Connaissances professionnelles mobilisées et besoins des enseignants pour la mise en œuvre du curriculum de mathématiques
Point sur le développement professionnel et la réflexivité de l’enseignant en poste
L’expression « développement professionnel » reste jugée polysémique avec des conceptions diversifiées ; ses étapes restent floues et il y a confusion entre le sens du concept lui-même et les moyens par lesquels il se réalise (Uwamariya & Mukamurera, 2005). Selon ces auteures, le caractère polysémique du développement professionnel s’explique par la multitude d’expressions plus ou moins équivalentes utilisées dans les écrits : perfectionnement, apprentissage professionnel, développement pédagogique, développement de carrière, évolution professionnelle, apprentissage continu, croissance professionnelle, expérience professionnelle, soutien et d’appui au développement des acteurs en éducation et à leur formation, etc. (Uwamariya & Mukamurera, 2005 ; Jorro (2014). Dans d’autres cas, l’expression « développement professionnel » est associée à la recherche ou à la réflexion. Et dans le domaine de l’enseignement, ce flou conceptuel et théorique constitue un handicap à la compréhension et à la maîtrise de certaines facettes du métier d’enseignant ainsi qu’à l’élaboration de stratégies solides de développement dans la carrière (Uwamariya & Mukamurera, 2005). En revanche, selon toujours ces auteures, un large consensus semble s’orienter vers la manière dont les enseignants se développent dans des conditions sociales actuelles de leurs vies et de leurs expériences, des cultures et des contextes éducationnels existants ; le développement professionnel est alors pris comme un volet de la formation continue. Ainsi, même si professionnalisation et développement professionnel sont inséparables selon Wittorski & Briquet-Duhazé (2010), la professionnalisation émane d’une institution ou d’une organisation alors que la dynamique de développement professionnel serait beaucoup plus du ressort d’un individu. Plus généralement, pour les enseignants, indépendamment des postures épistémologiques qui colorent les théories et les modèles développés dans la littérature, pour Uwamariya & Mukamurera (2005), « Le développement professionnel est un processus de changement, de transformation, par lequel les enseignants parviennent peu à peu à améliorer leur pratique, à maitriser leur travail et à se sentir à l’aise dans leur pratique » (p. 148). Disons que le développement professionnel est le développement des compétences professionnelles dans l’action et sur l’action (Wittorski, 2008) ou encore par les pratiques (Donnay & Charlier, 2008). Par ailleurs, Charlier (2012) pense que le développement professionnel d’un enseignant se fait à partir de, par et pour la pratique. En effet, l’enseignant peut apprendre à partir de la pratique car celle-ci constitue le point de départ et le support de 49 sa réflexion (réflexion sur l’action). En outre, poursuit la même auteure, il apprend par la pratique puisque confronté à la réalité qui lui résiste, l’enseignant se positionne en acteur, c’està-dire comme quelqu’un qui peut agir sur les caractéristiques de la situation, expérimenter des conduites nouvelles et découvrir des solutions adaptées à la situation. Enfin, l’enseignant apprend pour la pratique car si le point de départ de l’apprentissage est dans l’action, son aboutissement l’est aussi, dans la mesure où l’enseignant valorise essentiellement les apprentissages dont il voit les retombées directes sur sa vie professionnelle (p. 129). Le travail de l’enseignant s’inscrit donc dans des situations complexes, changeantes et imprévisibles tant au niveau personnel, professionnel, institutionnel et politique. Et lorsqu’il s’agit de faire face à des exigences de nouvelles réformes, le développement de nouvelles compétences exigées par les nouvelles pratiques devient une nécessité même si l’enseignant, en fonction de son expérience professionnelle, peut jouir d’une certaine autonomie lui permettant de juger de ce qui est le plus adapté à un moment donné pour la situation qu’il vit (Donnay & Charlier, 2008) : c’est la réflexivité des pratiques enseignantes. Différentes expressions sont utilisées pour faire référence à la réflexion que l’enseignant peut conduire sur son activité : « pratique réflexive », « réflexion », « réflexivité », « analyse réflexive » ou encore « pensée réflexive » sont autant de termes souvent amalgamés dans le champ théorique de la réflexion. Cette diversité fait de la réflexivité un concept difficile à cerner (Correa Molina, Collin, Chaubet, & Gervais, 2010). Dans le contexte de pratique professionnelle enseignante, selon Altet, Perrenoud & Étienne (2013), la posture