Composition et dynamique des complexes protéiques impliqués dans le ”nonsense-mediated mRNA decay”
La dégradation cytoplasmique des ARNs
La dégradation des ARNs dans le cytoplasme suit deux voies distinctes (Figure 2). Chez la levure S. cerevisiae, ces deux voies impliquent une première étape commune de déadénylation (Decker and Parker, 1993; Muhlrad and Parker, 1992) par les complexes Pan2/Pan3 et Ccr4/Pop2/Not (Brown and Sachs, 1998; Tucker et al., 2001). Pour la voie majeure de dégradation chez les eucaryotes, la dé-adénylation des ARNs est suivie de l’hydrolyse de la coiffe (décapping) en 5’ par l’hétérodimère Dcp1/Dcp2 et le grignotage de 12 l’ARN de l’extrémité 5’ vers le 3’ par l’exonucléase Xrn1 (Beelman et al., 1996; Couttet et al., 1997; van Dijk et al., 2002; Dunckley and Parker, 1999; Hsu and Stevens, 1993; Muhlrad et al., 1994, 1995; Steiger et al., 2003). Ce mécanisme de dégradation est secondé par la voie de l’exosome cytoplasmique qui permet après dé-adénylation de dégrader les ARNs de l’extrémité 3’ vers le 5’ (Anderson and Parker, 1998) aidée du complexe SKI (Ski2, 3, 8) et de la protéine Ski7. Ces deux voies existent chez tous les eucaryotes et leur importance varie en fonction des espèces. La dégradation des ARNs dans le cytoplasme est le dernier levier de régulation de l’expression des gènes. Le temps de vie d’un ARN varie en fonction des espèces d’ARN, de trois minutes à plus de cent minutes chez la levure S. cerevisiae (Wang et al., 2002). Figure 2 : Voies générales de dégradation des ARNs cytoplasmiques (Adapté de Parker and Sheth, 2007)
Dé-adénylation
La dé-adénylation est le processus permettant la dégradation de la queue poly(A) des ARNs. La queue poly(A) est ajoutée co-transcriptionnellement dans le noyau par une ARN polymérase particulière. Sa taille est homogène au sein d’une espèce mais peut varier entre les espèces, environ 70 adénines pour la levure S. cerevisiae et jusqu’à 250 chez d’autres eucaryotes. Elles sont liées à des protéines de liaison des queues poly(A), les PABPs 13 (Poly(A)-Binding Protein), Pab1 chez S. cerevisiae (Sachs et al., 1986) et PABPC1 chez les métazoaires (Grange et al., 1987). La queue poly(A) et les protéines qui interagissent sur cette partie ont un double rôle dans le métabolisme des ARNs dans le cytoplasme, d’une part elles stabilisent les ARNs et activent l’initiation de la traduction via la formation du complexe de pré-initiation (Figure 4A), d’autre part, elles participent au recrutement des protéines initiant la dé-adénylation (Sachs and Davis, 1989) et donc la dégradation des ARNs. Chez la levure S. cerevisiae, plusieurs complexes protéiques sont impliqués dans l’hydrolyse de la queue poly(A), Pan2/Pan3 (Boeck et al., 1996; Brown et al., 1996) et Ccr4/Pop2/Not (Tucker et al., 2001). Pan2/Pan3 est recruté au niveau de la queue poly(A) via l’interaction de Pan3 avec Pab1 (Siddiqui et al., 2007). L’hydrolyse de la queue poly(A) est catalysée par le domaine exonucléase de Pan2 qui appartient à la famille des RNAses D. Pan3 est la sous-unité régulatrice du complexe. L’activité de Pan2/Pan3 est promue par Pab1 (Boeck et al., 1996), et en condition normale le complexe permet la dégradation de la première partie de la queue poly(A) non liée aux protéines Pab1 (Figure 3B, Yi et al., 2018). Le complexe Ccr4/Pop2/Not est composé de deux sous-unités catalytiques, Ccr4 et Pop2 (CAF1 chez les mammifères, Bianchin et al., 2005; Daugeron et al., 2001; Thore et al., 2003) qui interagissent (Basquin