L’évolution du concept de la santé mentale
L’ histoire de la psychiatrie démontre bien que ce concept change selon les époques et les sociétés (Lupien, 2013). Dans ce sens, Boudreau (2003) évoque qu’en quarante ans d’histoire, le système psychiatrique a connu plusieurs changements jusqu’en 1961. Antérieurement, c’est l’Église catholique qui prenait en charge les services en psychiatrie. À cette époque, le terme « santé mentale» n’ existait pas. À la place, le terme de « folie» était utilisé pour désigner les personnes atteintes de troubles mentaux. En ce sens, les prêtres véhiculaient que la folie était une punition de Dieu qui ne se guérissait pas. À partir de la révolution tranquille, soit de 1962 à 1971, cette vision de la santé mentale se transforme. Le gouvernement prend alors en charge le système de santé, au lieu que ce soient les instances religieuses. Le terme de la « folie» est remplacé par le terme de « maladie mentale ». De plus, le terme de maladie mentale était considéré comme n’importe quelle maladie qui se guérissait. Puis, le « terme de santé mentale» est apparu au lieu de « maladie mentale ». Castel (1986) confirme que cette conception amorce un changement significatif sur le plan de l’ intervention en psychiatrie. Par exemple, ce terme se distingue du modèle de la psychiatrie classique qui stipule qu’ il faut « réparer » l’ individu soufrant par le biais de traitements. Cette nouvelle conception amène des modifications, notamment par le passage des milieux institutionnalisés vers les ressources de la communauté. Cela implique également l’ importance de faire de la prévention et de laisser le patient choisir son traitement (Lupin, 2013). Ainsi, chaque être humain possède une santé mentale qu’ elle soit optimale ou non. Sa préservation est un droit fondamental (Castel, 1986).
Définitions multiples de la santé mentale
L’ Organisation mondiale de la santé (OMS) (2001) adopte la définition de la santé mentale suivante: « un état de bien-être dans lequel la personne peut se réaliser, surmonter les tensions normales de la vie, accomplir un travail productif et fructueux et contribuer à la vie de sa communauté» (Gilmour, 2014, p. 22). Cette définition met en lumière le fait que la santé mentale va au-delà de la présence ou l’absence de troubles mentaux. Elle considère les déterminants individuels, les conditions sociales, ainsi que l’évolution de l’individu à travers le temps (Gilmour, 2014). Il faut savoir que cette définition de la santé mentale est loin d’être unanime par les cliniciens et les chercheurs, contrairement à plusieurs concepts scientifiques clairement définis. Le terme «santé mentale» présente plusieurs sens différents. Vaillant (2004) décrit six définitions pour ce terme. D’abord, il stipule que ce concept peut être vu sous l’angle de la « normalité ». En ce sens, la capacité de bien fonctionner en société définirait la normalité. Deuxièmement, il mentionne qu’ il est possible de définir la santé mentale en termes de la réalisation de soi, comme en témoigne la psychologie humaniste. La troisième définition met l’accent sur l’autonomie et la maturité. Quatrièmement, il accorde le sens d’ intelligence émotionnelle. La cinquième définition insiste sur l’ importance au bien-être subjectif. Enfin, la dernière définition évoque le terme de la résilience et de la capacité à surmonter des épisodes de détresse. Ces diverses définitions illustrent bien que le terme de santé mentale varie selon les normes et les valeurs véhiculées. Dans cette recherche, nous nous intéressons particulièrement à la définition portant sur le bien-être subjectif. Cette définition s’ insère dans une approche sociale et culturelle, connue sous le nom « d’approche ascendante» (Duncan Pedersen, Laurence et Kirmayer, 2015). Cette approche vise à écouter les populations locales et comprendre leur vision des problèmes de santé. De plus, elle cherche à mettre en valeur les ressources des communautés, et ce, dans l’optique d’obtenir des solutions durables pour les populations. À l’inverse, l’approche nommée « santé publique» cherche à mettre en pratique les données probantes autour de la santé mentale. Ces données proviennent généralement des sociétés occidentales et de leur classification des troubles mentaux. Ainsi, cette approche fait peu de distinction entre les diverses communautés ethniques de la société (Duncan Pedersen, Laurence et Kirmayer, 2015).
