Confrontés à des enjeux mondiaux, les territoires français s’internationalisent
Derrière l’image d’un « village planétaire », souvent utilisée pour illustrer les interdépendances entre les territoires du monde, le phénomène de mondialisation est porteur de charges idéologiques profondément contradictoires. Il recouvre, selon Michel Beaud, trois grands types de processus, révélant l’expansion à l’échelle mondiale des systèmes capitalistes les plus puissants. Il s’agit de l’internationalisation (des échanges, du crédit, des paiements), la multinationalisation (des entreprises, des banques, des organismes financiers) et la globalisation (monétaire, financière, culturelle)324. La mondialisation est avant tout marquée par la dépendance de plus en plus forte des sociétés vis-à-vis de l’économie. Si elle concerne principalement la carte des populations aux revenus et au pouvoir d’achat les plus importants, ses effets s’exercent sur les systèmes productifs et marchands locaux du monde entier. L’inscription dans une économie mondiale, l’émergence d’organisations et de pouvoirs supranationaux (organisations internationales, Union Européenne, etc.), ou encore la multiplication des mobilités internationales, sont autant de facteurs liés à la mondialisation. Ils impactent l’action publique qui connaît ainsi un phénomène de déterritorialisation325.
Les interdépendances entre les territoires du monde sont la première manifestation de cette mondialisation. Elles reposent sur l’idée selon laquelle « toute Ville du monde est reliée, d’une manière ou d’une autre, à toutes les autres Ces interdépendances sont accentuées « par la concurrence ou par les relations d’échanges, par la soumission directe à une firme étrangère ou par les effets d’une association informelle, par la chaîne diverse et sans cesse renouvelée de ces différents types de relations ». Dans ce mouvement, « une proportion croissante d’activités sur un nombre toujours plus élevé de territoires est soumise aux effets, tantôt d’entraînement, tantôt de remous, de décisions prises ailleurs dans le monde327 ». Cette notion d’interdépendance des territoires est donc fréquemment utilisée pour exprimer une communauté de destins des pays quelque soit leur localisation géographique, face à diverses crises : l’augmentation des inégalités et des exclusions sociales et économiques à l’intérieur des pays, entre eux et entre blocs continentaux328, le réchauffement climatique, etc. Face à l’internationalisation de ces problématiques environnementales, urbaines, sociales, etc., Ghislain Brégeot et Isabelle Chenevez considèrent que la coopération entre les territoires à l’échelle mondiale s’impose comme « une nécessité absolue329 ».
La notion d’interdépendance est alimentée par l’idée selon laquelle certains éléments appartiennent à un patrimoine commun à l’humanité et ne peuvent donc faire l’objet d’une appropriation privative de la part des États. L’existence de ce qu’on appelle des biens publics mondiaux tels que la paix, l’environnement, l’eau ou encore la santé publique est considérée comme bénéfique à tous les pays sans exclusion ni concurrence330. Le juriste Max Gounelle souligne les questions non résolues posées par cette notion tant au niveau de l’entité de pouvoir susceptible d’identifier les biens publics, qu’à celui des procédures visant à définir les politiques publiques en la matière. Comme l’analyse Max Gounelle, cette notion n’est pas seulement floue. Elle remet également en question les fondements du système mondial actuel reposant sur le libre échange dans le commerce international et sur la libre Dans quelle(s) mesure(s) l’AICT intègre-t-elle le jeu de la gouvernance mondiale de plus en plus complexe aux côtés des États et des institutions internationales332 ? Comment, à travers elle, les collectivités territoriales s’inscrivent-elle dans cette dynamique de mondialisation, tout en cherchant à corriger les déséquilibres qu’elle entraîne ? Afin de vérifier le degré de « nécessité » de l’AICT dans l’effort de réduction de ces déséquilibres, ce chapitre s’articulera en trois temps.
Tout d’abord nous identifierons parmi les bouleversements mondiaux les trois phénomènes étroitement imbriqués que sont la crise environnementale, l’urbanisation des territoires et les migrations afin d’analyser l’idée d’interdépendance des territoires liés par ces problématiques communes. Il s’agira ensuite de comprendre la manière dont les collectivités territoriales se positionnent dans la mondialisation comme actrices de changement à travers deux démarches complémentaires. D’une part, elles affirment leur présence sur la scène internationale par le biais, entre autres, de leur appartenance à de nombreux réseaux. De l’autre, elles accompagnent l’internationalisation de leurs territoires. Nous verrons la manière dont ce processus, qui répond à des stratégies différentes selon les contextes locaux, peut potentiellement intervenir sur différents pans de la construction territoriale. Les élus locaux ont coutume de présenter l’AICT comme s’inscrivant dans le sens de « l’humanisation de la mondialisation ». Cela sous-entend qu’à travers elle, les collectivités territoriales prennent leur part de responsabilité dans les problématiques mondiales, tout en agissant sur leurs conséquences au niveau local. Nous traiterons la notion d’influence entre les échelles locales et globales à travers les défis communs auxquels les collectivités territoriales françaises et étrangères sont confrontées, malgré leurs caractéristiques et leurs contextes spécifiques. Nous ne les listerons pas de manière exhaustive mais focaliserons cette analyse sur trois phénomènes ayant un impact fort sur les territoires et concernant particulièrement les collectivités territoriales. Il s’agit de la crise environnementale, de l’urbanisation croissante du monde et des migrations.