Comportement mécanique des matériaux
quasi-fragiles sous sollicitations cycliques
Mécanique des matériaux quasi-fragiles
Le comportement des matériaux quasi-fragiles, hétérogènes dans le cas du béton ou des roches, est complexe et multi-physique. De nombreux phénomènes peuvent ˆetre observés à l’échelle macroscopique lorsqu’un volume élémentaire représentatif (VER) de matériau est sollicité. Afin de développer des modèles capables de prédire le comportement mécanique d’un matériau, la connaissance de sa phénoménologie est primordiale. La qualité d’un modèle de comportement mécanique est évaluée par rapport à sa capacité à prédire et à reproduire ces phénomènes. La phénoménologie du comportement macroscopique du matériau à modéliser est exploitée afin d’orienter et de valider la formulation des modèles présentés dans ces travaux. En avoir une connaissance approfondie semble donc nécessaire. Comprendre l’origine des phénomènes macroscopiques et déterminer les mécanismes sousjacents permet d’en améliorer la description. Dans le cas d’une modélisation fine, ces mécanismes peuvent ˆetre introduits directement dans le modèle. Dans le cas d’une modélisation macroscopique, le choix de la formulation (plasticité, endommagement, autre) peut ˆetre adapté. Néanmoins, il n’est pas nécessaire de considérer l’intégralité du comportement mécanique quel que soit le cas de chargement. Certains phénomènes macroscopiques peuvent ne pas se manifester. De manière à réduire les coˆuts de calculs et à en améliorer Matériaux quasi-fragiles sous sollicitations cycliques Mécanique des matériaux quasi-fragiles 9 la robustesse, les phénomènes en question peuvent ˆetre négligés. A titre d’exemple, dans ` le cas de structures en béton renforcées et de chargements sismiques, les phénomènes macroscopiques liés à la dégradation complète du matériau en compression peuvent ne pas ˆetre considérés dans une modélisation macroscopique. Les phénomènes macroscopiques observés expérimentalement lors de la sollicitation d’un VER de matériau quasi-fragile sont en grande partie, de près ou de loin, des conséquences de la fissuration, qu’elle soit diffuse ou localisée. Une revue des phénomènes macroscopiques connus est ici proposée. Les phénomènes observés sous chargement monotone ne seront que brièvement détaillés, puisqu’il ne font pas l’objet principal de ces travaux. Au contraire les phénomènes observés sous chargement cyclique seront plus longuement présentés.
Conséquences de la fissuration sous chargement monotone
Perte de rigidité et adoucissement
Un essai de traction uni-axiale met en avant les phénomènes de perte de rigidité et d’adoucissement présentés par les matériaux quasi-fragiles. Déformation (×10−4 ) Contrainte (MPa) Figure 1.1: Réponse contrainte-déformation en traction uni-axiale [Terrien, 1980]. Avant d’atteindre le pic de résistance de l’éprouvette, la fissuration est diffuse. Des microfissures apparaissent en de multiples endroits de l’éprouvette, principalement induites par une concentration de contraintes à proximité de défauts ou de pores. Dans cette première phase, d’un point de vue macroscopique l’éprouvette de matériau semble peu affectée par la fissuration, la réponse uni-axiale du matériau reste d’ailleurs quasiment linéaire (fig. 1.1). Après avoir atteint le pic de résistance de l’éprouvette, la fissuration se localise. Les conséquences de la fissuration sont alors plus visibles, la rigidité (raideur sécante) Matériaux quasi-fragiles sous sollicitations cycliques de la réponse uni-axiale se dégrade. Cette perte de rigidité s’observe sur les résultats d’expérience de Terrien [1980]. La réalisation de cycles de charge-décharge, à niveau de dégradation constant (lignes en pointillés, fig. 1.1), met en évidence une diminution de la pente de la réponse contrainte-déformation. La fissuration se développe dans des plans orthogonaux à la direction de chargement (mode I). En conséquence, en chacun de ces plans, la section capable de transmettre des efforts assurant la cohésion du matériau est réduite, ce qui explique la perte de rigidité. La propagation de la fissuration provoque aussi une instabilité de l’éprouvette accompagnée d’un comportement adoucissant. Une fois le pic de résistance initial atteint, l’évolution de la contrainte en fonction de la déformation est décroissante. L’instabilité du comportement des matériaux quasi-fragiles est la conséquence de la diminution du pic de résistance de l’éprouvette avec la propagation de la fissuration. Les deux types de fissuration mentionnés précédemment peuvent ˆetre mis en évidence par une technique de mesure par émission acoustique [Maji et Shah, 1988]. La figure 1.2 met en évidence l’apparition de vides (fissures) chacun représenté par une croix sur les différents schémas. Des micro-fissures apparaissent d’abord de manière diffuse avant de localiser et former une macro-fissure.