Vers une approche positive de la santé mentale
La conceptualisation positive de la santé mentale se distingue de la définition traditionnelle de ce concept, où elle est représentée par l’absence ou la présence de problèmes mentaux (Jahoda, 1958). Cette façon de concevoir la santé mentale fait référence au modèle du continuum unique, dans lequel l’ absence et la présence de troubles mentaux se retrouvent à chacune des extrémités du continuum (Keyes, 2002). À travers les années, une dimension positive de ce concept a été abordée et suggérée. Selon cette proposition, la santé mentale se caractérise davantage par l’aspect de bien-être, dépassant ainsi la notion de troubles mentaux. Cette conceptualisation est représentée par le modèle des deux continuums (Keyes, 2002). Le premier continuum est illustré par l’absence ou la présence de troubles mentaux, alors que le deuxième évoque le niveau de santé mentale allant de faible à élevé. Ces deux continuums sont corrélés. En ce sens, Doré et Caron (2017) stipulent que l’ état de santé mentale complète fait référence à l’absence de problèmes mentaux et à un niveau élevé de bien-être mental. D’ ailleurs, l’ étude longitudinale MIDUS, de1995 à 2005, a démontré empiriquement ce modèle à deux continuums. Selon les résultats, bien que 75 % des participants ne présentent pas de troubles mentaux, seulement 20 % de ces derniers ont une santé mentale complète. Ainsi, l’absence de troubles mentaux ne signifie pas que la personne a un niveau de fonctionnement optimal de l’ état mental et peut donc présenter des difficultés d’ adaptation (Keyes, 2005). De plus, le concept de la santé mentale positive est associé à diverses dimensions, telles que le bien-être émotionnel, le fonctionnement psychologique et l’appartenance sociale (Keyes, 2005). La dimension du bien-être psychologique est associée à une connotation subjective influencée par la culture. Ainsi, lorsque l’ être humain se compare à autrui, il influence sa propre perception de lui-même. Enfin, des études mentionnent que le fait de recevoir un soutien social peut atténuer les effets négatifs reliés au stress (Nezlek et Allen, 2006) ou d’un traumatisme (Krause, 2004), améliorer la satisfaction à l’égard de la vie (Barrett, 1999) et diminuer le déclin présent au cours du vieillissement (Seeman, Lusignolo, Albert et Berkman, 2001). La santé mentale positive est une ressource essentielle qu’ il faut préserver et fortifier (Doré et Caron, 2017).
Inégalités sociales et santé mentale
Les problèmes de santé mentale sont à la fois la cause et le résultat des inégalités sociales. En ce sens, une personne ayant un statut social minoritaire serait plus à risque d’avoir des difficultés liées à la santé mentale, de même qu’une personne ayant un problème mental serait plus à risque de vivre des inégalités sociales (Barry et Friedli, 2008). Cette conceptualisation sur les inégalités est soutenue par deux théories, soit celle de la causalité sociale et soit celle de la sélection sociale. La première théorie indique que la façon dont fonctionne une société peut engendrer des problèmes de santé mentale. La seconde théorique stipule que les individus ayant des problèmes de santé mentale se situent majoritairement en bas de l’ échelle sociale. Dans notre étude, la théorie de la causalité sociale permet de mieux comprendre les effets des inégalités sociales sur le bien-être des diverses populations. Selon cette théorie, les problèmes mentaux sont davantage présents chez les personnes occupant une position inférieure sur l’ échelle sociale. Ces personnes sont également plus à risque de souffrir de stress chronique, notamment en lien avec l’appauvrissement. Les problèmes de santé mentale sont associés à niveau de stress élevé et à un manque de ressources. Selon cette théorie, l’ état de santé mentale est influencé par la dévalorisation sociale et l’oppression (Mc Gibbon, 2012). Dans les pays développés, les disparités sociales sont davantage présentes dues à des inégalités de revenu. Le statut social devient une source de concurrence entre les individus. Ainsi, l’ insécurité du statut social des différents groupes de la population est préjudiciable à la bonne santé mentale (Wilkinson et Pickett, 2010). Par exemple, le Canada est un pays développé composé d’une variété culturelle. Bien que la population soit majoritairement caucasienne, plusieurs groupes populationnels sont présents, dont les populations autochtones. Depuis les derniers siècles, ces populations sont méprisées et vivent des inégalités sociales importantes, et ce, malgré les politiques récentes sur la réconciliation avec ces peuples. Pour mieux comprendre l’état de santé mentale de ces peuples plusieurs éléments liés aux communautés autochtones sont abordés dans la prochaine section.
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