Compréhension de la dynamique des mouvements de versants
Les grands mouvements de versant rocheux
Les mouvements gravitaires (ou de masse) regroupent les mouvements de sol, de roche ou de neige. Dans le domaine de la géologie et de la géotechnique, ce sont des phénomènes naturels d’origine diverse résultant de la déformation, de la rupture et du déplacement de matériaux rocheux ou de formations au comportement plastique. Considérant l’ensemble de ces mouvements, nous nous concentrons sur les mouvements de versants rocheux de grandes dimensions. Nous en détaillons les mécanismes qui peuvent leur être associés ainsi que les paramètres clefs de leur mise en mouvement.
Typologie et mécanismes associés
Parmi les mouvements gravitaires, le géologue définit les mouvements de terrain (au sens large) comme une manifestation d’instabilité de la partie superficielle de la croûte terrestre, sous l’effet d’influences naturelles (pesanteur, agents de l’érosion, séisme, variations hydriques, etc.) ou anthropiques (exploitation de matériaux, déboisement, terrassement). Ce sont des signes perceptibles de l’évolution géologique toujours en cours. Ils peuvent être lents ou bien rapides en fonction des matériaux impliqués et des mécanismes en jeu : • les mouvements lents entraînent une déformation progressive des terrains. Ils regroupent les tassements, affaissements, retrait-gonflement des argiles, certains glissements de terrain et fauchage. Le comportement des matériaux doit être suffisamment plastique ou visqueux pour que les déformations soient continues ; • les mouvements rapides regroupent les coulées boueuses ou torrentielles, les effondrements, les éboulements en chutes de pierres (volume inférieur à 1 dm3 ) et de blocs (volume supérieur à 1 dm3 ), ou des écroulements et éboulements en masse (volume pouvant atteindre plusieurs millions de m3 ). Ils se caractérisent par une propagation soudaine et brutale de manière discontinue. Nous nous intéresserons ici aux mouvements de versants rocheux de grandes dimensions qui peuvent évoluer en écroulement en masse. Nous délaissons ainsi les mouvements de terrains au comportement plastique et autres éboulements ou effondrements. Ces mouvements de versants se définissent comme des instabilités affectant tout ou une grande partie des versants concernés : les superficies mobilisées peuvent être de l’ordre du kilomètre carré. Ils présentent une grande variété dans leur nature et leur comportement. Ces phénomènes n’évoluent pas régulièrement dans le temps et présentent souvent des phases d’évolution lente alternant avec des phases d’accélération. Ces dernières sont susceptibles de conduire à une rupture brutale qui peut devenir catastrophique. Ainsi ils peuvent être considérés comme mouvements lents et rapides en fonction des cas. Les différents types de mouvements rocheux sont déterminés principalement par leur structure géologique. On peut distinguer trois types de mécanismes apparaissant sur des mouvements rocheux (Antoine, 1992).
Les mouvements à surface de glissement simple
L’existence d’une surface structurale est entièrement liée à l’existence de discontinuités (lithologie, schistosité, failles) issues de l’histoire géologique du massif. Des mécanismes de cisaillement puis de glissement peuvent tour à tour mobiliser ces plans de faiblesse pour créer une enveloppe de rupture. On regroupe dans cette catégorie les mouvements translationnels et rotationnels (Figure I.1). Le site du Claps (Drôme, France) (Couture et al., 1997) illustre le cas typique d’un glissement rocheux sur dalle structurale survenu en 1442 ; le site de la Clapière (Follacci, 1987) fournit – 17 – Chapitre I : La télédétection pour l’investigation des grands mouvements de versants l’exemple d’un cas complexe de mécanisme rotationnel sur des matériaux précédemment fauchés.
Rupture par basculement
Les massifs à anisotropie structurale offrent à l’échelle de versant une homogénéité lithologique affectée d’une anisotropie (schistosité ou foliation). Cette anisotropie crée des surfaces de faiblesse mécanique pénétrantes dans le massif. Le basculement gravitaire de ces structures ainsi formées constitue ce qu’on appelle le fauchage. Selon que les roches adoptent un comportement plastique ou fragile (respectivement Figure I.2a et I.2b), des fractures perpendiculaires aux épaisseurs fauchées apparaissent (Vengeon et al., 1999). Dans le cas de roches fragiles, le fauchage induit l’apparition de nombreuses fissures d’extension et/ou l’ouverture de discontinuités préexistantes.
