Concevoir les espaces d’apprentissage par le design

Construire l’architecture du bonheur : facteurs de stress et de bien-être dans l’espace public

Alors que se dessinent de nouvelles pratiques quotidiennes, la nature de certains espaces tend à se redéfinir afin d’offrir des services plus adaptés aux usagers. Cela se constate sur le terrain notamment par l’attrait soudain des tiers-lieux encourageant le développement de pratiques mixtes au sein d’un même espace. C’est ainsi que des cafés proposent dorénavant des espaces de lecture, accueillent des conférences ou proposent une vitrine pour de l’artisanat. Autant de paramètres qui permettent une fréquentation plus variée et mettent en valeur le caractère hybride de l’espace, capable de s’adapter à des besoins divers. La recherche d’une mixité des services peut également être abordée dans sa dimension sociale. Pour la jeunesse, les « Espaces Jeunes » cherchent à se réinventer en lieux de vie, des espaces pour déployer des conditions d’apprentissage différentes de celles du système scolaire et permettant l’émancipation des jeunes d’un déterminisme social encore bien trop présent (Caillault & Rochas, 2020). La révolution industrielle a marqué un tournant sans précédent dans l’histoire de l’évolution et alors que la production mécanisée apparaît, une nouvelle discipline voit le jour : le design. En travaillant avec les techniciens, les ouvriers et les ingénieurs, son but se caractérise par une démarche et une recherche esthétique au service de l’amélioration de la qualité de vie (Le Pessec, 2013).
A l’image des espaces de détente qui fleurissent dans les entreprises, ayant pour ambition d’améliorer la productivité des employés, les recherches permettant d’établir un lien de corrélation entre l’architecture et le comportement humain ont fait évoluer ces dernières années la manière de concevoir les édifices accueillant du public. Cet intérêt a fait émerger de nouvelles disciplines transversales telles que la neuro-architecture et la psychologie sociale de l’environnement qui prennent en compte les dimensions sociales, affectives et politiques de l’architecture.
Bien avant qu’il soit communément établi que notre cerveau réponde de manière sélective aux lieux, l’architecte visionnaire du XVIIIème siècle Claude Nicolas Ledoux en était déjà convaincu et déclarait que «la qualité du cadre de vie conditionne la pensée et le comportement». Les études réalisées en laboratoire confirment qu’une région de notre cerveau s’active fortement lorsque nous regardons une pièce – le cortex parahippocampique – et qu’ainsi les lieux dans lesquels nous évoluons exercent une influence particulière sur notre comportement et nos attitudes (Epstein & Kanwisher, 1998). Cela rejoint en outre les préoccupations de Sigmund Freud concernant « les projections d’un moi psychique dans le réel environnant » (Fischer, 2011a).

Accompagner une école qui se transforme

A l’image de la micro-société qu’elle représente, l’Ecole aussi doit saisir ce courant afin d’être en cohérence avec ces nouvelles attentes et en ce sens la volonté de l’Etat d’investir dans la construction ou la rénovation d’établissements scolaires permet de saisir l’ampleur accordée à la question de l’espace dans la construction des savoirs et du vivre-ensemble. De leur côté, des pédagogues novateurs tels que Maria Montessori et Célestin et Elise Freinet, avaient déjà attaché beaucoup d’importance à l’aménagement des espaces éducatifs, utilisant le lieu comme un support didactique et considérant que «les enfants ne sont pas que des esprits, ils sont surtout des esprits-corps» (Connac, 2020). L’aménagement de la classe et l’architecture des espaces scolaires n’est pas sans conséquence et est en soi une des manières de concrétiser les promesses de l’Ecole de la République. Configurer un espace revient à œuvrer en faveur de choix éducatifs sous-jacents, et alors que la perception de la pédagogie est sans cesse en évolution, les décisionnaires en charge des projets de construction ou de rénovation devraient travailler cette « école du futur » sur la base de projections (Mazalto, 2017). Il est à noter qu’à ce sujet les comparaisons internationales sont rassurantes pour se projeter en observant les indicateurs de réussite scolaire. Cela offre des pistes de réflexion et même si la pédagogie se construit sur la base d’un système de valeurs culturelles inhérentes à chaque pays il convient d’analyser les choix judicieux notamment mis en place dans les pays scandinaves pour se rendre compte que la France a encore du chemin à parcourir. Pour comprendre comment se caractérise l’architecture scolaire en France et ce qu’elle nous raconte d’un point de vue pédagogique, il convient de regarder quelques siècles auparavant. Depuis le XIXème siècle, les bâtiments scolaires sont caractérisés par des volumes austères et une organisation favorisant l’ordre et la discipline, à l’image de la vision promulguée par Jules Ferry (Musset, 2012). Ce besoin de fonctionnalité au détriment de l’esthétisme et du confort promulgue une image contraignante, digne d’une architecture qui semblerait inspirée du milieu carcéral (Foucault, 1975). Justifié en France par une massification de la scolarisation dès les années 1950 – c’est-à-dire la nécessité d’ouvrir l’Ecole à tous les enfants et les adolescents et de scolariser plus d’élèves pour plus longtemps – (Defresne & Krop, 2016), cet héritage scolaire porte en son sein les marques d’une standardisation architecturale permettant de répondre à un cahier des charges pratique, de respecter des délais de construction pragmatiques afin d’instruire de façon fonctionnelle de grands effectifs. Le courant est alors à la pédagogie transmissive, qui est une méthode qualifiée de frontale et verticale. Héritée de l’enseignement simultané que défendait Jean-Baptiste de la Salle en 1680, cette approche éducative sous-entend un maître souverain du savoir et des élèves ignorants qui le reçoivent (Faillet, 2018). Ce modèle éducatif était loin d’être exemplaire mais il convenait à l’époque au plus grand nombre. Il est évident qu’au XVIIème siècle les processus de construction du savoir dépendaient entièrement de l’école et en ce sens le positionnement était cohérent ; il n’en est de pas de même à l’heure actuelle et d’autant plus depuis l’intégration des outils numériques qui permettent un accès instantané au savoir. L’élève n’est plus dans une posture d’ignorant en attente de recevoir des enseignements, il sait qu’il peut construire des savoirs à tout moment par sa propre initiative et c’est là tout l’intérêt du pédagogue que de susciter le désir d’apprendre et la curiosité, plus encore que de rester dans une relation maître-élève qui implique une simple passation du savoir. L’enseignement ne se caractérise plus par cette démarche et il est temps d’accompagner cette nouvelle école qui se transforme sensiblement en lieu de vie éducatif (Mazalto, 2017).

