Composition du gaz interstellaire
Milieu interstellaire
Le milieu interstellaire n’est pas homogène, il se présente sous différentes phases caractérisées par les conditions physiques qui y règnent et l’état atomique du gaz d’hydrogène, qui le compose `a plus de 70% en masse. On distingue ainsi trois phases principales, un milieu chaud et ionisé, un milieu tiède ionisé ou neutre et enfin un milieu froid et neutre (McKee & Ostriker 1977). La table 1.1 présente un résumé des différentes phases du milieu interstellaire décrites ci-dessous.
Gaz chaud et ionisé
Avec des températures de T ≈ 106 K, le milieu chaud et ionisé est la composante la plus volumineuse (∼ 50%) et la moins massive (∼ 1%) du milieu interstellaire. Elle est composée de gaz très peu dense (< nH >∼ 5 × 10−3 cm−3 ) et totalement ionisé principalement par les supernovae. Ce gaz peut être observé dans le domaine des rayons-X mous et par l’intermédiaire des raies d’absorption des éléments très fortements ionisés qui le constituent comme [Ovi], [Nv] et [Civ].
Gaz tiède, neutre & ionisé
Les régions Hii, ou nébuleuses gazeuses, tièdes (T ∼ 104 K) et ionisées, ne représentent que ∼ 0.1% du volume et ∼ 1% de la masse du milieu interstellaire. Souvent localisées au voisinage des étoiles massives, l’émission continuum de ces régions peut être de type free-free, free-bound ou, plus faiblement, a deux photons. De plus, les régions Hii ont été observées `a l’aide des raies de recombinaison radio de H et He ainsi que celles de C et S. Enfin, un certains nombre de raies interdites y ont été identifiées. Le milieu interstellaire contient également une composante de gaz tiède, diffuse et ionisée, représentant 10% de son volume et de sa masse. Ces régions peuvent provenir des régions Hii elles-mêmes ou directement de l’ionisation du gaz neutre par le rayonnement UV d’étoiles chaudes isolées. Cette composante diffuse est observée `a l’aide des raies optiques de recombinaison et de structure fine de [Nii] ou [Sii]. Avec une fraction volumique de ∼ 40%, la phase tiède et neutre, dite de nuages diffus, est la deuxième composante principale du milieux interstellaire et représente 20% de sa masse. Ce gaz diffus inter-nuage est observé grace aux raies de recombinaison de l’hydrogène et plus particulièrement les raies de Hi `a 21cm et [Hα].
Gaz froid et neutre
Le gaz froid et neutre est une composante peu étendue (∼ 3% en volume) mais rend compte de ∼ 70% de la masse du milieu interstellaire dans la Voie Lactée. Cette phase peut être décomposée en deux sous-phases, l’une, diffuse, est faite de gaz atomique, l’autre, beaucoup plus dense, rend possible l’existence de molécules
Gaz atomique
Le gaz atomique, ou milieu interstellaire diffus, est un milieu peu dense (< nH >∼ 10 − 100 cm−3 ), chauffé `a des températures T ≤ 100 K par le rayonnement UV ambiant du a l’ensemble des étoiles de la Galaxie. Ce rayonnement diffus est assez énergétique pour dissocier la plus grande partie des molécules d’hydrogène présentes dans le milieu interstellaire diffus. Observer le gaz atomique Dans notre galaxie, le principal constituant du gaz atomique, l’atome d’hydrogène neutre, Hi, est concentré dans le plan galactique, comme le montre les observations de sa raie `a 21 cm en émission ou en absorption, qui correspond `a la transition entre les deux sous-niveaux hyperfins de l’état fondamental de Hi. Les niveaux de la plupart des atomes composant le milieu interstellaire, et particulièrement leurs niveaux fondamentaux, sont décomposés par l’intéraction dites de structure fine entre le moment orbital total des électrons et leur spin total. Ainsi, les transitions de structure fines interdites de [Ci], [Cii], [Oi], [Siii], [Sii] et [Feii] ont été observées dans le milieu interstellaire neutre. Par la suite, nous nous concentrerons sur une espèce particulièrement abondante, le