et al., 2012). Les deux protéines ont une activité de déadénylase similaire in vitro mais elles semblent ne pas avoir la même spécificité de substrats au moins chez la levure. En effet, Ccr4 est active pour la dé-adénylation des régions poly(A) riches en PABPs alors que Pop2 permet de dé-adényler les régions pauvres en PABPs (Figure 3A, Webster et al., 2018). Leur action est complémentaire, cependant, chez la levure S. cerevisiae la délétion de CCR4 a plus d’impact que celle de POP2 sur la croissance (Tucker et al., 2002) et indiquerait un rôle moins important pour cette dernière. Le complexe Ccr4/Pop2/Not est recruté au niveau des ARNs par des interactions avec des protéines liant le 3’-UTR, par exemple les protéines de la famille des Puf (Pumilio Family) chez la levure S. cerevisiae (Olivas and Parker, 2000). Chez les mammifères, le complexe Ccr4/Caf1/Not est aussi recruté au niveau d’ARNs précis (Goldstrohm et al., 2006; Stowell et al., 2016; Wahle and Winkler, 2013) pour initier la dé-adénylation rapide dans divers processus biologiques, dont l’embryogenèse, la réponse immunitaire et la prolifération cellulaire (Belloc et al., 2008; Carballo et al., 1998; Subtelny et al., 2014). Les protéines Not1-5, Caf130 et Caf40 sont des cofacteurs pour la dé-adénylation conservées chez les eucaryotes. Not1 est une protéine plateforme (Bai et al., 1999), elle interagit avec Pop2 (Caf1) et d’autres sous-unités Not du 14 complexe (Basquin et al., 2012; Petit et al., 2012). Les sous-unités Not2, Not3 et Not5 de levure activent l’hydrolyse de la coiffe et donc la dégradation des ARNs via une interaction avec le facteur Pat1 (Alhusaini and Coller, 2016). Les autres sous-unités n’ont pas de fonctions définies. La délétion isolée de CCR4 ou de PAN2 entraîne un allongement des queues poly(A) (Boeck et al., 1996; Tucker et al., 2001), ce qui semble montrer une redondance fonctionnelle entre les deux complexes. Cependant, la dé-adénylation complète des ARNs ne peut être assurée que par la combinaison des deux enzymes. Des expériences de pulse-chase pour l’inactivation des deux complexes montrent finalement un mécanisme coopératif, mineur chez la levure (Tucker et al., 2001) et la drosophile et plus important chez l’Homme. Le complexe Pan2/3 agit le premier pour une première phase de dé-adénylation rapide de 90 nucléotides à environ 65 chez la levure (Brown and Sachs, 1998; Yi et al., 2018) puis Ccr4/Pop2/Not est recruté dans une deuxième phase (Tucker et al., 2002; Yi et al., 2018). On observe ensuite une pause lorsque la queue poly(A) est réduite à 10-12 bases (Decker and Parker, 1993).
Dégradation 5’ vers 3’
Après la pause de dé-adénylation à 10-12 adénines, le complexe Pat1/Lsm1-7 est recruté à la place de Pab1. Cet échange est probablement un signal permettant l’activation de l’hydrolyse de la coiffe (Chowdhury et al., 2007; Tharun and Parker, 2001) et l’initiation de la dégradation du bout 5’ vers l’extrémité 3’. L’hydrolyse de la coiffe peut être aussi indépendante de la dé-adénylation préalable. Par exemple le transcrit RPS28B est dégradé rapidement par activation du décapping dans une voie dépendante de la protéine Rps28 et du cofacteur de décapping Edc3 (Badis et al., 2004; He et al., 2014). Le complexe d’hydrolyse de la coiffe est composé de deux protéines principales, Dcp1 et Dcp2. Dcp2 est la sous-unité catalytique (van Dijk et al., 2002) permettant le clivage de la coiffe libérant le m7 -Gpp de l’extrémité 5’-monophosphate du transcrit (She et al., 