concepts oecuméniques et tentatives de synthèse théorique
D’un point de vue sociopolitique et économique, le début des années 1980 est marqué par la libéralisation des économies aux Etats-Unis (élection de Ronald Reagan en 1980) et en Grande Bretagne (Margaret Thatcher en 1979), sous fond d’internationalisation, de difficultés économiques et de l’émergence d’un Japon menaçant les industries occidentales. Dans ce contexte, on assiste à un resserrement de la notion de performance réduite à une vision actionnariale à court terme, à une remise en question des pratiques de RSE (cf. partie précédente) et à une montée du capitalisme actionnarial comme modèle dominant d’organisation des économies (Albert, 1991). Si cette phase est marquée par la conversion des entreprises à la qualité totale, la diffusion de la qualité sera conditionnée par l’idée, peu acceptée au départ, que la qualité n’est pas une source de coût mais de compétitivité pour les entreprises42. Dans ce contexte, la RSE ne subsiste au sein des entreprises que si elle constitue un élément structurant de leur activité, voire de leur identité. Il s’agit souvent d’entreprises – Ben & Jerries, The Body Shop, etc. – que l’on peut qualifier d’organisations « missionnaires », c’est-à-dire d’organisations qui, à l’image des ONG, sont cimentées par des valeurs communes et dont les fonctionnements individuels sont largement structurés par l’identification à la mission de l’organisation (Mintzberg, 1982). La RSE subsiste aussi sous la forme de crises médiatiques, impliquant des groupes activistes (ONG) et mettant en cause l’irresponsabilité des dirigeants des grandes firmes multinationales et les abus et dérives écologiques et sociales du capitalisme libéral : Nestlé et les laits infantiles en Afrique à la fin des années 1970, Union Carbide Bhopal en 1984 (Shrivastava, 1987), Shell et la plateforme du Brent Spar en 1995, etc. Au sein des grandes entreprises, c’est une approche plus individuelle de l’éthique du manager qui succèdera, dans les années 80, à l’idée de responsabilité sociale de l’entreprise qui avait gagné dans la décennie précédente.
Cette période de repli des pratiques d’entreprises se traduit, dans le champ académique, par des efforts de consolidation des positions acquises, le souci de développer une vision synthétique des dynamiques de recherche et d’affirmer le domaine Business and Society comme un champ ou une discipline désormais légitime et autonome (Cheit, 1991). Le champ se posant la question de son identité vis-à-vis des autres disciplines du management (Post, 1991), d’importants travaux, au cours de cette période constituent des tentatives de réorientations et de réunification d’approches qui semblaient de plus en plus éloignées. Simultanément, il s’agit de ré-ancrer le concept de Responsabilité Sociale de l’Entreprise dans les cadres de la stratégie, au moment où les pratiques d’entreprises sont mises à mal par des évolutions sociopolitiques et économiques défavorables. La notion de stakeholder va constituer un deuxième candidat au statut de concept fédérateur (B). Du fait de sa dimension managériale mais aussi de sa portée conceptuelle et théorique, le concept de stakeholder va constituer la deuxième avancée théorique marquante de la période. Au cours de cette période, on observe une importante dissociation entre les dynamiques théoriques et les pratiques d’entreprise. Ainsi, les concepts de stakeholder et de Corporate Social Performance, qui vont venir renforcer la dimension théorique du champ, vont se développer dans un contexte institutionnel peu favorable aux pratiques d’entreprises.
La Performance Sociétale de l’Entreprise (Corporate Social Performance)
En consultant les articles les plus significatifs sur la notion de Corporate Social Performance (Carroll, 1979; Wartick et Cochran, 1985; Carroll, 1991; Wood, 1991a; Swanson, 1995; Carroll, 1999; Swanson, 1999), il est étonnant de constater que ces travaux ne sont pas consacrés à interroger la notion de « performance », à sa transposition au champ de la Responsabilité Sociale ou à la définition de nouveaux critères de performance intégrant des dimensions sociales et environnementales. La contribution de ces auteurs est d’une autre nature, et se comprend plutôt comme un effort de fédération et de mise en cohérence d’approches hétérogènes. Ainsi, Carroll (1979) définit la Performance Sociale de l’Entreprise comme renvoyant à un ensemble de trois dimensions : les principes de Responsabilité Sociale adoptés par l’entreprise (il renvoie ainsi aux premiers débats sur la responsabilité sociale de l’entreprise), les modes de réponses et processus de déploiement (on retrouve ici la deuxième vague de recherches autour de la notion de Responsiveness), et l’ensemble des « enjeux sociaux » (Social Issues) auxquels l’entreprise est confrontée. La logique des autres travaux est relativement proche, présentant la performance sociale de l’entreprise comme un ensemble de principes, de processus et de résultats (Wood, 1991a; Swanson, 1995), dans une volonté similaire de synthèse et d’intégration théorique.