Compréhension du rôle morphogénétique de l’apoptose et de son évolution
Différentes morts cellulaires chez les métazoaires
La nomenclature définie par le comité sur la mort cellulaire (NCCD)
Historiquement, les morts cellulaires les plus communes, intervenant au cours de processus divers tels que l’embryogenèse, la métamorphose ou le maintien homéostatique des organes sont les type-I (apoptose), -II (autophagie) et -III (nécrose) bien décrits morphologiquement. Cependant, le NCCD ayant choisi de privilégier les critères moléculaires aux dépens des critères morphologiques, la classification en trois types a été abandonnée. C’est préférentiellement à partir de critères moléculaires que les morts cellulaires sont aujourd’hui décrites et catégorisées, conduisant à une expansion de leur nombre avec le temps (Kroemer et al.,2009 ; Galluzzi et al., 2018). Le dernier NCCD (Galluzzi et al., 2018) propose 12 types de morts cellulaires illustrant une certaine diversité (Figure 3), intégrant par exemple la pyroptose*, la catastrophe mitotique* ou encore la ferroptose* (*cf. page 23). L’importance relative donnée aux critères moléculaires (passant les aspects morphologiques en second plan) (Galluzzi et al., 2018) pose un problème majeur car les synthèses effectuées par le NCCD prennent essentiellement en compte les mammifères, et ne peuvent donc se généraliser à l’échelle des métazoaires. Cela soit parce qu’une mort cellulaire n’est observée que chez les mammifères (mais a-t-on réellement étudié chez d’autres groupes?), soit parce que seules les voies moléculaires de ces derniers sont utilisées en guise de définition (des modèles historiques comme Caenorhabditis elegans ou Drosophila melanogaster (Meigen, 1830) étant de moins en moins cités). Parmi les types de morts cellulaires, l’apoptose est aujourd’hui divisée en deux types (NCCD-2018), à savoir, l’apoptose intrinsèque et l’apoptose extrinsèque, chacune ayant des caractéristiques moléculaires propres mais aussi communes. De plus, elles présentent les mêmes caractéristiques morphologiques (Kerr et al., 1972). Par ailleurs, cette définition est trop restrictive, car focalisée sur les apoptoses observées chez les mammifères. Elle nécessite probablement une révision à la lumière des données existantes dans d’autres modèles biologiques. En revanche, la définition historique (morphologique) présente l’avantage indéniable de s’appliquer à tous les métazoaires, et permet donc une harmonisation lorsque l’on s’intéresse à des modèles non mammaliens. 22 Figure 3: Représentation de l’ensemble des morts cellulaires définies par le NCCD-2018. Elle est uniquement basée sur l’étude des cellules de mammifères. Un ensemble de perturbations intra- ou extra-cellulaires peut activer plusieurs voies de régulation menant à une mort cellulaire. Une inter-connectivité entre les morts cellulaires régulées (RCD – Regulated Cell Death) existe au niveau moléculaire, mais il y a également des caractères morphologiques partagés. Les types de RCD peuvent ressembler davantage à de l’apoptose ou bien à de la nécrose. *pyroptosis : mort cellulaire issue de la réponse immunitaire lors de perturbations de l’homéostasie intra- ou extracellulaire suite à la présence de pathogènes. *catastrophe mitotique : mort cellulaire issue de mitose avortée ou mal régulée entraînant une accumulation de dommages au niveau de l’ADN. *ferroptose : mort cellulaire issue de péroxidation des lipides induite par un stress oxydatif via les ROS.