2006, 2008). Dcp1 interagit avec Dcp2 et promeut son activité (Deshmukh et al., 2008; She et al., 2004, 2008). Les 300 premiers nucléotides de Dcp2 sont suffisants pour initier l’hydrolyse de la coiffe (Dunckley and Parker, 1999), c’est la région conservée entre les espèces. Dcp1 et Dcp2 forment une holoenzyme régulée par de multiple cofacteurs : Dhh1, Edc3, Pat1, Lsm1- 7, Scd6, Sbp1, Mrt1-3 (Hatfield et al., 1996 pour Mrt1-3; He and Jacobson, 2015), Edc4 (Chang et al., 2014), etc. Ces cofacteurs sont impliqués dans les différentes étapes permettant l’hydrolyse de la coiffe, le raccourcissement de la queue poly(A) évoqué précédemment, l’inhibition de la traduction et le décrochage des facteurs d’initiation de la traduction protégeant la coiffe. Dhh1, par exemple, est un activateur de l’hydrolyse de la coiffe (Coller et al., 2001), il a un rôle d’inhibition précoce de l’initiation de la traduction qui permettrait d’affaiblir les interactions entre la coiffe et les facteurs d’initiation la rendant plus accessible à Dcp1/Dcp2. Scd6 et Sbp1, en liant eIf4g (Figure 4A) auraient aussi un effet d’inhibition de la traduction favorisant l’accès à la coiffe (Nissan et al., 2010). Pat1, comme expliqué précédemment permet le recrutement de Dcp1/Dcp2 et Xrn1 au niveau des ARNs (Charenton et al., 2017 pour Dcp2/Pat1; Fromont-Racine et al., 2000; Ho et al., 2002; Krogan et al., 2006 pour Pat1/Xrn1; Tarassov et al., 2008; Tong et al., 2004) où la queue poly(A) est raccourcie. Il contribue aussi à l’inhibition de la traduction (Nissan et al., 2010) et il active Dcp2. Lsm1-7 promeut l’activation de Dcp2 par Pat1 et permet de protéger l’extrémité 3’ de l’ARN pendant la dégradation par Xrn1. Edc3 interagit avec Dcp2, permet de lever son auto-inhibition (Harigaya et al., 2010; He and Jacobson, 2015) et il est présent dans la forme active de l’holoenzyme (Charenton et al., 2016). Chez la levure S. cerevisiae, Dcp2 a une longue 16 extension C-terminale non conservée chez les autres eucaryotes et non requise pour l’hydrolyse de la coiffe. Cette région possède des domaines supplémentaires d’interactions pour plusieurs cofacteurs comme Pat1, Edc3 ou Upf1 (voir partie III.5. « Upf1, facteur majeur du NMD » de l’introduction) qui pourraient avoir un rôle dans le choix de certains substrats particuliers. Le domaine C-terminal pourrait aussi avoir un rôle dans des fonctions accessoires de Dcp2, comme son lien possible avec la transcription (Groušl et al., 2009; Shalem et al., 2011) chez la levure. Plusieurs équipes ont tenté de figer le complexe Dcp1/Dcp2 dans une forme active (Charenton et al., 2016; Mugridge et al., 2016; Valkov et al., 2017; Wurm et al., 2017), cela a abouti à un mécanisme d’activation de Dcp1/Dcp2 par les cofacteurs Edc1 et Edc3 via la levée de l’autoinhibition et la stabilisation du complexe Dcp1/Dcp2 sur les ARNs (Mugridge et al., 2018). Une fois la coiffe dégradée, le complexe d’hydrolyse de la coiffe laisse la place à l’exonucléase Xrn1 (Stevens, 1978). Xrn1 est l’exonucléase cytoplasmique majeure, elle est processive, directionnelle et requiert une extrémité 5’-monophosphate libre (Stevens, 1980). Chez les mammifères, la coordination de l’hydrolyse de la coiffe et de la dégradation pourrait être organisée au niveau de Edc4 (alias Hedls), protéine plateforme permettant l’interaction de Dcp1/Dcp2 et de Xrn1 (Chang et al., 2014). La dégradation de l’ARN par Xrn1 est cotraductionnelle (Hu et al., 2009; Pelechano et al., 2015), elle suit les ribosomes.