Dissymétrie du comportement en traction et en compression
Le pic de résistance en compression est généralement estimé une dizaine de fois supérieur au pic de résistance en traction. De plus, bien qu’il soit fortement dépendant des conditions aux limites de l’essai (frettage des supports) et de l’élancement de l’éprouvette testée, le comportement post-pic en compression est moins fragile que le comportement post-pic en traction (fig. 1.3). Matériaux quasi-fragiles sous sollicitations cycliques Mécanique des matériaux quasi-fragiles 11 −30 −20 −10 0 −40 −20 0 Déformation (×10−4 ) Contrainte (MPa) Figure 1.3: Réponse contrainte-déformation en compression uni-axiale [Ramtani, 1990]. Une perte de rigidité moins importante est observée en compression. La dissymétrie des réponses observées en traction et en compression s’explique par la différence des mécanismes impliqués. En compression la fissuration est la conséquence de l’effet Poisson (fig. 1.4). Les extensions locales ne sont plus directes, mais induites. La fissuration se propage ainsi colinéairement à la direction de chargement, d’o`u une influence moindre, dans un premier temps, sur la perte de raideur de l’éprouvette. L’adoucissement, moins prononcé qu’en traction, est atténué par l’écrasement de la porosité du matériau (fig. 1.4). La compaction se manifeste à l’échelle macroscopique par un comportement plastique durcissant, ce qui contraste avec la fragilité d’un comportement endommageant. Figure 1.4: Développement de la fissuration et de la compaction en compression. Matériaux quasi-fragiles sous sollicitations cycliques
Comportement bi-axial
Deux campagnes expérimentales, plus [Lee et al., 2004] ou moins [Kupfer et al., 1969] récentes font foi en matière de comportement bi-axial. Ces campagnes d’essais donnent une idée assez semblable de la forme de la surface de chargement à la rupture. Elles mettent aussi en évidence une légère dépendance de la forme de la surface à la résistance en compression fc du béton (fig. 1.5). Contrainte principale I normalisée Contrainte principale II normalisée Lee (fc = 30 MPa) Lee (fc = 39 MPa) Kupfer (fc = 19 MPa) Kupfer (fc = 31 MPa) Kupfer (fc = 59 MPa) Figure 1.5: Surface de chargement à la rupture du béton normalisée par rapport à la résistance en compression. A noter l’absence du cisaillement ( ` −1/ + 1) pur pour les trajets de chargements étudiés lors de ces deux campagnes expérimentales. Il n’existe d’ailleurs que peu, si ce n’est aucun résultat expérimental de la réponse en cisaillement pur jusqu’à la rupture d’une éprouvette de matériau quasi-fragile.
Dilatance
La dilatance est observée principalement en compression, elle se manifeste par une augmentation du coefficient de Poisson apparent du matériau, lorsque la fissuration se développe (fig. 1.6). La déformation transversale est mesurée lors de l’essai de compression uni-axiale présenté en figure 1.3. Le rapport des déformations transversale et axiale de l’éprouvette est initialement constant. Ce rapport évolue peu jusqu’à l’instant auquel la Matériaux quasi-fragiles sous sollicitations cycliques Mécanique des matériaux quasi-fragiles 13 déformation axiale associée au pic de résistance est atteinte (fig. 1.3), soit −2.5×10−3 . Dès lors, le phénomène de dilatance se manifeste. La coalescence de fissures colinéairement à la direction de chargement facilite l’expansion latérale de l’éprouvette de matériau : des bandes de matériau se forment, menant à une diminution de la rigidité transverse de l’éprouvette, alors que la rigidité axiale reste peu affectée. −3 −2 −1 0 0 2 4 6 Déformation axiale (×10−3 ) Déformation transversale (×10 −3 ) (a) évolution de la déformation transversale −3 −2 −1 0 0 2 4 Déformation axiale (×10−3 ) Coefficient de Poisson effectif (b) évolution du coefficient de Poisson effectif Figure 1.6: Phénomène de dilatance observé en compression uni-axiale [Ramtani, 1990].
Anisotropie induite par le chargement
Une fissure est délimitée par deux surfaces libres de contraintes et de normales opposées, elle possède donc une orientation spécifique. Les propriétés du matériau ne sont ainsi pas affectées par le développement de la fissuration de manière isotrope. L’orientation est déterminée par plusieurs facteurs, et en particulier la direction du chargement. Bien que pour la plupart des matériaux quasi-fragiles, le comportement mécanique puisse ˆetre considéré initialement isotrope, la dégradation induite par chargement mécanique peut conduire à une certaine anisotropie.
Effets d’échelle
Selon les dimensions d’un volume de matériau, les propriétés mécaniques de ce dernier, mˆeme adimensionnelles, varient. La réalisation de deux essais de traction en tous points identiques, à l’exception des dimensions de l’éprouvette. Par exemple une éprouvette d’une taille donnée et une seconde dont toutes les dimensions sont doublées, l’élancement de l’éprouvette est donc préservé, ne conduira pas aux mˆemes valeurs de contraintes limites (élastique ou à la rupture). De plus grandes dimensions d’éprouvettes conduisent à une Matériaux quasi-fragiles sous sollicitations cycliques plus faible résistance (fig. 1.7). Selon la dimension de l’éprouvette, l’origine de l’effet d’échelle n’est pas identique [Baˇzant, 1999]
Table des figures |