Conditions de travail : une exposition inégale aux risques
Parmi les risques qui contribuent à la surmortalité masculine, il en est que les hommes ne choisissent pas forcément de courir. Ce sont ceux liés aux conditions de travail, qui, dans l’ensemble, apparaissent plus défavorables aux hommes qu’aux femmes. Or les conditions de travail comptent parmi les facteurs primordiaux d’inégalité sociale en matière de santé. Certains métiers, certaines activités, plus que d’autres, soumettent les individus à tout un ensemble de pénibilités, tant sur le plan physique que sur le plan psychologique. La souffrance au travail est un thème bien connu, nous ne manquerons d’ailleurs pas d’aborder de manière plus poussée ces questions relatives à la santé et au travail. Pour l’instant, commençons déjà par rappeler que hommes et femmes ne travaillent pas dans les mêmes secteurs et branches, ni n’occupent les mêmes postes de travail au sein d’un même secteur, d’une même branche ou d’une même entreprise. Si l’on examine de plus près la répartition des actifs occupés selon le sexe et la catégorie socioprofessionnelle (tableau p. 80), on ne peut que constater le caractère profondément sexué de la plupart des emplois ou des secteurs d’activité. A tel point qu’il n’est pas exagéré de parler de métiers masculins et de métiers féminins… Ainsi, les femmes sont d’abord surreprésentées dans les professions où les responsabilités – statut hiérarchique – sont limitées, puis dans celles qui incarneraient les « vertus féminines » (communication, don aux autres…) et qui ne nécessitent pas un usage intense et régulier d’une quelconque force physique ; elles seraient donc plus amenées à exercer des tâches où la parole et le dialogue prévalent sur des fonctions purement mécaniques et gestuelles. On les retrouve donc en majorité dans les emplois suivants : services aux particuliers, employées, professions intermédiaires de la santé et du travail social, institutrices et professeurs. Elles sont en revanche toujours peu nombreuses dans les professions incarnant les « vertus viriles » (force et technicité), dans les métiers manuels (où la force physique est mise en avant), ainsi que dans les professions de « pouvoir » – de haut rang hiérarchique – : ouvrier(e)s qualifié(e)s et non qualifié(e)s ( plus rares encore sont les ouvrières qualifiées…), chauffeur(e)s, manutentionnaires, policier(e)s, militaires, chefs d’entreprises, ingénieurs et cadres techniques d’entreprise. De la même façon, la présence de femmes varie selon les secteurs d’activité : largement majoritaires, à 74,9 % dans le secteur de l’éducation-santé-action sociale, et dans une moindre mesure dans les activités financières, immobilières, les services ou l’administration, elles se raréfient dans les industries, l’énergie ou les transports et atteignent à peine 10% dans le secteur de la construction. Comme nous aurons l’occasion de traiter de manière plus étayée et plus approfondie le problème de la souffrance au travail (inégale d’ailleurs selon les métiers, les statuts occupés et les secteurs d’activités) et de ses conséquences directes ou indirectes sur la santé des travailleurs (et, au final, sur la longévité), nous ne nous livrerons pas, dans ce chapitre, à une analyse en profondeur de ces questions. Nous formulerons donc les choses de façon assez simple et nous nous en tiendrons à des considérations générales. Globalement, les hommes se trouvent beaucoup plus souvent que les femmes confrontés à un ensemble de nuisances et de pénibilités cumulées dans le travail ; les métiers ou les secteurs d’activité les moins féminisés sont aussi, bien souvent, ceux où les conditions de travail sont les plus éprouvantes et les risques professionnels les plus grands. Considérons, tout d’abord, la question des horaires de travail. D’une part, nous signalent A. Bihr et R. Pfefferkorn25, les hommes travaillent professionnellement en moyenne plus longtemps que les femmes, dont la durée d’occupation professionnelle est écourtée pour faire face aux contraintes du travail domestique, de la vie familiale… D’autre part, ajoutent les deux