Migration, santé et diabète de type 2
La population migrante peut être définie de plusieurs manières. Dans le monitoring de l’état de santé de la population migrante en Suisse (GMM II), les migrants sont définis comme toutes les personnes, vivant en suisse avec un passeport étranger, et celles qui ont été naturalisées depuis moins de deux ans. De plus, ce monitoring étudie les migrantes et les migrants qui n’ont aucune des trois langues nationales (français, allemand et italien) comme langue maternelle. Ce facteur est considéré comme un facteur de risque sur la santé. Par conséquent, dans le GMM II ainsi que dans ce travail, la population étudiée n’est pas l’ensemble de la population migrante, mais des groupes provenant des pays suivants : Turquie, Portugal, Serbie, Kosovo, Somalie et Sri Lanka (Office Fédéral de la Santé Publique, 2012). Le GMM II montre que ces migrants considèrent leur santé de moins bonne qualité que la population suisse.
En plus des déterminants de santé principaux qui touchent l’ensemble de la population, comme le niveau de formation ou l’activité professionnelle, des facteurs spécifiques, en lien avec une situation de migration, sont déterminants dans l’état de santé de la personne en situation de migration. Le principal facteur rapporté par le GMM II est la connaissance et la maîtrise d’une des langues nationales. Les résultats de cette enquête rapportent que la maîtrise de la langue parlée dans la région de domicile peut-être corrélée à un meilleur état de santé. En effet, les migrants ayant une faible littéracie en santé peuvent rencontrer des difficultés à comprendre les informations délivrées par les professionnels ainsi qu’à se positionner de manière critique pour leur santé. Ce dernier élément, la discrimination ainsi que le manque de connaissances sur le système de santé contribue à une utilisation non appropriée du système de santé par certains groupes migrants. De plus, une partie importante de la population migrante se trouve dans une situation précaire de « working poor » et occupe des postes de travail à hauts risques pour la santé (Office Fédéral de la Santé Publique, 2012). Auparavant de prédominance masculine, le genre a également évolué au sein de la population migrante.
En effet, depuis les années 1970, on peut observer une féminisation de la migration (54% d’hommes pour 46% de femmes, en 2004). Les femmes ont plus tendance à vivre une marginalisation socio-économique qui a des conséquences négatives sur leur santé. Les hommes sont plus touchés par des situations de déqualification professionnelle ou de perte de statut social, ce qui a tendance à affecter leurs comportements de santé (Moreau-Gruet & Luyet, 2011). Les migrantes et les migrants manifestent plusieurs comportements de santé qui peuvent les exposer à un risque plus élevé de maladies cardio-vasculaires tel qu’un manque d’activité physique, une consommation insuffisante de fruits et légumes, une surcharge pondérale et un tabagisme (Gabadinho, Wanner, Dahinden, & Institut, 2007). Comme exposé précédemment, le manque d’activité physique, en lien avec une alimentation déséquilibrée, favorise l’obésité et augmente ainsi le risque d’apparition du diabète de type 2.
Stratégie de recherche documentaire
Les bases de données choisies pour la recherche documentaire sont CINAHL et MEDLINE. Afin de respecter une méthodologie de recherche documentaire de qualité, les mots-clés qui découlent de la problématique et de la question de recherche ont été traduits en anglais, puis introduits dans les thesaurus des bases de données, afin d’avoir des descripteurs. Voici l’équation finale pour la base de donnée CINHAL : (MH « Culture+ ») AND (MH « Self Care ») AND ((MH « Diabetes Mellitus, Type 2 ») OR (MH « Diabetic Patients »)) AND ((MH « Transients and Migrants ») OR (MH « Immigrants ») OR (MH « Emigration and Immigration »)). Et voici celle correspondant à la recherche sur MEDLINE : « Culture »[Mesh] AND « Self Care »[Mesh] AND ((« Diabetes Mellitus, Type 2″[Mesh]) OR (« Diabetes Mellitus »[Mesh])) AND ((« Emigration and Immigration »[Mesh]) OR (« Emigrants and Immigrants »[Mesh])) La recherche avec ces équations a donné 35 articles sur CINAHL, et 13 articles sur MEDLINE. Les critères d’exclusion suivants ont été placés afin d’affiner la recherche. La date de publication a été limitée à 10 ans dans le but d’avoir des résultats actuels. Seuls les articles en anglais ont été sélectionnés.