L’apoptose, une mort cellulaire bien caractérisée
L’apoptose est définie par des critères morphologiques d’une part (Kerr et al., 1972 ; Elmore et al., 2007) et des critères moléculaires d’autre part (Meier et al., 2000 ; Hangartner, 2000 ; Galluzi et al., 2018). D’un point de vue morphologique (Figure 4), les observations au microscope électronique montrent que la première étape est la perte d’adhésion entre la cellule apoptotique et les cellules adjacentes. L’exposition sur la face externe de la membrane plasmique de la phosphatidylsérine, un phospholipide normalement localisé sur la face intra-cellulaire de cette dernière, est ensuite observée. La cellule diminue également en taille en lien avec à une contraction du cytoplasme. On observe ensuite une condensation de la chromatine (pycnose), suivie d’un « bouillonnement membranaire » (plasma membrane blebbing). Ce bouillonnement conduit à la formation de corps apoptotiques couplée à un maintien de l’intégrité de la membrane plasmique au cours du processus ; il n’y a donc pas de déversement du contenu cellulaire dans le milieu extérieur (par opposition à la nécrose). La fragmentation de l’ADN survient ensuite (clivages inter-nucléosomal aboutissant à la formation de fragments de 150 à 200 paires de bases), puis enfin, les corps apoptotiques sont phagocytés (ou engouffrés, anglicisme de engoulfed) par les cellules adjacentes et/ou par les cellules du système immunitaire. Figure 4: Progression des étapes de l’apoptose au cours du temps (de A vers C). Lorsqu’une cellule (A) entre en apoptose, la première étape est une perte d’adhésion suivie par une condensation de la chromatine. Le bouillonnement membranaire provoquera par la suite la formation de corps apoptotiques (C). La fragmentation de l’ADN est considérée comme l’étape de non-retour de la mort cellulaire. Au niveau moléculaire, l’ensemble des caractéristiques morphologiques de l’apoptose dépend de l’activité d’une famille multigénique de protéases, les caspases (cysteine-dependent aspartate-directed proteases). Les caspases sont au centre de toutes les voies de signalisation apoptotique et interviennent aussi bien au début qu’à la fin de la régulation. Deux voies de signalisation sont décrites (NCCD, 2015, 2018), qu’il importe de présenter ici succinctement car faisant partie intégrante de la définition moderne de l’apoptose (présentées en détail page 63). Il s’agit de l’apoptose extrinsèque (ou voie de régulation extrinsèque = voie des récepteurs de mort) et l’apoptose intrinsèque (ou voie de régulation intrinsèque = voie mitochondriale). A partir des nombreuses revues sur l’apoptose il est possible de résumer ces deux voies de signalisation (Cohen, 1997 ; Hengartner, 2000 ; Meier et al., 2000 ; Reed, 2000 ; Fan et al., 2005 ; Fuchs & Steller, 2015). L’apoptose extrinsèque est activée par des facteurs externes à la cellule suite à la perturbation de son environnement extracellulaire. Elle fait intervenir deux types de récepteurs membranaires : les récepteurs de mort (i.e. CD95 = FAS) et les récepteurs de dépendance (dependence receptors). Chez les mammifères, l’interaction entre les récepteurs de mort et leurs ligands permet le recrutement de la protéine FADD (Fas-Associated Death Domain) et conduit à la formation d’un complexe, le DISC (Death-Inducing Signaling Complex). Cette plateforme protéique recrutera puis activera les pro-caspases-8 et/ou -10 (caspases spécifiques de cette voie de signalisation). Ces caspases initiatrices (car situées en amont de la voie de signalisation) activeront à leur tour la caspase 3, caspase exécutrice (car en aval de la voie de signalisation), et dont l’activation sera à l’origine de tous les critères morphologiques de l’apoptose. L’apoptose intrinsèque peut être initiée par des perturbations aussi bien externes qu’internes à la cellule. Cette voie est définie par une modification du potentiel de membrane de la mitochondrie (sous le contrôle de gènes de la famille Bcl-2 (B-Cell Lymphoma 2) qui conduit au relargage du cytochrome c dans le cytoplasme. Ce dernier formera, avec la protéine Apaf-1 (Apoptotic peptidase activating factor 1), un complexe protéique appelé apoptosome, qui recrutera et activera la procaspase 9 (la caspase initiatrice spécifique de cette voie de signalisation). Enfin, cette dernière activera, elle aussi, la caspase exécutrice 3. Ces définitions morphologiques et moléculaires permettent donc 1) de reconnaître une cellule en apoptose, grâce à des caractéristiques propres et identifiables chez tous les organismes, et 2) de savoir de quel type d’apoptose il s’agit en fonction des caractéristiques moléculaires observées. Cependant, concernant les voies moléculaires, elles sont basées sur les données issues des vertébrés. On comprend là le problème : il est impossible de généraliser ces définitions à d’autres groupes. Le fait que les relations d’orthologies des gènes impliqués dans la machinerie apoptotique entre les métazoaires ne soient pas connues implique qu’une comparaison des caractéristiques moléculaires est pour le moment difficile. En revanche, les critères morphologiques sont les seules caractéristiques comparables entre les métazoaires, puisque les voies de signalisation sont trop peu connues hors des modèles classiques. Pour ces raisons, je vais considérer l’apoptose d’abord d’un point de vue morphologique, ce qui permet d’appliquer une définition à l’ensemble des animaux.
