Comportement mécanique d’un polyamide 6,6 soumis à un vieillissement thermo-hydro-glycolé

Comportement mécanique d’un polyamide 6,6 soumis à un vieillissement thermo-hydro-glycolé

Description du PA66

Les polyamides, aussi connus sous le nom commercial « nylon », sont des polymères thermoplastiques semi-cristallins. Ils font partie des polymères les plus utilisés dans l’industrie. Du fait de leur coût raisonnable et de leurs bonnes propriétés macroscopiques, ils sont présents dans de nombreux secteurs industriels tels que le textile ou encore l’automobile. On distingue les polyamides aliphatiques, aromatiques et semi-aromatiques. Le nom des polyamides aliphatiques contient un ou deux nombres faisant référence à leur motif de répétition. Le polyamide 6,6 (PA66) est un polyamide aliphatique. Il a été synthétisé pour la première fois en 1936 par le chimiste Dr. Wallace Carothers au sein de la société DuPont de Nemours. Il est obtenu par la polycondensation de l’hexaméthylène diamine et de l’acide adipique (Figure 1). Figure 1 : Polycondensation du PA66. Les fonctions amide présentes dans le PA66 permettent de former des liaisons hydrogène entre les chaînes de polymère. Ces interactions sont favorables à la formation d’une phase cristalline. (Figure 2). Figure 2 : Représentation d’un cristal formé par le repliement des chaînes, ainsi que d’une maille cristalline [1]. Les cristaux croissent à partir de germes et forment des lamelles cristallines. Généralement, les lamelles et la phase amorphe s’organisent simultanément sous la forme d’entités tridimensionnelles plus importantes appelées sphérolites. (Figure 3). Figure 3 : Représentation d’un sphérolite formé par la croissance des cristallites [2]. Localement, le polymère peut être vu comme un empilement de lamelles cristallines séparées par une phase amorphe (Figure 4). Cet empilement constitue également une structure périodique dont  la période appelée longue période (𝐿𝑝) comprend l’épaisseur d’une lamelle cristalline et l’épaisseur de la phase amorphe comprise entre deux lamelles. Figure 4 : Schéma de l’empilement phase amorphe – phase cristalline [3]. La phase cristalline du PA66 peut être organisée selon trois systèmes cristallins : • Un système triclinique 𝛼. Ce système peut lui-même exister sous deux formes : une forme 𝛼1 et une forme 𝛼2. Le système 𝛼1 est plus compacte que le système 𝛼2 [4]. • Un système monoclinique 𝛽 [5]. • Un système pseudo-héxagonal 𝛾. Les systèmes 𝛽 et 𝛾 sont peu stables, et la phase cristalline du PA66 est généralement essentiellement composée d’un système 𝛼. Dans la phase amorphe, les chaînes sont enchevêtrées les unes aux autres et n’ont pas d’organisation périodique à grande distance. Cette phase est notamment caractérisée par des températures de relaxation mécanique au-delà desquelles assez d’énergie a été fournie pour activer la vibration, ou le mouvement de différentes parties des chaînes (Figure 5). Trois types de relaxations ont été identifiés dans le PA66 : • La relaxation 𝛼 (ou relaxation principale), associée à la transition vitreuse. Elle correspond au mouvement de portions de chaîne relativement importantes, c’est-à-dire longues de plus d’une dizaine de motifs de répétition. Au-dessus de la température de relaxation 𝛼 (𝑇𝛼), le polymère est dans un état caoutchoutique, et en-dessous, il est dans un état vitreux. • La relaxation 𝛽 qui correspond à la mise en rotation des fonctions amide du PA66. • La relaxation 𝛾 qui correspond à la vibration de courts segments de polyméthylène. Figure 5 : Illustration schématique des portions de chaîne de PA66 mises en mouvement lors des différentes relaxations [1].  L’expression de ces relaxations dépend à la fois de la température et de la vitesse de sollicitation. C’est notamment le cas de la relaxation principale. Une augmentation de la température de sollicitation génère une augmentation de la mobilité des chaînes et conduit le polymère vers un état caoutchoutique. Au contraire, lors de l’application d’une déformation, si la vitesse de sollicitation augmente, les chaînes n’ont pas le temps de relaxer, et le polymère est conduit vers un état vitreux. C’est le principe bien connu de l’équivalence temps-température.

