Concevoir un outil de formation embarqué pour l’appropriation d’un véhicule autonome
La conduite automatisée d’un véhicule : une activité de gestion des risques dans un environnement dynamique
L’approche instrumentale nous permet d’appréhender l’activité de conduite automobile sous l’angle des médiations et de la construction des instruments en tant que développement des conducteurs (instrumentation : assimilation, accommodation, et inhibition de schèmes) et des artefacts (instrumentalisation : attribution de fonctions et transformation) via un processus de genèse instrumentale. Néanmoins, cette approche ne nous dit rien des spécificités de l’activité de conduite automobile elle-même. En effet, la conduite automobile est, de par sa nature, une activité incluant une composante de gestion des risques pour le conducteur et les autres usagers du système routier. Elle prend place dans des situations qualifiées de dynamiques, c’est-à-dire évoluant de manière continue sans l’intervention du sujet. Nous avons donc souhaité comprendre l’impact que pouvaient avoir ces caractéristiques sur le développement des compétences des conducteurs de véhicules automatisés. Dans ce chapitre nous présentons dans un premier temps la notion de risque, puis nous nous intéressons dans un second temps à la notion de situation dynamique.
La gestion des risques
Plusieurs auteurs se sont accordés pour donner une définition du risque en rapport à une situation donnée, tout en différenciant cette notion de celle du danger (Vidal-Gomel, 2001). Dans ce cadre, le risque est la probabilité qu’un évènement actualise le danger présent dans une situation que le sujet en ait conscience ou non (Leplat, 1995). Une caractéristique importante à prendre en compte est que cette situation ou cet événement ne survient jamais de façon volontaire, et n’est généralement pas désiré par le(s) sujet(s). Leplat (1995) distingue la probabilité de survenue de l’événement, et la probabilité que cet évènement provoque un accident. Par exemple, la présence de verglas sur une route est un danger ; le fait qu’un véhicule dérape sur cette plaque de verglas est un risque ; l’accident ne survient que si le conducteur n’arrive pas à récupérer la situation. La façon dont le sujet fait face à un événement non désiré et à ses stratégies de récupération, qui ne sont pas toujours suffisantes, sont ainsi prises en compte. Si l’on prend l’exemple de cette thèse, cela signifie que le risque d’accident de la route dépend en partie des compétences de chaque conducteur – mais pas uniquement. Les accidents sont multifactoriels (Leplat, 1995 ; Rabardel, 1998 ; Vidal-Gomel, 2001). Le modèle que propose Amalberti (1996) distingue le « risque externe », la probabilité qu’un danger s’actualise dans une situation, et le « risque interne ». Ce dernier concerne le risque d’erreur ou bien le risque que le sujet arrive à bout de ses ressources dans une situation potentiellement dangereuse. Cela exige donc un contrôle du risque interne de la part du sujet, qui correspond à la supervision de sa propre activité cognitive et du contrôle effectif qu’il a sur la situation (Hoc, Amalberti, Cellier, & Grosjean, 2004). Par ailleurs, le « risque externe » doit être contrôlé par le sujet. Il correspond à sa capacité à repérer des signaux indicateurs de risque dans l’environnement sur la base de ses représentations et connaissances, et pouvant fonctionner par affordance (Hoc, Amalberti, Cellier, & Grosjean, 2004). Ce contrôle externe implique alors des boucles de sécurité perception-action. Ces boucles de sécurité perceptionaction impliquent une activité de diagnostic pour comprendre et évaluer la situation, incluant une activité de pronostic qui guidera les décisions d’action (Hoc & Amalberti, 1994, 1995, 1998). Le modèle d’Amalberti (1996) fait partie de ce que Vidal-Gomel (2001) appelle les « modèles opératoires du risque ». Il s’agit de modèles de gestion du risque élaborés par les sujets, au cours de leur expérience ou lors de formation, comprenant un ensemble de représentations, de connaissances opérationnelles et de méta-connaissances. Les représentations mobilisées dans ces modèles participent à la conceptualisation du réel, orienté par des buts d’actions ou de transformations, en ne retenant que ce qui est pertinent pour l’action (Leplat, 1985). Il s’agit donc de représentations pour l’action (Weill-Fassina, Rabardel, & Dubois, 1993), fonctionnelles et schématiques, issues de l’expérience, de l’action en situation et/ou de la formation du sujet. Ces représentations sont celles d’un sujet finalisé qui, par son activité, structure et réorganise ses connaissances et ses compétences (Weill-Fassina, Rabardel, & Dubois, 1993). Ces connaissances peuvent concerner les dangers et leurs conséquences, mais également les artefacts à disposition, leur fonctionnement et la façon dont ils peuvent être utiles pour gérer le risque. Enfin, avec l’expérience, les représentations s’élargissent à des champs plus