sociologues, les hommes bénéficient moins souvent que les femmes d’un repos hebdomadaire : en effet, ils s’exercent à la tâche plus souvent que ces dernières en fin de semaine, le samedi et surtout le dimanche. Les hommes, ensuite, sont plus souvent que les femmes contraints de composer avec des horaires alternants. C’est ce qu’il ressort de l’enquête Emploi de mars 2001 : 10% des hommes contre 5,9% des femmes n’ont pas déclaré d’horaires habituels et réguliers de travail26. La même enquête, pour clore cette question des horaires professionnels, fait enfin apparaître que le travail de nuit est généralement plus du genre masculin que féminin. Or la nocivité et la dangerosité du travail de nuit semblent unanimement reconnues et elles ne sont plus à démontrer. A la fin des années 1980, S. Volkoff s’exprimait déjà assez clairement làdessus : « le travail en horaire décalé, surtout s’il comprend des périodes nocturnes, peut être la cause de troubles digestifs et de problèmes de poids, liés à l’irrégularité des heures de repas, à la nécessité fréquente de manger sans appétit, voire à la difficulté de se procurer, à de telles heures, des repas chauds et correctement équilibrés . » Si l’on se penche maintenant sur le contenu ou la nature des tâches de travail auxquelles les hommes doivent se plier, on observera alors que de ce point de vue aussi les hommes semblent désavantagés28. Ceux-ci, dans l’ensemble, se retrouvent plus souvent que les femmes à effectuer des tâches physiquement pénibles, et l’écart entre eux s’accroît avec le degré de pénibilité. Porter ou déplacer des charges lourdes, effectuer des efforts physiques importants, subir des secousses ou des vibrations, être exposé à des bruits très forts ou très aigus, bref, autant de facteurs de pénibilité physique qui s’adressent plus à une clientèle masculine que féminine, pourrait-on dire. Pour ce qui est de la dangerosité et de la nocivité des tâches professionnelles masculines, la situation n’est guère plus réjouissante pour le sexe « fort » : les enquêtes « Conditions de travail » révèlent que les hommes, plus que les femmes, sont habitués à travailler dans la saleté, dans l’humidité, dans des courants d’air, à des températures très basses ou très élevées ; ils respirent aussi plus de fumées, poussières et autres produits toxiques, manipulent plus souvent des produits toxiques, nocifs et explosifs que les femmes. Ils encourent enfin plus de risques que ces dernières : projections ou chute de matériaux, chutes graves, électrocutions, brûlures, blessures par une machine, par des outils ou des matériaux, accidents de la route, irradiations… Du point de vue de la pénibilité mentale de la charge de travail, la situation semble par contre plus équilibrée entre les deux sexes.
Les accidents du travail
En 1998, par exemple, 534 239 hommes contre 144 923 femmes ont été victimes d’un tel accident, ce qui signifie, grosso modo, que quatre accidents du travail sur cinq concernent un homme. De plus, ces accidents sont généralement plus graves pour les hommes que pour les femmes : pour la même année, sur les 683 décès qu’on entraîné ces accidents, 641 (93,8%) ont frappé des hommes. On trouve une explication à ces résultats dans le fait que la part la plus grande de ces accidents professionnels se produit dans des branches très masculines : les deux comités techniques « bâtiments et travaux publics » et « transports et manutentions », à eux seuls, ont enregistré près de la moitié de ces décès (45,7%)29. En 2007, les statistiques de la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés nous indiquent que 521 614 hommes contre 198 536 femmes ont été victimes d’un accident de travail avec arrêt (entraînant 34 339 incapacités permanentes pour les premiers et 12 087 pour les secondes), et que sur les 622 décès liés à ces accidents cette année là, 580 ont concerné des hommes. Une fois de plus, c’est au sein des branches d’activités les plus masculines que se sont produits ces drames : la moitié sont survenus dans les comités techniques « bâtiments et travaux publics » et « transports et manutentions ».