Influence de la mise en en forme

Les propriétés microstructurales et mécaniques des polymères sont largement dépendantes des procédés de mise en forme. Dans cette étude sur le vieillissement thermo-hydro-glycolé du PA66, le polymère a été moulé par injection. C’est donc l’influence de ce procédé qui sera abordée dans cette section. Le moulage par injection est un procédé couramment utilisé pour la mise en œuvre des matériaux polymères. En effet, il permet de produire à grande échelle des pièces de géométrie complexe. Or, lors du procédé d’injection, la matière est soumise à différents gradients thermomécaniques. Autrement dit, suivant sa position dans le moule, le polymère est soumis à différentes températures, vitesses de refroidissement, ou niveaux de déformation. De plus, il est bien connu que les propriétés d’un polymère semi-cristallin dépendent grandement des conditions thermomécaniques à l’œuvre lors de sa cristallisation. La vitesse de refroidissement, par exemple, a une influence sur la quantité de cristal formé, ainsi que sur sa morphologie. De manière générale, une diminution de la vitesse de refroidissement conduit à une augmentation du taux de cristallinité [6–8]. Pour les vitesses les plus basses, Freire et al. [6] observent cependant une diminution du taux de cristallinité lorsque la vitesse de refroidissement diminue (Figure 6), et ce pour différents grades de PA66. Ils interprètent cette évolution inverse de ce qui est observé habituellement en suggérant que pour les vitesses de refroidissement les plus faibles, le polymère est maintenu plus longtemps à des températures élevées et pourrait ainsi subir des dégradations responsables de la diminution du taux de cristallinité. Toutefois les vitesses les plus faibles ne sont pas celles observées en injection. Figure 6 : Evolution du taux de cristallinité de trois grades de PA66 en fonction de la vitesse de refroidissement. Etude sur des films de PA66. Vitesses de refroidissement entre 1°C/min et 700°C/min à partir de 300°C . Les conditions de mise en œuvre ont également un impact sur la structure du cristal qui est formé. Des études sur la cristallisation du PA6 ont par exemple mis en évidence qu’une augmentation de la vitesse de refroidissement se traduit par une plus grande quantité de phase 𝛾 [7,9,10]. Ainsi, dans le cas du moulage par injection de PA6, Russel et al. [7] n’observent pas les mêmes phases cristallines suivant la température du moule. Pour une température de 25°C, ils observent un mélange de phase 𝛼 et de phase 𝛾 à la surface des pièces, c’est-à-dire au niveau du contact avec le moule. Cependant, lorsque la température du moule est de 85°C, la phase 𝛾 n’est plus présente. Si l’on se place maintenant à l’échelle des sphérolites, dans le cadre de l’étude de films de PA66, Freire et al. [6] montrent que pour certains grades de PA66, des vitesses de refroidissement élevées favorisent la transcristallinité. Enfin, dans le cas de cristallisation isotherme, la température de cristallisation a également un impact sur la formation du cristal [11]. Ainsi, lorsqu’elle augmente, on peut noter une diminution de la vitesse de nucléation des sphérolites (Figure 7). Figure 7 : Cristallisation isotherme d’un polypropylène. Evolution de la vitesse de nucléation en fonction de la température de de cristallisation [11]. De même, les conditions mécaniques de la mise en œuvre ont un impact sur la cristallisation des polymères. C’est notamment le cas du taux de cisaillement [11,12]. Ainsi, une augmentation du taux de cisaillement conduirait à une augmentation de la vitesse de nucléation ainsi qu’à une augmentation de la vitesse de croissance des sphérolites (Figure 8). Le polymère serait alors composé de plus petits sphérolites. Pantini et al. [11] notent d’ailleurs que la vitesse de croissance des sphérolites est proportionnelle à la racine carrée de la vitesse de nucléation. Ainsi, d’après ces auteurs, quel que soit le mécanisme qui piloterait la vitesse de nucléation, modifier cette dernière aurait également une influence sur la vitesse de croissance des sphérolites.Figure 8 : Cristallisations isothermes d’un polypropylène. Evolution de la vitesse de nucléation (a) et de la vitesse de croissance des sphérolites en fonction du taux de cisaillement [11]. Finalement, puisque le procédé de moulage par injection ne génère pas des conditions thermomécaniques uniformes, on peut s’attendre à ce que cela se traduise par des différences microstructurales au sein d’une même pièce injectée. Ainsi, certains auteurs mettent en évidence un gradient de microstructure entre le cœur et la surface d’une pièce injectée en termes de taux de cristallinité, systèmes cristallins et longues périodes [7,13,14]. Dans le cas particulier du PA66, il est également possible de définir un indice de perfection cristalline. Cet indice correspond à la proportion de phase 𝛼1 par rapport à la phase 𝛼2. En l’occurrence, la phase 𝛼1 semble être favorisée par des vitesses de refroidissement plus lentes car elle est plus abondante au cœur des pièces injectées plutôt qu’à leur surface [13,14]. De plus, dans le cadre d’une étude sur des plaques en PA66 moulées par injection, Billon et al. [13] observent également un léger gradient de microstructure le long de la direction d’écoulement du polymère dans le moule. Au fond du moule, ils observent une épaisseur de peau plus importante, ainsi que de plus gros sphérolites. 