grands, permettant de mieux anticiper l’évolution des situations et les effets des actions possibles. Notons toutefois que l’expérience est nécessaire au développement des compétences mais insuffisantes en soi (Vidal-Gomel, 2001). Les « connaissances opérationnelles » mobilisées dans les modèles opératoires du risque sont constitués de connaissances conceptuelles (scientifiques, techniques et/ou pragmatiques), de connaissances expérientielles, mais également des situations et classes de situations, et des artefacts (Samurçay & Rogalski, 1993). Selon Valot, Grau & Amalberti (1993), on y trouve aussi des méta-connaissances qui permettent au sujet de réguler leur propre activité, d’éviter des situations qu’ils ne savent pas bien gérer ou qui représentent un risque trop élevé étant donné ce qu’ils savent de leurs compétences. Elles sont un élément essentiel de la gestion des risques internes (Amalberti, op. cit.). Amalberti (1996) considère que la gestion des erreurs fait partie de la gestion des risques internes. Il propose d’aborder la fiabilité humaine différemment en considérant que l’évitement de toute erreur ou défaillance n’est plus considéré comme l’objectif à atteindre (Vidal-Gomel, 2001). Ce modèle de « sécurité écologique » explique que les erreurs sont le résultat d’un compromis cognitif contrôlé par le sujet. Ainsi, les sujets disposent de différentes stratégies de protection contre leurs propres erreurs, leur permettant de récupérer 80% d’entre elles, en particulier les erreurs de routine (Amalberti, op. cit.). Quatre types de stratégies de détection-récupération des erreurs ont été identifiées : • « Une erreur est détectée quand le résultat n’est pas conforme aux attentes. • L’opérateur peut juger a posteriori curieuse la façon dont il a élaboré la solution ou dont il a exécuté une série d’actions. • Il peut procéder à une série de vérifications de routine. • À un moment donné du traitement, il peut douter de ses intentions initiales ». Ces stratégies d’analyse des erreurs peuvent intervenir à tout moment dans l’activité du sujet, et quel que soit le niveau de régulation de celle-ci (connaissances, règles, automatismes au sens de Rasmussen, 1983, 1986). Certains facteurs rendent ces stratégies plus ou moins difficiles, par exemple un niveau d’abstraction plus élevé, ou des contraintes temporelles plus importantes. Dans ces cas, le compromis cognitif sera d’accepter le fait de ne comprendre que partiellement la situation pour choisir la stratégie d’action (Amalberti, op. cit.). Dans des situations dynamiques à risque, lorsque le sujet détecte une erreur, son but est alors de maîtriser les conséquences pour éviter l’accident. Pour cela, il doit parvenir à revenir à un état normal ou stabilisé du système, bien qu’il ne puisse pas retourner à un état antérieur du fait de l’évolution de ce système.
Du modèle « Skill-Rule-Knowledge » de Rasmussen à la modélisation de l’activité de gestion d’un environnement dynamique
Le modèle « Skill-Rule-Knowledge » (SRK) de Rasmussen fait partie de ceux qui ont largement influencé la recherche en ergonomie dans les années 80-90. Il a notamment été remis en cause à partir de travaux sur la gestion des environnements dynamiques.
Le modèle de Rasmussen
Selon le modèle « Skill-Rule-Knowledge » (SRK) de Rasmussen (1983, 1986), il existe trois niveaux d’abstraction de la régulation de l’activité en fonction de l’expertise du sujet (Figure 9). Selon ce modèle, plus le sujet est expert plus la régulation de l’activité est automatisée, et moins les ressources cognitives nécessaires (notamment attentionnelles) sont coûteuses. Ainsi, Rasmussen distingue le niveau des connaissances (« Knowledge »), le niveau des règles (« Rule »), et le niveau des automatismes (« Skill »). Les deux premiers niveaux concernent le « traitement de l’information symbolique (concepts et signes, toujours discontinus et renvoyant à des significations), le dernier du traitement de l’information subsymbolique (signaux, souvent continus et traités pour eux-mêmes sans renvoi à des significations) » (Hoc, Amalberti, Cellier, & Grosjean, 2004). Le traitement de l’information symbolique est plus coûteux que celui de l’information subsymbolique car il requiert une interprétation avec un codage se faisant par étape. En revanche il permet les généralisations. A l’inverse, le traitement de l’information subsymbolique est plus économe car il ne nécessite pas d’interprétation profonde. Il n’intervient pas de façon séquentielle, mais en parallèle de l’activité, et permet un traitement continu des rétroactions de l’environnement (Hoc, Amalberti, Cellier, & Grosjean, 2004). Pour simplifier la compréhension, Hoc et al. (2004) proposent de considérer le traitement symbolique comme étant explicite, conscient et réfléchi, et le traitement subsymbolique comme étant implicite, inconscient et spontané (bien que cette vision soit un peu réductrice et que de nombreux contre-exemples existent).
PARTIE 1 : CONTEXTE ET PROBLÉMATIQUES |