réflexive est basée sur le questionnement d’un enseignant sur son action ; elle se justifie par le fait que l’enseignement est un processus complexe, multidimensionnel, incertain, et en comprendre le fonctionnement réclame une mise à distance réflexive et une analyse. L’enseignant se pose constamment des questions sur sa propre pratique et s’inscrit dans un processus d’apprentissage et de la recherche sur le tas (Schön, 1994). Enfin, les compétences du “ praticien réflexif ” font parties de celles qu’un bon enseignant devrait construire, notamment en formation continue. La réflexivité peut intervenir en amont, au moment de la préparation, comme en aval, après l’action. Elle concerne donc autant ce que l’enseignant va faire que ce qu’il a fait. Cette compétence s’installe nécessairement dans la durée, on ne peut prétendre la maitriser dans un temps court. Les théories de référence continuant à évoluer, elles doivent être approfondies et complétées (Houpert, 2005). Dans notre recherche, nous sommes en effet intéressé par la place que prend la réflexivité des enseignants sur leurs actions dans la mise en œuvre des instructions du nouveau curriculum de mathématiques à l’École Fondamentale au Burundi
Contexte de réforme curriculaire au 4ème cycle de l’École Fondamentale
Pour s’adapter aux exigences du monde éducatif toujours en évolution et/ou de l’appartenance régionale de chaque pays, les systèmes éducatifs peuvent se retrouver dans la nécessité d’opérer des réformes touchant notamment les contenus d’enseignement, la structure scolaire, la durée de la scolarité, etc. C’est ce que le Burundi a fait depuis l’année scolaire 2013-2014 pour répondre à la demande d’harmonisation de la structure de la scolarité de base des pays membres de l’East African Community (Communauté Est-Africaine). Notre recherche s’effectue dans un contexte de réforme de l’enseignement primaire et secondaire devenant respectivement l’enseignement fondamental et l’enseignement post-fondamental. Parmi les grands changements, il y a l’enseignement de base dont la durée est augmentée (passant de six à neuf ans), et qui est destiné aux élèves de six à quatorze ans. L’enseignement fondamental (École Fondamentale) est organisé en quatre cycles à raison de deux classes par cycle sauf au quatrième et dernier cycle qui comprend les classes de 7ème, 8ème et 9ème année (voir Tableau 1).Dans ce dernier cycle d’enseignement fondamental, qui est l’objet de notre recherche, les disciplines scolaires sont regroupées en six domaines d’enseignement. Pour rappel, ces domaines sont : le domaine des sciences et technologie (regroupant Biologie, chimie, physique et technologie), celui des sciences humaines (histoire et géographie), celui des langues (kirundi, français, anglais, swahili), le domaine de l’entrepreneuriat, celui des arts (dessin, musique et art plastique) et enfin le domaine des mathématiques. Ainsi, un enseignant du domaine des sciences et technologie, quelle que soit sa formation initiale, doit enseigner les quatre disciplines qui la composent alors qu’aucune institution de formation initiale ne forme les enseignants sur les quatre disciplines à la fois. En revanche, le domaine des mathématiques ne comprend qu’une seule discipline : les mathématiques. Nous nous intéresserons à ce domaine dans notre recherche puisqu’il existe des institutions de formation initiale des enseignants en mathématiques même si tous les enseignants en poste actuellement n’y ont pas été formés. Dans le point qui suit, nous montrons la variété des institutions dont sont issus les enseignants de mathématiques ainsi que la problématique liée à la qualification de ces enseignants. 2. Variété d’institutions de formation initiale des enseignants et problème d’enseignants qualifiés à l’enseignement des mathématiques Partout dans le monde, on assiste de plus en plus au développement d’une demande de professionnalisation de la formation enseignante et à la mise en place de formations d’enseignants centrées sur cette professionnalisation (Altet, 1996). Selon cette auteure, le métier d’enseignant s’apprend et les compétences professionnelles spécifiques de l’enseignant se construisent notamment en formation. Ainsi, les responsables des institutions de formation professionnelle initiale des enseignants à tous les niveaux, doivent proposer des programmes de formation qui véhiculent des savoirs professionnels disciplinaires, pédagogiques et didactiques que l’enseignant doit s’approprier pour pouvoir s’adapter plus ou moins à diverses situations éducatives auxquelles il fera face dans l’exercice de ses pratiques. Ainsi, en vue de maximiser l’efficacité des pratiques enseignantes, les institutions de formation professionnelle