carbone neutre. Carbone atomique Les raies de structure fine du carbone atomique neutre, [Ci], sont une source importante d’information sur la physique et la chimie du milieu interstellaire. En effet, les raies de structure fine de [Ci], [Cii] et [Oi] sont les principales sources de refroidissement du milieu interstellaire et l’abondance moyenne du carbone neutre est de ∼ 10−5 relativement `a H2, c’est `a dire un facteur 10 avec la molécule de CO, la molécule la plus abondante dans le milieu interstellaire après H2 (voir ci-dessous). La raie de structure fine 3P1 → 3P0 du carbone atomique est excitée `a des densités de n ≥ 500 cm−3 et `a des températures T ≥ 24 K, elle trace principalement les phases du milieu interstellaire ou les molécules de CO ne sont pas excitées car le milieu est peu dense, ou sont dissociées par le rayonnement UV important des étoiles. Le potentiel d’ionisation du carbone neutre est proche de l’énergie de dissociation de la molécule de CO, ainsi l’émission [Ci] provient principalement des interfaces entre les phases ionisées, émettant en [Cii], et les phases neutres, émettant en CO (voir fig. 1.1)Voie Lactée. Cette phase peut être décomposée en deux sous-phases, l’une, diffuse, est faite de gaz atomique, l’autre, beaucoup plus dense, rend possible l’existence de molécules.
Gaz moléculaire
Le gaz moléculaire est la composante la plus massive (40%) et la moins volumineuse (1%) du milieu interstellaire dans une galaxie comme la Voie Lactée. La grande densité des nuages de gaz moléculaire fait écran au rayonnement ionisant et photo-dissociant des étoiles permettant l’existence de molécules. Organisé en nuages moléculaires très denses, jusqu’`a > 106 cm−3 dans les coeurs denses, et dont la température peut descendre jusqu’`a 5 K, le gaz moléculaire est d’une très grande importance dans la formation et l’évolution des galaxies puisqu’il est le lieu de la naissance des étoiles, par effondrement gravitationnel. Observer le gaz moléculaire Les molécules peuvent émettre un rayonnement selon trois types, électronique généralement dans l’UV lointain, vibrationnel principalement dans l’infrarouge proche ou rotationnel principalement dans le domaine (sub)millimétrique. Aujourd’hui, plus de 120 molécules différentes ont été détectées dans le milieu interstellaire et circumstellaire. Les transitions électroniques de la molécule la plus abondante, l’hydrogène, H2, ont été observées dans l’ultraviolet lointain, presque toujours en absorption, par plusieurs fusées et satellites. Ces mesures ont notamment permis de déterminer le rapport d’abondance H2/H. D’autres molécules comme CO, OH, qui fut, en 1965, la première molécule détectée en émission dans le milieu interstellaire, CH, CH+, CN, C2 ou CN ont pu être observées dans l’ultraviolet lointain ou l’infrarouge proche. La différence de niveau d’énergie entre les quantifications des modes de vibration d’une molécule est `a l’origine des transitions vibrationnelles. Chaque transition se décompose en sous-raies de rotation, formant une bande ro-vibrationnelle. Les transitions vibrationnelle de H2, CO ou H2O ont été observée, pour les objets les plus brillants, en infrarouge depuis l’espace, ou au sol pour les raies dans l’infrarouge proche. Cependant, la température d’excitation du niveau vibrationnel le plus bas est `a ∼ 500 K au dessus du niveau fondamental, et le niveau n’est donc peuplé qu’`a proximité des régions Hii. De par sa symétrie, le moment dipolaire permanent de la molécule d’hydrogène est nul, ses transitions rotationnelles dipolaires sont donc interdites. Cependant, l’abondance de H2 fait que ses transitions de rotation quadrupolaires, extrêmement peu probables, ont été observées en infrarouge moyen au sol (Parmar et al. 1991) ou depuis l’espace (e.g. Rodriguez-Fernandez et al. 2001). La difficulté d’observation