RÔLES CLASSIQUES DE L’APOPTOSE
La mort cellulaire par apoptose a été observée à l’échelle des métazoaires, où elle est décrite comme un mécanisme d’élimination de cellules et possède donc un rôle destructif que j’appellerai par la suite la fonction destructrice de l’apoptose (FDA). Cette vision possède des bases historiques car elle provient des données accumulées depuis le début du 20ème siècle sur la mort cellulaire au cours de différents processus morphogénétiques tels que l’embryogenèse, la métamorphose ou encore le maintien homéostatique des tissus. Afin d’illustrer mon propos, je vais prendre quelques exemples caractérisant chacun de ces processus. Pour l’embryogenèse, la digitation chez les vertébrés tétrapodes est un cas particulièrement éclairant car il illustre l’importance fondamentale de l’apoptose sans laquelle la séparation des doigts est impossible. L’exemple de Caenorhabditis elegans constitue un cas historique, chez lequel la machinerie apoptotique a été pour la première fois caractérisée. Concernant la métamorphose, le xénope illustre bien le rôle de l’apoptose dans la destruction de tissus larvaires, mais aussi dans la transformation de tissus restant lors du passage du stade têtard au stade adulte. Je présenterai également la métamorphose chez les insectes en me basant sur les papillons, modèle historique de Lockshin & Williams (1964-1965), ainsi que la drosophile. Enfin, le maintien homéostatique des tissus sera présenté à travers l’exemple de la régulation de la taille des gonades chez les rongeurs. En effet, l’apoptose intervient tout au long de la vie de l’animal et participe aux capacités de reproduction et sa régulation qui est influencée par des facteurs environnementaux.
Embryogenèse
La mort cellulaire par apoptose est fondamentale dans les processus de développement car elle permet le bon déroulement de la formation des tissus et des différentes parties de l’organisme (Meier et al., 2000). Elle a été observée chez plusieurs groupes de métazoaires, comme 26 les vertébrés, les échinodermes, les ecdysozoaires ou encore les cnidaires (Jacobson et al., 1997 ; Seipp et al., 2001 ; Thurber & Epel, 2007). Elle semble nécessaire pour le développement de tous les métazoaires puisque, à l’exception de Caenorhabditis elegans, l’inhibition de l’apoptose entraine un développement avorté. Chez C. elegans, l’inhibition donne un individu viable mais stérile (les vers ont alors environ 15 % de cellules supplémentaires à la normale) (Ellis et al., 1991 ; Jacobson et al., 1997). Classiquement, l’apoptose régule le nombre de cellules au cours du développement en éliminant celles qui sont surnuméraires, notamment dans le cas de surproduction cellulaire au cours du développement du système nerveux central chez les mammifères (Jacobson et al., 1997 ; Meier et al., 2000 ; Yuan & Yankner, 2000). Les nombreux travaux sur le rôle de l’apoptose au cours du développement ont largement contribué à l’idée, communément acceptée, que l’apoptose sculpte le vivant, comme le présente Jean Claude Ameisen dans l’ouvrage « La sculpture du vivant » (2000). Cette idée prend tout son sens lorsque l’on regarde la digitation où l’apoptose « sculpte » le membre en éliminant des cellules pour individualiser les doigts.