Dimensions culturelles, politiques et sociales des missions des professeurs- documentalistes

Depuis l’origine, l’ambition d’implanter des centres de ressources documentaires en milieu scolaire se caractérise par un besoin de modernité et d’une nouvelle relation au savoir. En ce sens, on pourrait interpréter l’émergence des CDI comme une forme d’émancipation de la pédagogie simultanée. Les élèves se voient dorénavant offrir un espace où un large panel de ressources est disponible, vérifié en amont, et peuvent s’y rendre au gré de leur curiosité et de leurs besoins d’information. C’est un pallier dans la démarche de pédagogie active au sens où l’élève peut investir pleinement ses qualités d’apprenant autonome et devient alors décisionnaire dans son rapport au savoir.
Les technologies numériques apparaissent comme des agents déterminants de ce changement de paradigme car elles viennent modifier les pratiques des professeurs-documentalistes et implique de nouveaux besoins de formation des élèves. Les professeurs-documentalistes bénéficient désormais d’une informatisation de leur système documentaire, leur simplifiant des tâches de gestion (prêt et retours, notices mutualisées) et leur offrant de nouvelles perspectives éducatives (notamment l’initiation à la recherche documentaire). Depuis 2002, le Plan pour une République numérique dans la Société de l’information place l’école comme l’un des premiers lieux d’apprentissage des nouvelles technologies. Une nouvelle mission d’éducation apparaît alors, qui est de former les élèves à l’usage des théories de l’information et de la communication (TIC), notamment par une alphabétisation numérique et une meilleure appréhension des médias. Il s’agit là d’une mission d’enseignement clé du professeur-documentaliste, qui devient « maître d’œuvre dans l’acquisition pour tous les élèves d’une culture de l’information et des médias » (Circulaire n° 2017-051 relative aux missions des professeurs-documentalistes, 2017). L’éducation aux médias et à l’information (EMI) figure aujourd’hui explicitement dans les programmes de tous les niveaux de l’enseignement scolaire et se travaille aussi bien lors de temps formels d’apprentissage (séances d’EMI dispensés par le professeur-documentaliste) que lors de temps plus informels (recherche et exploitation de ressources documentaires). Ces injonctions, pourtant pragmatiques et essentielles, restent cependant encore détachées de modalités pédagogiques ordonnées et leur cadre de déroulement pratique n’est pas formellement explicite. Le professeur-documentaliste ne dispose en effet pas de créneaux pour en assurer le bon déroulement et doit interpréter sa progression au regard des disciplines sur lesquelles il pourra prendre appui et qui sont amenées à évoluer chaque année. Il s’engage ainsi dans une interdisciplinarité qui l’engage à être créatif et spontané.

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Prise en compte de l’aménagement du CDI dans le développement des apprentissages