Maladies professionnelles
Les hommes sont aussi plus fréquemment victimes de maladies professionnelles que les femmes. Si l’on considère simplement les décès qu’ont entraîné ces maladies, on retiendra alors que sur un total de 467 pour l’année 2006 (ensemble des grandes branches d’activités), 455 ont frappé des hommes30 (environ 90 % …). Les expositions aux cancérogènes, par exemple, sont davantage concentrées sur ces derniers. 14% des salariés se retrouvent exposés à des produits chimiques cancérogènes31 ; 70% font partie du monde ouvrier et 20% des professions intermédiaires. Or nous avons vu que le métier d’ouvrier, généralement, a plus une connotation masculine que féminine…Les salariés ayant une fonction de type maintenance, installation, réparation sont plus fréquemment exposés que ceux qui opèrent une fonction de production. Les risques inhérents à ces expositions aux cancérogènes sont concentrés dans quelques secteurs, le commerce et la réparation automobile, la métallurgie et la transformation des métaux, les industries du bois et du papier, celles des produits minéraux, la chimie, la construction, la santé-action sociale et les services personnels et domestiques32. Dans tous les secteurs, à l’exception des ceux où les femmes sont surreprésentées (services personnels, santé et action sociale), les hommes sont plus exposés que les femmes. Selon un rapport présenté en septembre 2007 par le Centre International de recherche sur le cancer et les académies des sciences et de médecine, les expositions professionnelles seraient à l’origine de 3,7% des décès par cancer chez l’homme et de 0,5% des décès chez la femme.
Alcoolisme
Si dans le cadre des rapports de production actuels, caractérisés notamment par la dimension fortement sexuée de certains métiers et de certains secteurs d’activités, les hommes peuvent difficilement se mettre à l’abri de nombre de facteurs de surmortalité, il en est d’autres, en revanche, qui semble relever de pratiques plus ou moins volontaires de leur part : tel est le cas de la consommation d’alcool et de tabac (nous verrons cependant que ces pratiques, en réalité, sont aussi déterminées culturellement, socialement…). Si l’on envisage d’abord la question de l’alcoolisme, le constat est sans appel : l’homme est plus « tourné vers la boisson » que la femme. Il subit aussi, ce qui n’a rien d’étonnant, de manière plus violente les conséquences néfastes qu’ont sur leur santé ces pratiques. Voyons tout cela. En France, le risque d’alcoolisation excessive, ponctuel ou chronique, concerne donc surtout les hommes : plus de quatre hommes sur dix et plus d’une femme sur dix. Entre vingt cinq et soixante quatre ans, il touche un homme sur deux. En termes de consommation journalière, le Baromètre Santé 2000 élaboré par le Comité Français d’Education pour la Santé (CFES) révèle qu’un homme sur trois contre seulement une femme sur neuf consomme quotidiennement de l’alcool. La fréquence de cette consommation s’accroît d’ailleurs régulièrement avec l’âge pour les deux sexes33. Plus accoutumés à l’alcool que les femmes, les hommes en boivent aussi plus qu’elles : la veille de l’enquête administrée par le CFES, les hommes avaient bu en moyenne l’équivalent de trois verres de vin contre seulement 1,7 pour les femmes34. Ces pratiques ont évidemment des répercussions directes sur l’état de santé des individus. Dans son Bulletin épidémiologique hebdomadaire (BEH) publié le 12 septembre 200635 , l’Institut de veille sanitaire (InVS) rappelle qu’avec 45 000 décès annuels, l’alcool demeure la deuxième cause évitable de mortalité (après le tabac) et est directement responsable de 14% des décès masculins (dont plus de la moitié avant 65 ans) et de 3% des décès féminins. Il faut ajouter à cela une quantité de problèmes sociaux et sanitaires, troubles mentaux, violences (notamment conjugales) et accidents liés à une consommation excessive. Les risques de répercussion sur la santé (cirrhose, problèmes cardiovasculaires, cancers) commencent à partir de deux ou trois verres par jour et s’amplifient considérablement au-delà de cinq36. Parmi les décès attribuables à l’alcool, les cancers des voies aéro-digestives supérieures arrivent en tête (16 000 décès), suivis des affections digestives (8 200), des maladies cardiovasculaires (7 600) et des accidents avec notamment plus de 2 200 accidents de la route. La consommation excessive d’alcool est donc une pratique plus répandue dans l’univers masculin que féminin. L’ivresse, depuis la plus haute antiquité, est plus souvent associée à l’homme qu’à la femme. Dans l’imaginaire collectif, d’ailleurs, les images de femmes enivrées, se livrant à des rixes ou autres comportements violents, conséquences fâcheuses de l’état d’ébriété, sont plus rares que celles d’hommes, complètement ivres morts, en totale perte de contrôle..