Contexte énergétique à l’échelle de la ville
Dans un réseau de distribution de chaleur, l’énergie thermique peut être transportée sur plusieurs kilomètres. Comme illustré sur la Figure 5, le réseau comprend au moins deux canalisations. Une (en rouge) permet la distribution de la chaleur vers les consommateurs, l’autre (en bleu) constitue le retour du fluide refroidi vers les unités de production. Le fluide est distribué dans les réseaux à des pressions allant de 5 à 15 bars. Les températures du réseau peuvent être variables, dépendant des sources de chaleur et du profil de la demande. L’unité de production thermique et le réseau de distribution sont du côté primaire, tandis que les utilisateurs finaux sont du côté secondaire. Le réseau de distribution secondaire assure la répartition de la chaleur entre les différents bâtiments/consommateurs. La limite entre les côtés primaire et secondaire est matérialisée par l’échangeur de chaleur de chaque sous-station (Figure 6). Les réseaux de chaleur et de froid urbains sont généralement considérés comme un moyen pratique, économique et écologique pour fournir (ou extraire) de la chaleur à l’échelle d’un quartier ou d’une ville. La prestation apportée par un réseau de chaleur (chauffage et ECS) correspond aux 3/4 de la totalité des besoins énergétiques d’un logement moyen. Même si cette part est en baisse, notamment par rapport à une diminution globale des besoins énergétiques liée aux nouvelles réglementations sur la thermique des bâtiments, elle reste significative [5].
Contrairement au système de chauffage individuel, la majorité des réseaux de chaleur sont multi‐énergies. Ils sont capables de mobiliser plusieurs sources : énergies renouvelables (biomasse, géothermie, solaire), énergies de récupération (chaleur issue des procédés industriels, biogaz, data centers, eaux usées…) et énergies fossiles (gaz naturel, charbon et fiouls) [9]. Le gaz reste la principale source d’énergie des RCU, comme l’indique la Figure 7. Les énergies renouvelables, en hausse, représentent près du tiers de la consommation primaire des réseaux de chaleur. Les réseaux de chaleur permettent donc un usage plus efficace des ressources énergétiques, contribuant à une atténuation des émissions de gaz à effet de serre. De plus, des synergies énergétiques sont possibles si on considère à la fois l’environnement industriel et urbain. Par exemple, l’efficacité énergétique des systèmes de cogénération (CHP) peut être accrue s’ils sont connectés à un réseau urbain.
Intégration énergétique : Méthodes « graphiques » L’analyse exergétique permet de hiérarchiser les sources de pertes de chaleur et de structurer l’utilisation de l’énergie, notamment via des systèmes de conversion thermodynamiques. La définition de l’exergie découle de l’association du premier et du deuxième principe de la thermodynamique. L’exergie correspond à la part maximale d’énergie qui peut être transformée en travail par rapport à un référentiel de température. La destruction de l’exergie est donc à minimiser, car cela correspond à une dégradation de la qualité d’une quantité énergétique. La méthode du pincement dérive également du deuxième principe de la thermodynamique. Elle permet de traiter les phénomènes de transfert thermique en hiérarchisant l’utilisation de la chaleur. Il s’agit d’une méthode graphique, permettant de visualiser rapidement les flux d’un site industriel, les opportunités de récupération d’énergie et les synergies. Une fois les flux de chaleur identifiés, la méthode du pincement permet de définir l’Énergie Minimale Requise (EMR) qui est la quantité minimale d’énergie chaude et froide que doivent fournir les utilités si tout le potentiel de récupération d’énergie interne au procédé a été valorisé.
Cependant, l’utilisation de la méthode de pincement n’est pas adaptée pour répondre aux problématiques à l’échelle territoriale car elle ne considère pas un réseau qui transport l’énergie d’un site à un autre. L’intégration des réseaux urbains est primordiale afin de rendre faisables les différents échanges entre sites. Pour l’intégration énergétique à l’échelle d’un territoire industriel la méthode la plus répandue est la TSA (Total Site Analysis). La ‘Total Site Analysis’, commence par une analyse dérivée de la méthode du pincement. Les grandes courbes composites de chaque site sont construites. Les puits représentent les régions en déficit énergétique, et les sources celles qui ont un excès. Ainsi un réseau, qui collecte la chaleur excédentaire de la source pour la fournir aux puits, peut être conçu. Quand l’analyse vise l’évaluation de l’intérêt combiné des réseaux ainsi que les possibilités ouvertes par des systèmes de conversion de l’énergie, il est nécessaire de faire appel simultanément aux méthodes d’intégration énergétique (TSA) et à l’analyse exergétique. Cet objectif peut être atteint avec les deux méthodes mentionnées mais leur extension pour couvrir d’autres aspects opérationnels et géographiques sera limitée avec la TSA qui reste graphique. L’utilisation de la programmation mathématique permet, en plus des autres aspects, d’introduire plus aisément les aspects temporels qui ne peuvent pas être pris en compte graphiquement. L’approche mathématique permettra de formuler un modèle qui donnera la solution optimale pour les échelles étudiées et pour différents critères économique et énergétique en une même étape.