Ces derniers doivent également répondre aux critères d’inclusion suivants : la population étudiée doit déjà être atteinte du diabète de type 2. Il ne doit pas s’agir d’articles sur la prévention de cette pathologie. Les articles doivent répondre aux normes de l’écriture scientifique afin d’assurer un niveau de preuve suffisant. En concordance avec la vision de la recherche en soin transculturel selon Leininger, uniquement les articles qualitatifs ont été inclus. Ils doivent également être des sources primaires. Ainsi, les revues de la littérature et les méta-analyses sont exclues. La lecture des abstracts a permis d’évaluer la correspondance entre les articles et les critères d’inclusion et d’exclusion. Ainsi, après la mise en place de cette stratégie de recherche, et des critères d’inclusion et d’exclusion, sept articles ont été sélectionnés sur CINAHL. Quatre de ces sept articles font également partie des résultats sur MEDLINE, mais aucun article supplémentaire ne correspond aux critères de sélection. Le chapitre suivant est donc consacré aux résumés des sept articles sélectionnés, à leur exposition sous forme de tableaux et à la synthèse de leurs résultats.
RESULTATS
Les articles sélectionnés sont décrits ci-dessous dans des résumés et sous forme de tableaux, par ordre chronologique de parution. Les résultats estimés répondre à la question de recherche sont ensuite exposés dans la synthèse des résultats.
2) Fleming, E, B Carter, and J Pettigrew. 2008. “The Influence of Culture on Diabetes Self- Management: Perspectives of Gujarati Muslim Men Who Reside in Northwest England.” Journal of Nursing & Healthcare of Chronic Illnesses 17 (5A): 51–59. Le but de cette étude est d’explorer l’influence de la culture sur les autosoins du diabète de type 2 chez des hommes musulmans du Gujarat vivant dans le Nord-Ouest de l’Angleterre. Elle est basée sur une perspective de la « culture incarnée » dans le corps et la personne. Cela est en opposition avec certaines visions courantes de la culture dans la santé et les milieux politiques qui est, selon l’auteur, simplifiée, déterministe et statique. La vision de ces milieux serait responsable des comportements d’autosoins dits « non-adhérents ». Il s’agit d’une étude de cas, qui combine des interviews et des observations.
Les données ont été collectées à partir d’expériences vécues d’autosoin du diabète. Des entretiens supplémentaires avec des « participants significatifs » ont également étés menés. Deux concepts centraux sont transversaux dans les résultats. Il s’agit de « la culture incarnée » et de « la culture dynamique ». Ils démontrent la nature subjective et contextuelle de la culture, qui est illustrée à travers les thèmes suivants : « expériences passées et facteurs socio-économiques », « rôles sociaux et genrés », « choix personnels et facteurs contextuels ». Ces thèmes soulignent l’importance du choix personnel de la personne sur la pratique de ses autosoins. La conclusion met en lumière les différences de représentations de la culture entre les politiques gouvernementales, la recherche et celle interprétée par une approche « incarnée ». Les auteurs suggèrent également comment mettre en pratique cette approche dans le cadre de la politique nationale anglaise pour le diabète. La politique actuelle suggère des programmes spécialisés d’éducation et de soins, conçus pour répondre, de manière uniforme, aux besoins de divers groupes culturels (« par ex. : Asiatiques du sud »), ce qui est perçu par l’auteur comme réducteur. Selon l’auteur, il serait nécessaire d’avoir une approche centrée sur la personne, avec un plan de soins individualisé, élaboré en partenariat avec cette dernière.