Dégradation 3’ vers 5’
La deuxième voie de dégradation des ARNs est la voie de l’exosome. L’exosome cytoplasmique de levure est composé de dix sous-unités dont Rrp44 (Dis3) qui possède une activité exonucléolytique et endonucléolytique (Bousquet-Antonelli et al., 2000; Lebreton et al., 2008; Schaeffer et al., 2009; Schneider et al., 2009), et neuf autres protéines formant un tunnel permettant l’adressage de l’ARN au niveau du site catalytique de Dis3 (Bonneau et al., 2009). L’activité endonucléolytique pourrait ne pas être requise pour l’activité cytoplasmique de Dis3, d’ailleurs, l’équivalent mammifère Dis3L, uniquement cytoplasmique, n’a pas conservé cette capacité (résumé dans Zinder and Lima, 2017). Pour la dégradation des ARNs cytoplasmiques, l’exosome requiert l’aide du complexe SKI. Ce complexe est composé de Ski2, Ski3 et Ski8 et interagit avec l’exosome via Ski7, une protéine faisant le pont entre les deux complexes. Les protéines du complexe SKI forment aussi un canal permettant de diriger l’ARN à dégrader vers l’exosome (Halbach et al., 2013). La protéine Ski2 est probablement une hélicase ARN et elle pourrait permettre de dérouler les structures de l’ARN pour faciliter 17 ensuite la dégradation. Le recrutement de l’exosome a lieu au niveau des extrémités 3’ non protégées ainsi que sur certains ARNs via la liaison de protéines sur des motifs spécifiques (Chen et al., 2001), cependant les mécanismes sont encore peu clairs. 4. Régulation des voies de dégradation des ARNs Les caractéristiques permettant d’orienter un ARN vers la voie 5’ vers 3’ ou la voie de l’exosome ne sont pas connues. Il semble que certains ARNs soient plus sensibles à l’une ou l’autre des voies. L’importance des deux voies est aussi différente en fonction des espèces. Ainsi la levure utilise principalement la voie de décapping dépendant de la dé-adénylation tandis que chez les plantes c’est la voie de l’exosome qui semble majoritaire. Pourquoi existe t’il de tel différences ? Quels sont les éléments impliqués dans la régulation de ces mécanismes ? La disponibilité des facteurs peut être une explication pour le choix différentiel des voies selon les espèces ou lorsque des modifications de l’environnement affectent leur abondance. Par exemple, chez la levure, la dégradation des ARNs a lieu principalement par la voie 5’ vers 3’ sauf si celle-ci est perturbée (par exemple mutation d’une enzyme du décapping), dans ce cas, l’exosome cytoplasmique prend le relais. La dégradation est aussi régulée en cis via des éléments de l’ARN directement (Cheng et al., 2017). Un exemple déjà évoqué est le recrutement des facteurs de la dé-adénylation via une interaction avec des protéines liant les 3’-UTR. Par exemple, une étude récente montre l’effet activateur de la protéine Mmi1 sur la dégradation d’un ARN de Schizosaccharomyces pombe (S. pombe). Mmi1 interagit avec une épingle d’ARN située dans le 3’-UTR et accélère le recrutement du complexe Ccr4/Pop2/Not (Stowell et al., 2016, 2018). Dans d’autres cas de régulation, le court-circuitage de la déadénylation par le décapping permet de dégrader rapidement des ARNs spécifiques (Badis et al., 2004; He et al., 2014). Le taux de dégradation des ARNs est aussi influencé par l’efficacité de la traduction en lien avec l’optimisation des codons le long de la séquence codante (Presnyak et al., 2015). De plus en plus d’articles décrivent des liens entre l’usage des codons, l’efficacité de la traduction et la dégradation des ARNs (Bazzini et al., 2016; Mishima and Tomari, 2016; Presnyak et al., 2015; Radhakrishnan and Green, 2016). Par exemple, une étude propose un mécanisme différentiel des deux dé-adénylases Ccr4 et Pop2 dans le cas d’une demi-vie courte ou longue pour les ARNs (Webster et al., 2018). Cette étude montre que la dé-adénylation des ARNs optimisés pour l’usage de leur codon, traduit efficacement et possédant plus de PABPs sur leur queue poly(A) (Beilharz and Preiss, 2007) utilise 18 préférentiellement la dé-adénylase Ccr4 alors que les ARNs non-optimisés sont dé-adénylés par Pop2. La différence est que Ccr4 doit enlever au fur et à mesure les PABPs ce qui ralenti sa progression et donc ralenti la dégradation alors que Pop2, recruté sur des queues poly(A) pauvres en PABPs, permet une dé-adénylation rapide suivie de la dégradation des ARNs (Figure 3).
Introduction |