Vieillissement thermo-hydro-glycolé : évolutions microstructurales

Tout comme la mise en œuvre, les post-traitements ont une influence sur la microstructure des polymères semi-cristallins. C’est notamment le cas d’un vieillissement thermo-hydro-glycolé, au cours duquel le polyamide est soumis à des températures élevées (entre 100°C et 150°C) ainsi qu’à la présence d’eau et d’éthylène glycol. Dans la littérature, peu d’études portent directement sur le vieillissement thermo-hydro-glycolé des polyamides. Cependant, plusieurs se penchent tout de même sur les effets de différents traitements thermiques ou sur les interactions entre le polymère et différentes molécules telles que l’eau. 3.1. Interactions physiques polymère-plastifiant 3.1.1.Echelle microstructurale Lors d’un vieillissement thermo-hydro-glycolé, le PA66 est en contact avec des molécules d’eau et d’éthylène glycol. Les interactions entre le polyamide ou autres polymères et différentes molécules relativement petites, polaires ou présentant des moments dipolaires, ont largement été étudiées dans la littérature. En l’occurrence, les groupes amides des polyamides rendent ces polymères particulièrement aptes à absorber différents plastifiants tels que l’eau et l’éthylène glycol. Ces molécules peuvent migrer de l’environnement extérieur au sein des phases amorphes interlamellaires. La sorption de plastifiant se traduit alors par une augmentation de l’épaisseur des phases amorphes interlamellaires, ainsi que par une augmentation de la longue période [15,16].D’un point de vue microscopique, Puffr et Sebenda [17] définissent un modèle pour le mécanisme de diffusion de l’eau dans le PA6. Ce phénomène comporterait plusieurs étapes (Figure 9) : 1. Les premières molécules d’eau forment des liaisons hydrogène avec les groupements carbonyle. Ces molécules d’eau sont dites fortement liées. 2. D’autres molécules forment des liaisons hydrogène avec des groupements N-H. Elles sont faiblement liées. 3. Finalement, lorsque les groupements amide libres sont saturés, les nouvelles molécules d’eau se lient à celles absorbées durant les deux précédentes étapes. On parle alors de la formation de clusters ou agrégats. Figure 9 : Modèle du mécanisme de diffusion de l’eau dans le polyamide. A : polyamide sec. B : polyamide saturé. 1 : eau fortement liée, 2 : eau faiblement liée, 3 : sites disponibles pour la formation de clusters [17]. Différents auteurs confirment la présence d’interactions entre les molécules d’eau et les groupes amide par l’observation de l’évolution des spectres infrarouges du polyamide avant et après sorption d’eau (Figure 10). La présence d’eau se traduit par une augmentation de l’épaulement entre 3400 cm-1 et 3600 cm-1 . De plus, après absorption d’eau, on peut observer un décalage du maximum de la bande d’absorption amide I vers de plus basses fréquences. Ce décalage est souvent associé à la formation de liaisons hydrogène entre les molécules d’eau et les groupements carbonyle [18,19]. Ainsi, Lim et al. observent une diminution du nombre d’onde d’environ 6 cm-1 pour la position di maximum de la bande d’absorption amide I. Ces mêmes auteurs observent également une augmentation d’environ 5 cm-1 pour la position du maximum de la bande d’absorption du groupe N-H. Ils s’appuient sur le modèle de Puffr et Sebenda pour interpréter ces deux décalages. Après sorption d’eau, les groupes carbonyle seraient plus fortement liés, et les groupes N-H seraient plus faiblement liés. Ainsi, Hernandez et al. mesurent aussi une augmentation du nombre d’onde au niveau du maximum de la bande d’absorption amide II [20], qui est également associée à la vibration des liaisons N-H. Cependant, Iwamoto et al. observent au contraire une diminution du nombre d’onde de la bande d’absorption du groupe N-H [19]. Finalement, l’interprétation du décalage des bandes d’absorption avec la force des liaisons créées semble subtile. Toutefois, il est clair qu’en formant des liaisons hydrogène, les molécules d’eau absorbées modifient les modes de vibration des groupes amide. Enfin, l’absorption d’éthylène glycol se traduit par l’apparition des bandes caractéristiques de cette molécule dans le spectrogramme du PA66 [21–23]. Les maximums des bandes d’absorption de l’éthylène glycol se situent aux alentours de 884 cm-1 , 1040 cm-1 et 1083 cm-1 .