de la molécule d’hydrogène ne permet donc pas son utilisation pour étudier l’ensemble du gaz moléculaire, on utilise donc d’autres molécules pour tracer les nuages denses du milieu interstellaire, notamment CO, le monoxyde de carbone, CS ou HCN, molécules dissymétriques dont les transitions rotationnelles s’observent dans le domaine millimétrique. Monoxyde de carbone Le monoxyde de carbone est la molécule la plus abondante, après l’hydrogène, dans la phase dense du milieu interstellaire, bien que son abondance soit très faible, CO/H2 ≤ 10−4 . Le monoxyde de carbone peut facilement être excité, même `a des températures de l’ordre de 10 K, principalement par collisions avec les molécules d’hydrogène. Le faible moment dipolaire permanent de la molécule CO en fait un traceur du gaz moléculaire peu dense, sa densité critique, o`u le taux de collision égale celui de-excitation, étant de ∼ 104 cm−3 , lui permettant d’être excité `a des densité de n(H2) > 300 cm−3 . 118 Chapitre 1. Introduction Luminosité des raies de CO La luminosité d’une raie de CO, LCO (W), s’obtient en intégrant en fréquence les luminosités monochromatiques Lνobs observées sur le profil de la raie. Ainsi, LCO = Z line Lνrestdνrest = 4 π DL 2 νobs/c Z line Svdv, (1.1) o`u DL est la distance (lumineuse) de la source, νobs la fréquence centrale d’observation de la raie. et Sv la densité de flux de la source observée, l’intégrale de droite définissant alors l’intensité totale de la raie, FCO, souvent exprimé en Jy km s−1 . La luminosité d’une raie de CO est souvent exprimée sous la forme de L ′ CO (K km s−1 pc2 ) comme le produit de la température de brillance intrinsèque de la source intégrée en vitesse, Tb ∆V et de l’aire de la source, π R2 = ΩS DA 2 , dans le cas d’une source `a projection circulaire dans le plan du ciel, o`u ΩS est l’angle solide de la source et DA sa distance angulaire. La température de brillance de la raie est observée avec un facteur de dilution (1 + z) que l’on doit corriger. Ainsi, la luminosité d’une raie de CO peut être exprimée comme L ′ CO = ΩS∗BDL 2 (1 + z) −3 ICO, (1.2) o`u ΩS∗B est l’angle solide de la source convolué avec le lobe du télescope et ICO est la température de brillance intégrée de la raie, souvent exprimée en K km s −1 . Lorsque la source est beaucoup plus petite que le lobe du télescope, ΩS∗B ≈ ΩB, on peut relier ces deux définitions par LCO = 8πkνrest 3 c 3 L ′ CO. (1.3) o`u k est la constante de Boltzmann. La seconde définition de la luminosité d’une raie de CO, L ′ CO, est souvent utilisée car elle permet directement d’avoir une idée des conditions physiques du gaz étudié. En effet, le rapport des L ′ CO de deux raies est directement la moyenne sur la source du rapport de leurs deux températures de brillance, ainsi, deux raies de même température de brillance, et dont les sources auraient la même taille, auront la même L ′ CO, quelque soit la transition observée. Masse de gaz moléculaire Il existe principalement quatres méthodes permettant la détermination des masses de gaz moléculaire. La première se base sur l’émission de la poussière comme traceur du gaz moléculaire, cependant, cette méthode repose sur la connaissance du rapport gaz/poussière, et de la température des poussières qui peuvent être délicats `a déterminer. L’observation des isotopes plus rare de la molécule de CO, comme 13CO ou C18O, dont les raies sont optiquement minces permet également de déduire la masse de gaz moléculaire. Bien que cette méthode nécessite la connaissance du rapport 12C / 13C, souvent mal contraint, elle a permis de déduire des facteurs de conversion de N(H2) = χ I(CO), pour notre galaxie, avec χ = 2.2 × 1020 cm−2 (K km s−1 ) −1 (Dickman 1975), ce qui peut également s’écrire M(H2) = X L′ CO (1.4) avec X = 3.5 M⊙ (K km s−1pc2 ) −1 . Une autre méthode de détermination de la masse de gaz moléculaire se base sur l’intéraction des rayons cosmiques et de l’hydrogène moléculaire qui provoque l’émission de rayon γ dont l’intensité est proportionnelle au produit du flux des rayons cosmiques par la densité de gaz. Cette méthode, indépendante de la précédente, permet d’obtenir des valeurs de χ = 2.6−2.8×1020 cm−2 (K km s−1 ) −1 pour notre galaxie (Bloemen et al. 1986). 