initiale des enseignants essaient de mettre en place des conditions favorisant l’acquisition de différents types de savoirs et la construction des compétences professionnelles nécessaires à l’exercice de la profession enseignante (Altet, 1996). Même si Schwille et al. (2007) estiment que la formation initiale des enseignants ne peut pas tout prévoir, Pelpel (2002) pense que, pour 53 que l’enseignant soit à mesure d’assumer la mission qui lui est confiée, il devrait préalablement avoir bénéficié d’une formation solide et touchant plusieurs aspects notamment ceux relatifs à la discipline, à la gestion de la classe, etc. Pour cet auteur, même si les structures de la formation initiale sont variables d’un pays à l’autre, et souvent résultant des facteurs historico-culturels et socio-politiques, au terme de cette formation, il faudrait tout à la fois que les enseignants soient bien outillés sur les pratiques professionnelles « efficaces », nourris de compétences leur permettant en tout cas de faire face à la réalité du métier qui les attend. Les référentiels de compétences recherchées dans une formation professionnelle, jouent donc un rôle important en tant qu’outils au service d’une grande cohérence entre la démarche de formation et la pratique professionnelle (Desjardins et al., 2012). Actuellement, au Burundi, les enseignants qui prestent au quatrième et dernier cycle de l’École Fondamentale sont généralement formés pendant trois ans dans l’enseignement supérieur. Mais les lauréats de l’école secondaire générale (qui dure trois ans) ou pédagogique (durant quatre ans après le fondamental) peuvent aussi être recrutés comme enseignants au terme de leur scolarité. Or, le système « BMD » étant en vigueur dans l’enseignement supérieur burundais depuis 2011, les institutions de formation initiale des enseignants n’ont pas adapté les contenus de formation conséquemment à la réforme de l’enseignement de base et secondaire introduite en 2013 alors que les curricula d’enseignement ont fondamentalement changé au 4ème cycle du fondamental et au post-fondamental. Parmi l’ensemble des institutions d’enseignement supérieur, deux institutions sont reconnues comme formatrices d’enseignants au dernier cycle du fondamental en mathématiques. Il s’agit de l’École Normale Supérieure (département de mathématiques) et de l’Institut de Pédagogie Appliquée (département de mathématiques) de l’Université du Burundi. La réalité est que les enseignants de mathématiques au 4ème cycle du fondamental ne sont pas initialement formés dans ces deux seules institutions de formation des enseignants. En effet, d’après le dernier recensement effectué en 2017 par le Bureau de la Planification de l’Éducation au Burundi notamment sur les profils académiques des enseignants de mathématiques, il existe des enseignants de mathématiques qui ont été initialement formés dans des sections/départements comme l’agriculture, l’agro-biologie, l’agronomie, la chimie, la communication, la construction, les sciences économiques et de gestion, le génie civil ou mécanique, l’électricité, l’informatique, la psychologie, etc. Il y a aussi des enseignants de mathématiques qui ont fait une formation initiale en droit, histoire, Eau-forêt, aménagement du territoire, pour ne citer que ces quelques sections. Cette situation d’enseignants non qualifiés avait été pointée par une étude réalisée par l’Unesco (2012) comme étant généralement plus prononcée dans les milieux ruraux 54 et surtout dans les collèges communaux5 . Notons également que la durée de formation de ces enseignants est très variable ; elle varie de deux à cinq ans de formation. Même si nous considérons les filières où des cours relatifs aux mathématiques sont proposés en formation initiale, le poids relatif de ces cours diffère d’un domaine de formation à l’autre, y compris dans les institutions de formation initiale des enseignants de mathématiques. Aussi, les enseignants en poste actuellement ont été initialement formés dans des systèmes d’enseignement différents (l’ancien système et le nouveau système de Bologne dans l’enseignement supérieur). Les enseignants ont des profils académiques diversifiés, certains sont issus des institutions reconnues comme formatrices d’enseignants de mathématiques ou non et certaines institutions proposant un stage d’enseignement contrairement à d’autres, alors que d’’autres institutions ne forment pas les enseignants. Dans notre présentation (Tableau 6), nous allons nous limiter aux principales institutions de formation initiale dont les lauréats sont les plus susceptibles d’être recrutés comme enseignants de mathématiques au 4ème cycle de l’École Fondamentale.
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