Les choix opérés par le professeur-documentaliste dans l’aménagement du CDI ne sont pas sans incidence sur le parcours des élèves. Avant tout, il s’agit de démocratiser la fréquentation de ce lieu qui touche plus généralement un public d’élèves lecteurs, par la mise en valeur d’autres fonctions (salle de travail fonctionnelle, espace multimédia ou encore jeux de société). Cela passe par une présentation nécessaire du CDI dès l’entrée en 6ème afin que chacun puisse imaginer les potentialités qu’il offre en fonction de ses besoins. Le design spatial devrait permettre aux élèves de se projeter dans un climat propice au travail et agréable. Il devrait également lui donner des clés pour renforcer son autonomie et prendre en charge son apprentissage par la mise à disposition de ressources judicieusement organisées dont il sera initié au mode de classement. Bien que certaines variantes seraient parfois à envisager en milieu scolaire, ce mode de classement utilise comme base la classification DEWEY, qui ordonne le savoir en fonction de catégories thématiques. C’est celui que nous trouvons encore traditionnellement dans les bibliothèques et les médiathèques publiques ainsi que dans les bibliothèques universitaires. Initier les élèves à la juste compréhension
de ce classement leur permet donc d’investir un savoir qu’ils pourront réexploiter dans l’espace public et de pouvoir ainsi se repérer à l’extérieur.
Considérant que l’école est parfois le premier (dans certains cas le seul) accès à la culture dont les élèves bénéficient, la mission du professeur-documentaliste de participer à la médiation culturelle et artistique revêt une importance capitale. Le CDI est un lieu propice pour la mise en valeur de l’art et de la culture, que ce soit par le biais d’expositions, d’installations, ou par les ressources qui en constituent son fonds.
Depuis 2018 et la création du Parcours d’éducation artistique et culturelle (PEAC), l’école est engagée à dispenser une formation artistique et culturelle à la fois théorique, pratique et sensorielle (À l’école des arts et de la culture, 2018). Le professeur-documentaliste s’inscrit dans cette démarche et peut la renforcer par une réflexion sur l’espace et le pouvoir de captation de l’attention qu’il peut susciter.

Définition et perspectives pour le professeur-documentaliste

Si aménager des espaces scolaires nécessite inévitablement de saisir les enjeux pédagogiques et les pratiques qui s’y développent, l’espace du CDI représente ce point culminant des pratiques et des recours méthodologiques semblent inévitables tant il y aurait de paramètres à prendre en compte. Comment concevoir l’espace et le rendre suffisamment flexible afin qu’il puisse répondre aux multiples besoins de la communauté éducative, des élèves, mais aussi et pas des moindres, des professeurs-documentalistes eux-mêmes ? A cette question, le Design Thinking semble apporter quelques pistes de réflexion notamment par la manière de penser en amont la restructuration du lieu et par sa méthodologie qui entre tout à fait en adéquation avec les préoccupations intrinsèques à la posture éducative des professeurs-documentalistes.
Le Design Thinking est une démarche issue du design, comme son nom l’indique, et qui s’appuie sur l’expérience utilisateur pour définir des objectifs de restructuration (Ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, 2015). Il est particulièrement préconisé pour la réalisation et l’aménagement des espaces, qu’ils soient privés ou publics et est d’autant plus pertinent à mettre en œuvre lorsque ces espaces sont hétérogènes et exigent la prise en compte de fonctions multiples, les rendant ainsi difficiles à agencer entre eux.
Parce qu’il consiste à imaginer des espaces ou des services par une méthodologie centrée sur l’humain, l’expérience et la créativité (Beudon, 2016), le Design Thinking contribue à meilleure appropriation pédagogique de l’espace et une plus grande prise en compte des usagers. Le Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales (CNRTL), définit la pédagogie comme « l’ensemble des méthodes dont l’objet est d’assurer l’adaptation réciproque d’un contenu de formation et des individus à former ». Si l’on croise cette définition à la fonction de médiateur qu’exerce pleinement le professeur-documentaliste, il va de soi que cette méthode mobilise des dispositions naturelles pour ces professeurs d’un autre genre ; « il s’agit de structurer une démarche déjà à l’œuvre chez les profs-docs » (Delage et al., 2019). La prise en compte de la communauté pédagogique et des élèves est en effet intrinsèque à son travail qui nécessite d’ores et déjà de considérer les pratiques et les besoins des élèves  Boîtes à idées, suggestions d’achats, questionnaires et enquêtes, le professeur-documentaliste déploie une énergie considérable à comprendre son public et à interpréter ses besoins. En dialoguant constamment avec les enseignants de discipline mais également avec la vie scolaire et l’équipe de direction, il se doit de prendre en compte un panel d’usagers variés, et l’hétérogénéité de leurs besoins respectifs. La méthode du Design Thinking estdonc pertinente dans notre cas, mais elle ne consiste pas en soi une nouveauté ; c’est une évidence (Gardair & Hublard, 2017).

Table des matières

Introduction
1. L’architecture au service du bien-être et de la pédagogie 
1.1. Construire l’architecture du bonheur : facteurs de stress et de bien-être dans l’espace public
1.2. Accompagner une école qui se transforme
2. A la croisée des apprentissages : (re)penser l’espace protéiforme du CDI 
2.1. Dimensions culturelles, politiques et sociales des missions des professeurs-documentalistes
2.2. Prise en compte de l’aménagement du CDI dans le développement des apprentissages
3. Restructurer l’espace par l’approche du Design Thinking 
3.1. Définition et perspectives pour le professeur-documentaliste
3.2. Cas pratique de reconstruction d’un CDI : la conception du projet
3.3. Expérimenter l’espace scolaire, en France et à l’étranger
3.4. Enjeux et limites
Conclusion
Références Bibliographiques
Annexes

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