L’exemple de la digitation chez les vertébrés tétrapodes
L’apoptose est indispensable dans la formation des doigts et fait partie intégrante du processus de digitation. La digitation consiste en la suppression des tissus interdigitaux par mort cellulaire (Figure 5), ce qui permet ensuite l’individualisation des doigts (Wood et al., 2000 ; Martinez & Covarrubias., 2011 ; Lorda-diaz et al., 2015). Par conséquent, sans l’élimination de ces tissus, il ne peut y avoir un développement normal des membres (autopodes). La digitation est bien documentée au cours de l’embryogenèse de la souris Mus musculus (Linnaeus, 1758) (Therapsida Mammalia Eutheria) et du poulet (Archosauria Dinosauria Saurischia (Jacobson et al., 1997 ; Hernández-Martínez et al., 2009). L’apoptose a été mise en évidence par microscopie électronique, permettant d’observer notamment la formation des corps apoptotiques (Gavrieli et al., 1992) (Figure 6.A). Des marquages TUNEL (Terminal transferase-mediated dUTP nick end labelling) qui permettent de mettre en évidence la fragmentation de l’ADN et la détection de l’activation de la caspase 3 ont confirmé la mort des cellules par apoptose (Figure 6.B) (Lorda Diez et al., 2015). L’ensemble de ses éléments indique clairement que l’apoptose est la mort cellulaire prépondérante qui intervient dans la digitation (Hernández-Martínez et al., 2009). 27 Figure 5: Images de membres postérieurs de souris réalisées au microscope électronique à balayage. (A), au stade E12.5 les crêtes (ridges ; flèches) sont visibles, ainsi que les tissus interdigitaux entre elles. (B), 24 heures plus tard (E13.5) les tissus interdigitaux commencent à régresser. (C), la régression est quasiment complète (E15.5) et les doigts sont libres. Barre d’échelle, 500 µm. Modifiée d’après Wood et al., 2000. Lors de la formation des doigts, le squelette mésodermique (composé par les phalanges) se développe de façon concomitante avec l’ectoderme qui le recouvre. Les tissus interdigitaux stoppent leurs proliférations lorsque la régression de l’AER (Apical Ectodermal Ridge) commence. L’apoptose est ensuite provoquée par la présence d’acide rétinoïque, provenant de la partie proximale du membre, couplée à l’inhibition du facteur de survie Fgf8 par Bmp2/4 au niveau distal (Figure 6.C) (Hernández-Martínez et al., 2009 ; Martinez & Covarrubias, 2011). L’apoptose est initiée par les deux voies de signalisation décrites précédemment, intrinsèque (intervention de la caspase 9) et extrinsèque (intervention de la caspase 8). L’intervention de la voie intrinsèque est également confirmée par la présence de membre de la famille Bcl-2 dont l’anti-apoptotique Bcl-xl exprimé dans les futurs doigts (zone sans apoptose), et les pro-apoptotiques Bax et Bak qui sont exprimés dans la partie distale du membre (zone avec apoptose) (Lindsten et al., 2000). L’importance de l’apoptose dans la digitation a été confirmée par des approches de pertes de fonctions. Les expériences où l’apoptose est inhibée en interférant sur les différentes voies de régulations (Bmp, Fgf, Ra) montrent des malformations et de la syndactylie en raison de l’absence de séparations interdigitales (Pajni-Underwood et al., 2007 ; Martinez & Covarrubias., 2011). Il a notamment été montré que les souris mutantes pour les récepteurs BMP (Bmpr) présentaient une régression des tissus interdigitaux moins importante que chez les types sauvages, les souris mutantes montrant une morphologie de type « pattes palmées ». De manière intéressante, les animaux à pattes palmées présentent moins d’apoptose interdigitale, et le taux de palmure des membres chez les oiseaux est corrélé à la présence d’apoptose (Ganan et al., 1998). Chez la souris, des malformations plus importantes ont été observées, comme la fusion de doigts ou encore des doigts surnuméraires ( Ota et al., 2007 ; Martinez & Covarrubias., 2011). 28 A B C Figure 6: Intervention de l’apoptose dans l’élimination des tissus interdigitaux au cours de l’embryogenèse de la souris. A, image réalisée au microscope électronique à transmission montrant un macrophage (flèche) contenant des corps apoptotiques. Barre d’échelle, 10 µm. Modifiée d’après Wood et al., 2000. B, activation de la caspase 3 révélée par immunomarquage (vert) dans les tissus interdigitaux des doigts III et IV. La caspase 3 est l’une des caspases impliquée dans l’exécution de l’apoptose. Modifiée d’après Lorda diez et al., 2015. C, voies moléculaires régulant l’apoptose entre les doigts (bleu clair). La présence au niveau de l’ectoderme distal du facteur de survie Fgf8 (violet) bloque l’apoptose. Ensuite, l’inhibition de Fgf8 par Bmp2/4 (vert) couplée à la présence d’acide rétinoïque (RA – rouge), facteur proapoptotique, en zone proximale déclenche la régression interdigitale. Modifiée d’après Martinez & Covarrubias, 2011.
