le développement du nouveau-né rendent pertinent de s’interroger sur les relations éventuelles entre anémie du nouveau-né et développement cognitif du jeune enfant. Par ailleurs, le petit poids de naissance, la prématurité et l’anémie chez le petit enfant sont des facteurs de risque connus de mauvais développement de l’enfant (Walker et al. 2007). Par conséquent, l’anémie pourrait avoir des conséquences sur le développement de l’enfant par l’intermédiaire de ces facteurs
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