Les « grands mouvements de versants complexes »
Nous regroupons sous le terme de « grands mouvements de versants complexes » les massifs rocheux dont les déformations empruntent la variété des discontinuités existantes pour se manifester. Si les déformations sont réparties sur l’ensemble du versant, elles ne se font ni uniformément ni avec les mêmes mécanismes à l’échelle du versant. – 18 – Figure I.2 : Expression du fauchage selon (a) la plasticité ou (b) la fragilité de la roche. (d’après Vengeon et al., 1999) Figure I.1 : Exemples de coupes géologiques sur des mouvements rocheux. (a) mouvement translationnel au Claps (Drôme), d’après Couture et al. (1997) ; (b) mouvement complexe (rotationnel sur fauchage ancien) à la Clapière (Alpes Maritimes), d’après Follacci ,1987). Chapitre I : La télédétection pour l’investigation des grands mouvements de versants Plusieurs descriptions associées à de telles manifestations ont été proposées et décrites : • la notion de « tassement dilatance » (Antoine, 1992; Rochet et al., 1994) a été avancée pour expliquer l’absence de surface de rupture nette avec une dilatance horizontale du massif. La description du mécanisme de « tassement dilatance », expliqué par une « rupture interne » du massif, ressemble in fine à une combinaison de mécanismes d’affaissement et de fauchage, les déplacements selon chaque discontinuité créant la dilatance. En effet, même si le terme de « tassement » semble inapproprié (car pas de compaction), cette notion tente de décrire l’absence de surface de ruture nette conjuguée à un avancement planimétrique et une subsidence verticale ; • les « Sackung » (tassement en allemand). Décrits comme des « fluages » profonds, ils se caractérisent par des morphostructures spectaculaires : (1) un graben sommital, (2) des crevasses parallèles à la vallée et (3) des crêtes aux escarpements à contrepentes (Hippolyte et al., 2006; Mahr, 1977; Radbruch-Hall et al., 1976; Savage & Varnes, 1987). Une zone d’extension apparaît près de la crête, une autre en compression en pied de versant alors que la partie médiane montre un écoulement à volume constant (Figure I.3) à l’image de ce qui peut être rencontré dans certains régimes avalancheux. Ils sont initiés par l’action d’autres facteurs (retrait glaciaires, …) La description d’un « Sackung » induit implicitement un comportement visco-plastique des matériaux mobilisés. La fracturation de la roche importe peu sur le comportement global de l’instabilité. Cependant, si une telle description s’avère cohérente d’un point de vue cinématique, l’explication mécanique souffre du comportement cassant des roches en place. De tels comportements dans un massif rocheux (granitique par exemple) ne peuvent exister qu’à des conditions de température et de pression atteintes qu’en grande profondeur, où les mouvements de versant n’ont plus lieu d’être. Ainsi, il n’existe pas à ce jour d’explications franches sur les mécanismes des grands mouvements de versant complexe hormis les descriptions des comportements adoptés. Finalement, les traits caractéristiques de ces manifestations sont (1) une zone d’extension sommitale, (2) une zone de compression en aval où les contraintes semblent s’accumuler et (3) des ouvertures à regard amont reflétant leur grande étendue ainsi que leur complexité.
Les paramètres clefs
Les facteurs régissant l’équilibre des massifs rocheux et des sols sont groupés en trois catégories (Besson, 1996) : • les lois générales de la mécanique, gouvernées par la pesanteur qui agit en permanence sur toute masse. Ce facteur est constant pour un site déterminé, sauf en cas de séisme ; • la loi de comportement du matériau, qui montre que pour tout solide, les déformations sont liées aux contraintes (forces par unité de surface appliquées sur un solide) et à leur variation (sauf dans le cas de comportements visqueux), mais aussi à la température du solide, à sa teneur en eau, et à son vieillissement ; • les conditions qui règnent sur le pourtour du massif instable (dites « conditions aux limites ») : ✗ formes de la surface topographique et de la limite des mouvements en profondeur, qui délimitent le volume instable (conditions aux limites géométriques) ; ✗ ensemble des contraintes sur le pourtour du massif, parmi lesquelles les pressions interstitielles (conditions aux limites hydrauliques) jouent un rôle très important. Ainsi la compréhension des mouvements de versant nécessite l’évaluation de quatre paramètres clefs : • la géométrie : la connaissance de l’extension du massif est primordiale pour en connaître les causes et les évolutions. L’extension géométrique s’entend aussi bien en deux dimensions qu’en profondeur. L’impact d’un mouvement de versant superficiel n’est pas le même que celui d’un mouvement profond. Les autres facteurs géométriques à évaluer se font à partir de la pente : la répartition de la pente, sa direction et sa convexité ; • la cinématique : en deux ou trois dimensions, le suivi cinématique des mouvements rocheux donne des valeurs objectives de déplacements altimétriques et planimétriques. La cinématique de surface renseigne sur les vitesses de déplacement et leur direction. Couplée à la cinématique en profondeur (par inclinométrie), on peut accéder à une vision du champ des vitesses en trois dimensions ; • la morphologie : une analyse de terrain permet de caractériser la lithologie et les structures sur lesquelles les mouvements rocheux s’appuient. Le travail de cartographie des zones instables circonscrit les mouvements ; il fait la liaison entre les données objectives issues du suivi cinématique et les manifestations sur le terrain. Les facteurs morphologiques à étudier sont le zonage lithologique, la composition lithologique précise, le contexte tectonique général, la structure détaillée de la roche et les conditions hydrogéologiques ; • les évènements extérieurs : la connaissance des sollicitations extérieures du massif permet d’en connaître les interactions. Les facteurs extérieurs à évaluer sont principalement la distribution des précipitations (pluie et neige retranchées de l’évapotranspiration) et celle des séismes actuels et anciens. C’est la mesure ponctuelle et dans le temps de l’ensemble de ces facteurs qui est à la base de la détermination et de la connaissance du site étudié. La collecte des informations peut se faire suivant différentes techniques que nous verrons ultérieurement.
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