Table des matières

Introduction.
Chapitre 1 : Etat de l’art
1. Description du PA66
2. Influence de la mise en en forme
3. Vieillissement thermo-hydro-glycolé : évolutions microstructurales
3.1. Interactions physiques polymère-plastifiant
3.2. Interactions chimiques polymère-plastifiant
3.3. Evolution du cristal
4. Relations microstructure-propriétés
4.1. Influence de la masse molaire moyenne
4.2. Influence du cristal
5. Synthèse de l’état de l’art
Chapitre 2 : Méthodes expérimentales
1. Matériau d’étude
1.1. Mise en œuvre du PA66
1.2. Vieillissement thermo-hydro-glycolé
1.3. Approche cœur-peau
2. Mesures microstructurales
2.1. Spectroscopie infrarouge
2.2. Chromatographie par exclusion stérique
2.3. Microscopie optique
2.4. Calorimétrie différentielle à balayage
2.5. Diffraction des rayons X
3. Mesures mécaniques
3.1. DMA
3.2. Traction uniaxiale
4. Synthèse méthodes expérimentales
Chapitre 3 : Evolutions microstructurales
1. Caractérisation microstructurale au sein d’une plaque injectée
1.1. Orientation du cristal
1.2. Quantité de cristal
1.3. Structure multi-échelle du cristal
1.4. Synthèse microstructure plaque injectée
2. Evolution de la microstructure après vieillissement thermo-hydro-glycolé
2.1. Observations préliminaires
2.2. Sorption de plastifiant
2.3. Réaction d’hydrolyse
3. Evolution de la cristallinité
4. Evolution de la structure du cristal
5. Synthèse microstructurale
Chapitre 4 : Conséquences mécaniques
1. Démarche et méthodologie
1.1. Validation de l’hypothèse d’isotropie transverse
1.2. Equivalence temps-température en grandes déformations
1.3. Mesure de l’auto-échauffement
2. Caractérisation du PA66 sec non vieilli : influence du procédé d’injection
3. Conséquences mécaniques du vieillissement thermo-hydro-glycolé.
3.1. Diffusion de plastifiant
3.2. Fragilisation
3.3. Dissipation de l’énergie
3.4. Gradient de rigidité cœur-peau
4. Relations évolution cristalline-évolution des propriétés
5. Synthèse mécanique
Chapitre 5 : Modélisation
1. Présentation du modèle VENU
1.1. Notion de réseau équivalent
1.2. Modèle à deux branches
1.3. Calcul des contraintes
1.4. Evolution du réseau équivalent
2. Amélioration du modèle
2.1. Nécessité d’amélioration
2.2. Traitement différencié des phases de charge et de décharge
2.3. Version finale du modèle
3. Etude de sensibilité aux paramètres.
4. Relations microstructure-réseau équivalent
4.1. Comportement mécanique associé aux banches
4.2. Relations masse molaire-réseau équivalent
4.3. Relations cristal-réseau équival
Conclusion générale et perspectives
ANNEXES
ANNEXE 1 : Mesure de déformation par stéréo-corrélation d’images : étude de sensibilité aux
paramètres
ANNEXE 2 : Validation de la mesure de l’isotropie transvers
ANNEXE 3 : Etat viscoélastique des PA66 vieillis
ANNEXE 4 : Evolution des courbes maîtresses à la suite de vieillissements thermo-hydro-glycolés de 168h
ANNEXE 5 : Exemples de modélisation du comportement mécanique de PA66 pour chaque condition
de vieillissement
Bibliographie

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