1.3. · · · dans les galaxies infrarouges (ultra) lumineuses 119 Enfin, l’application du théorème du viriel sur les nuages moléculaires du plan galactique permet de calibrer la relation entre la luminosité CO et une mesure directe de la masse des nuages moléculaires. Ainsi, Solomon et al. (1987) ont étudié la relation entre la luminosité CO et la masse des nuages moléculaires de notre galaxie situés entre 2 et 15 kpc, et en déduisent la relation, MVT = 39 L ′ CO (0.81±0.03) M⊙. Bien que non linéaire, cette relation, corrigée de l’abondance de l’hélium, peut s’écrire en suivant l’équation 1.4 avec X = 4.8 M⊙ (K km s−1 ) −1 pour une masse de nuage typique de M = 5×105 M⊙. Ce coefficient varie seulement d’un facteur < 2 pour des masses de nuages moléculaires comprises entre 105 et 106 M⊙, ce qui représente, en masse, 90% des nuages de leur échantillons. L’indice de cette relation peut être expliqué par la relation entre la largeur de raie et la taille des nuages qui, dans le cas de nuages en équilibre gravitationnel, conduit `a la relation du type MVT = 43 L ′ CO 4/5 M⊙, en accord avec l’indice de (0.81±0.03) ajusté sur les données. De plus, cette hypothèse de nuage en équilibre gravitationnel permet de déduire que les facteurs de conversion χ ou X varient comme le rapport de la racine carré de la densité de H2 `a la température de brillance du nuage, ∝ n(H2) 1/2 /TB (Radford et al. 1991). Les nuages moléculaires des galaxies externes peuvent avoir différentes densités et/ou différentes températures de brillance, changeant ainsi les facteurs de conversion χ et X. Pour la Voie Lactée, le facteur de conversion est estimé `a X = 4.8M⊙ (K km s−1 ) −1 (Solomon et al. 1987). Ce modèle simple semble également indiquer que le facteur de conversion CO-H2 ne varie pas avec la métallicité du nuage. Cependant, Wilson (1995) et Arimoto et al. (1996) ont montré le contraire et que ce χ augmentait d’un facteur 4.6 quand la metallicité augmentait d’un facteur 10. Cette tendance n’est pas confirmée par les études de Rosolowsky et al. (2003); Bolatto et al. (2003) qui ne détectent pas de dépendance en métallicité dans leurs échantillons. Tracer le gaz moléculaire dense Les premiers niveaux de la molécule de CO, avec des densités critiques relativement faibles, 3 × 103 et 104 cm−3 pour, respectivement, les raies 1 → 0 et 2 → 1, sont des traceurs du gaz moléculaire relativement peu dense puisque ces niveaux peuvent être peuplés avec des densités relativement faibles, nH2 > 300 cm−3 . Pour caractériser le gaz plus dense, il est donc nécessaire d’utiliser des raies de rotation plus élevées ayant des densités critiques plus importante, 5 × 104 cm−3 pour la transition CO (3 → 2). Il est également possible d’utiliser d’autres molécules ayant des dipoles électriques permanents plus importants que CO, comme, par exemple, CS, HCO+, HCN ou HNC, dont les densités critiques peuvent être de l’ordre de 107 cm−3 . Dans la Voie Lactée, une émission importante des molécules HCN et CS est préférentiellement observée dans le coeur des nuages moléculaires, sites de formation stellaire, plutot que dans les enveloppes de nuages plus massifs mais moins denses (Helfer & Blitz 1997). L’observation de ces molécules est rendue difficile par leur plus faible abondance dans le milieu interstellaire, HCN/H2 ∼ 3 10−7 et CS/H2 ∼ 2 10−8 dans les coeurs denses (Blake et al. 1987). Néamoins, la molécule HCN est utilisée avec succès comme traceur de gaz moléculaire dense.