Optimisation des réseaux de chaleur – échelle urbaine
Le problème de l’optimisation des réseaux de chaleur consiste à déterminer, selon un scénario de demande énergétique donné, des combinaisons d’équipements et de leur mode de fonctionnement qui minimisent une certaine fonction de coût, tout en satisfaisant des contraintes. Les méthodes de programmation mathématique traitant l’intégration énergétique des réseaux de chaleur sont nombreuses. Les méthodes directes comprennent les modèles linéaires (LP) avec des contraintes et une fonction objectif linéaires, les modèles non linéaires (NLP) et les modèles mixtes, avec des variables continues et des variables binaires (MILP et MINLP). Des méthodes méta-heuristiques telles que les algorithmes génétiques (GA) sont également utilisées [24] , [25] , [26] . La littérature sur les systèmes énergétiques est très riche. Elle est amplifiée, en particulier au cours de la dernière décennie, et différents outils tels que la programmation mathématique ou les approches de simulation ont été utilisées pour la conception et opération des systèmes, à long terme et à court terme. Non seulement les outils et méthodes appliqués, mais aussi différents domaines d’étude (du bâtiment au quartier) ont été présentés dans les études. Les différentes technologies, centralisées ou décentralisées, de production ont ainsi été étudiées. Outre la partie production, le réseau lui-même, ainsi que la demande et l’impact environnemental des moyens, doivent être pris en compte pour une optimisation simultanée.
Différentes études mettent l’accent sur des indicateurs économiques afin de concevoir des systèmes énergétiques. Les modèles sont mono ou multi-objectifs, en linéaire ou en non-linéaire, et considèrent diverses contraintes et conditions aux limites. Une revue de littérature a été réalisée afin d’étudier les approches d’optimisation existantes pour les RCU. Les articles les plus pertinents par rapport à la problématique traitée sont énoncés ci-dessous. Ceci permet d’identifier les avantages de ces approches, leur domaine d’applicabilité et leur capacité de proposer une optimisation systématique de l’architecture du RCU tout en répondant à notre objectif. D’abord sont présentés les articles traitant des problèmes mono-objectifs : les approches en statique et ensuite les approches en dynamique. Selon [27] 51% des modèles sont statiques, avec une tendance vers les modèles de désagrégation temporelle. Les modèles multipériodes varient entre des résolutions horaires, mensuelles et annuelles. Puis, des exemples des approches multi-objectifs sont illustrés. La notion des incertitudes est enfin évoquée. Il est souligné que seuls les modèles concernant la conception optimisée des réseaux sont explorés. Les modèles relatifs à la simulation et au contrôle du réseau ne sont pas abordés ci-dessous.
Approches statiques
Papoulias et Grossmann [28] ont réalisé l’optimisation des réseaux d’échangeurs de chaleur reliant différents systèmes énergétiques, en utilisant une formulation MILP. Beaucoup de travaux sont basés sur leur approche. Une discrétisation au niveau de la température de chaque flux considéré est effectuée. Cependant, cette méthode ne prend pas en compte l’existence d’un réseau pour les échanges de chaleur. Lorsque l’on considère l’échelle territoriale, plusieurs travaux permettent d’optimiser le RCU. Farhat [29] par exemple, propose une méthodologie linéaire pour l’intégration énergétique à l’échelle territoriale, en intégrant énergétiquement des sites industriels. Cette méthodologie permet de concevoir le schéma d’intégration énergétique en minimisant les coûts d’investissement et d’exploitation. Néanmoins, il ne peut gérer que les topologies de réseau linéaires en bitube. Fang et al., [30] ont également travaillé sur l’optimisation des coûts d’un RCU en termes de production et de distribution de la chaleur. La température d’alimentation est optimisée à l’aide d’un algorithme génétique, en tenant compte de la production décentralisée. La méthode est itérative et les coûts de production sont indépendants des températures du réseau. Mertz et al. [31] ont également travaillé sur l’optimisation du réseau et des unités de production de chaleur d’un RCU. Un algorithme non linéaire mixte, en variables continues et entières, prend en compte les pertes de chaleur et les pertes de charge dans le réseau afin de minimiser les coûts totaux. Leur approche peut également prendre en compte les connexions en cascade entre les clients. Cependant, les coûts de production et l’efficacité ne sont pas liés à la température du réseau, ce qui ne garantit pas une conception optimale pour les systèmes thermodynamiques. Aucune des approches énoncées ci-dessus ne tient compte de l’échelle temporelle. Cependant, considérer la fluctuation des flux dans le temps, que ce soit pour du chauffage ou pour du refroidissement, au niveau de la production et / ou de la demande, revêt une grande importance pour les réseaux urbains. Les solveurs commercialisés étant devenus plus puissants et efficaces, plusieurs applications concernant l’optimisation de la conception des systèmes de production d’énergie en multi-période ont été publiées.
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