3) Barko, Rimma, Cynthia F. Corbett, Carol B. Allen, and Jill Armstrong Shultz. 2011. “Perceptions of Diabetes Symptoms and Self-Management Strategies A Cross-Cultural Comparison.” Journal of Transcultural Nursing 22 (3): 274–81. doi:10.1177/1043659611404428. L’étude compare et contraste la perception des symptômes et les stratégies d’autosoins entre des femmes d’origine slave et des femmes américaines autochtones. C’est une étude qualitative descriptive avec un échantillon de convenance de 10 femmes d’origine slave en situation de migration et de 10 femmes américaines autochtones. Les participantes, âgées de 50 ans et plus, ont été sélectionnées à partir d’un échantillon de convenance de 60 femmes. Une similarité et une comparaison au niveau de l’âge, du degré de connaissance du diabète, des années d’éducation, du salaire, etc., est présente. Les femmes d’origine slave décrivent une vision plus holistique. Les symptômes sont verbalisés en tant que phénomènes (l’hypoglycémie est décrite comme « tremblement, mal-être»). La dépression n’est pas reconnue en tant que telle mais décrite de manière large : « Je n’ai rien envie de faire, je me sens faible. ». Elle serait également un facteur influençant de manière négative les autosoins. Un manque de connaissance en matière d’alimentation, d’activité physique et d’autosoins est également observé. Les professionnels de la santé devraient être attentifs au fait que les femmes d’origine slave ne reconnaissent pas toujours les symptômes d’une hypoglycémie et ceux de la dépression. Des soins culturellement adaptés augmenteraient les résultats favorables sur la santé et l’adhésion à la gestion du diabète de ces personnes.
L’héritage culturel
Les valeurs culturelles et les modes de vie La vision de la maladie, de ses symptômes et de ses causes semble être vue d’une manière différente chez les personnes en situation de migration. Les études soulignent une vision plus holistique chez les participants. Les symptômes sont par exemple verbalisés en tant que phénomènes, les participants expliquent également parfois l’origine du diabète par la mort d’un proche ou par des accidents, d’autres mentionnent le stress de l’immigration (Barko, Corbett, Allen, & Shultz, 2011 ; Nam, Song, Park, & Song, 2013). Du point de vue alimentaire, les personnes en situation de migration ont des pratiques différentes du pays d’accueil, montrant l’influence de la culture sur ces dernières. Plusieurs participants de certaines études sélectionnées semblent avoir des difficultés à suivre un régime adapté au diabète (Barko et al., 2011 ; Cha et al., 2012). De plus, des visions différentes de ce qui est considéré comme « bon » pour la santé par les personnes d’origine coréenne, comme les produits tels que la viande, le riz blanc en grande quantité, ont été rapportées. Dans la culture coréenne, les produits complets tels que le pain et le riz seraient considérés comme mauvais pour la santé et destinés aux pauvres ne pouvant se payer les produits plus raffinés (Cha et al., 2012).
La médecine traditionnelle semble tenir une place importante dans la gestion du diabète chez beaucoup de patients en situation de migration. En effet, les participants semblent garder des habitudes d’autosoins découlant de leur médecine traditionnelle dans le pays d’accueil (Barko et al., 2011 ; Fleming, Carter, & Pettigrew, 2008 ; Smith, 2012). Selon Fleming et al. (2008), les participants déclarent combiner la médecine occidentale et la médecine traditionnelle pour leurs autosoins. Le sport semble globalement peu pratiqué chez les personnes en situation de migration et il est rarement mentionné comme faisant partie de la prise en charge du diabète (Cha et al., 2012 ; Nam et al., 2013 ; Smith, 2012). Toutefois, marcher est retenu comme important pour huit des dix participantes d’une autre étude (Barko et al., 2011). Une étude s’est particulièrement penchée sur le rôle que peut jouer la religion dans la gestion du diabète. Les résultats montrent que 90% des participantes considèrent la prière comme un aspect important dans la gestion du diabète et comme complémentaire aux traitements occidentaux et traditionnels (Smith, 2012). D’un point de vue plus philosophique, les cultures asiatiques considèrent l’équilibre du yin et du yang comme important dans le maintien de la santé. L’âge, les médicaments, les maladies, la nourriture ou les plantes influencent cet équilibre. Cette croyance affecterait donc l’adhésion au traitement occidental, très axé sur la médication (Cha et al., 2012).
1 Introduction |