Le développement de Caenorhabditis elegans
C’est chez le nématode que la régulation moléculaire de l’apoptose a été décrite pour la première fois, par l’identification de l’ensemble des gènes impliqués dans la machinerie apoptotique. Ce vers est un excellent modèle pour étudier l’apoptose notamment parce que le lignage cellulaire au cours du développement est bien caractérisé, permettant un suivi spatiotemporel des cellules en apoptose au cours du développement (Horvitz et al., 1982 ; Meier et al., 2000 ; Conradt & Xue, 2005). La transparence de l’animal permet également de suivre le destin de chaque cellule (Figure 7) (Sulston & Horvitz, 1977). Le nombre de cellules éliminées par apoptose (elles présentent les caractéristiques décrites par Kerr et al., 1972) est constant. En effet, sur 1090 cellules produites lors de l’embryogenèse d’un individu hermaphrodite, 131 cellules (toujours les mêmes et au même moment) sont éliminées par apoptose, conduisant à un adulte composé de 959 cellules (Oberst et al., 2008 ; Ellis & Horvitz, 1986). La majorité de la mort cellulaire a lieu entre 5h et 9h post-fécondation et concerne des neurones, notamment les cellules nerveuses de la partie 29 antérieure et postérieure du cordon nerveux (Sulston et Horvitz 1977) (Figure 8). Lors de l’éclosion, 12h après fécondation, il ne reste aucune trace des cellules éliminées par apoptose durant le développement, car elles ont été engouffrées par les cellules voisines. Par ailleurs, des cellules spécifiques du sexe entrent également en apoptose, suivant si l’embryon est un individu mâle ou hermaphrodite (Sulston & Horvitz, 1977). Figure 7: Caenorhabditis elegans, individu hermaphrodite en vue latérale au microscope à contraste interférentiel. La transparence de l’animal permet un suivi des cellules au cours du développement. Modifiée d’après Sulston & Horvitz, 1977. Les facilités offertes par ce modèle, de par sa transparence, ont permis d’observer facilement l’effet des pertes de fonctions effectuées sur certains gènes (Ellis et al., 1991). C’est ainsi que Horvitz, Sulston et Brenner ont pu caractériser la voie de signalisation apoptotique chez cette espèce (Sulston, 2003). Pour cela, ils ont utilisé le mutant ced-1 qui présente un défaut d’engouffrement, ce qui a permis un suivi des cellules en apoptose durant le développement au-delà de leurs disparitions « programmées » (Hedgecock et al., 1983). Les cellules apoptotiques n’étant pas engouffrées, elles restent en place au cours du développement avec une morphologie ronde facilement reconnaissable (Figure 8). Au cours des cribles de mutants, l’observation de ces cellules dont la morphologie est caractéristique a permis de déduire aisément si le gène cible muté était impliqué ou non dans la machinerie apoptotique. En gain de fonction, si la mutation génère plus de cellules arrondies, c’est un gène pro-apoptotique qui est muté et inversement c’est un gène antiapoptotique si il y en a moins. L’interprétation est inverse en perte de fonction. Ainsi, trois gènes principaux ont pu être identifiés dans la régulation de l’apoptose, ced-3 -4 et -9. La protéine Ced-9, anti-apoptotique, est considérée comme analogue des protéines Bcl-2 de mammifères. C’est un 30 inhibiteur de Ced-4, analogue d’Apaf-1. Ced-4 est l’activateur de Ced-3, qui est l’unique caspase fonctionnelle connue chez le nématode (Ellis & Horvitz, 1986 ; Meier et al., 2000). Sept gènes supplémentaires intervenant dans l’engouffrement des corps apoptotiques ont été identifiés en plus de ced-1, qui sont ced-2, -5, -6, -7, -8 et -10. Figure 8: Embryon de Caenorhabditis elegans vu au microscope à contraste interférentiel. Des cellules en apoptose sont visibles (cellules arrondies – flèches). Modifiée d’après Conradt & Xue, 2005.
Métamorphose
La métamorphose est une étape clé du cycle de vie qui se caractérise par un changement de forme permettant le passage de la forme larvaire à la forme juvénile. Des réarrangements tissulaires majeurs interviennent au cours des métamorphoses, avec des pertes, des maintiens ou la mise en place de nouveaux organes. L’apoptose représente le mécanisme de mort cellulaire le plus couramment observé lors de la métamorphose d’organismes modèles. C’est un mécanisme de destruction des tissus larvaires (Jacobson et al., 1997 ; Meier et al., 2000). L’étude de ce mécanisme s’est fortement concentrée sur les vertébrés et les insectes, raison pour laquelle je prendrai l’exemple de la métamorphose des anoures avec notamment l’élimination de la queue par apoptose chez le têtard (Sachs et al., 1997), ainsi que les exemples des papillons et de la drosophile.
La métamorphose des lissamphibiens anoures
La métamorphose des anoures implique des changements majeurs accompagnés de réarrangements et d’élimination de certains tissus. Les organes et structures typiques de la larve dégénèrent (i.e. queue / branchies) tandis que d’autres se développent (i.e. membres) lors du passage d’une vie aquatique à un adulte terrestre (Figure 9). Les marquages TUNEL et les nombreuses images en microscopie électronique dans la littérature montrent l’intervention d’une mort par apoptose (Ishizuya-Oka & Shuichi Ueda, 1996 ; Nishikawa et al., 1998 ; Accordi & Chimenti, 2001). Cette métamorphose est bien documentée chez la grenouille africaine Xenopus laevis (Daudin, 1802) (Ishizuya-Oka et al., 2010). Nos connaissances concernent également d’autres espèces de grenouilles, notamment Rana pipiens (Schreber, 1782) ou encore Bufo bufo (Laurenti, 1768). L’apoptose chez les anoures (Ishizuya-Oka et al., 2010) intervient dans la destruction des tissus larvaires ainsi que dans la réorganisation de tissus du stade larvaire au stade adulte (Accordi & Chimenti, 2001). Plusieurs organes sont touchés, mais c’est au niveau de la résorption de la queue qu’une apoptose particulièrement massive a été observée (Kerr et al., 1974 ; Sachs et al., 1997). L’ensemble des tissus (épiderme, muscle, derme, notochorde et système nerveux) est éliminé (Estabel et al., 2003 ; Nakajima et al., 2005 ; Ishizuya-Oka et al., 2010). Il en est de même pour les branchies qui disparaissent complètement (Atkinson, 1975 ; Minnich et al., 2002). Le système nerveux central subit de profondes modifications : élargissement et raccourcissement du diencéphale et rétrécissement de la fossa rhomboidale de la médulla. Le système digestif est modifié également (Figure 10), ce qui est en concordance avec le changement de régime alimentaire entre le têtard, herbivore, et l’adulte qui a un régime carnivore (Accordi & Chimenti, 2001). Outre l’intestin, un certain nombre d’organes sont concernés par ces changements majeurs entre larve et adulte et présentent des cellules apoptotiques tels que le pancréas (Figure 11), le thymus, la peau ou encore la rate (Grant et al., 1998 ; Schreiber & Brown, 2003 ; Ishizuya-Oka et al., 2010).
INTRODUCTION |