Bref aperçu sur l’historique des superalliages
Le développement des superalliages a commencé dans les années 1930 en Europe (Angleterre, France, Allemagne) et aux États-Unis, mû par le besoin d’alliages pour les turbomachines plus résistants à haute température [Sims 1987]. Les superalliages sont présents dans les réacteurs nucléaires, sous-marins, usines à vapeur, usines chimiques, mais les turbines à gaz terrestres et aéronautiques en constituent l’utilisation la plus répandue. Le développement des superalliages a été particulièrement dominé par les besoins des turbines aéronautiques, dont les exigences en termes de propriétés mécaniques à chaud sont les plus sévères.
Le Nimonic 80 constitue l’un des premiers superalliages développés à partir des alliages Ni-20%Cr dans les années 1941-42. Le Nimonic 80 est à l’origine de la famille des superalliages durcis par précipitation de phase J’ à laquelle appartient l’Udimet 720. Il est renforcé par une solution solide de chrome dans le nickel et par du titane formant des carbures aux joints de grains et une faible proportion de précipités J’. Les développements ultérieurs des superalliages ont d’abord consisté à augmenter la proportion de précipités J’ en ajoutant du titane, de l’aluminium, du tantale, du niobium et du cobalt et en diminuant la teneur en chrome. Pour remplacer le chrome en solution solide, des éléments comme le cobalt, le molybdène, le tungstène, et le vanadium ont été ajoutés. Ensuite, les éléments bore et zirconium ont été ajoutés pour augmenter la formation de carbures aux joints de grains.
Principaux alliages pour disques de turbines
Pour les turbines terrestres de gros diamètre, l’alliage IN 706 a été développé au milieu des années 1980 pour remplacer les aciers faiblement alliés utilisés dans les pièces tournantes des turbomachines. L’alliage 706 est dérivé de l’alliage IN 718, par réduction de la teneur en niobium, pour diminuer la propension de l’alliage à former des ségrégations et permettre ainsi la production de disques de grands diamètres. Mais l’augmentation de la forgeabilité de l’alliage se fait au détriment de sa résistance au fluage et de sa stabilité microstructurale à plus haute température. Pour répondre à l’élévation continuelle des performances des turbines, l’utilisation de l’alliage IN 718 a été de nouveau envisagée et a nécessité d’importants développements technologiques. Les superalliages pour disques de turbines les plus utilisés aujourd’hui sont l’IN 718 et l’IN 706, durcis par précipitation de phases J’ et J’’. Il est possible de fabriquer par voie lingot-forgeage des disques de ces deux nuances pouvant atteindre 2 m de diamètre. Leur température d’utilisation maximale est de 600°C.
Le choix d’autres alliages pour disques dépend des conditions de fonctionnement : pour des fonctionnements à plus haute température, le Waspaloy, durci par précipitation de phases J’, est utilisé. Il est possible de réaliser des disques forgés de plus de 1 m de diamètre de cette nuance. Comme l’IN 718, le Waspaloy est utilisé pour réaliser à la fois des disques de turbines terrestres et aéronautiques.
pour des fonctionnements à de plus fortes contraintes et de plus hautes températures, sont utilisés: l’Udimet 720, sous forme de disques forgés de diamètres maximum de 0,85 m, et principalement pour des applications militaires, des superalliages élaborés par Métallurgie des Poudres : le N 18, le René 88, le Merl 76, le René 95, l’EP 741 et l’Astroloy. Le diamètre maximal de ces disques est compris entre 0,4 m et 1 m.
Procédés d’élaboration des disques de turbines
Il existe deux voies conventionnelles pour élaborer des superalliages : la voie lingot suivie d’un forgeage et la voie métallurgie des poudres éventuellement associée à des traitements thermomécaniques. Aujourd’hui, seule l’industrie aéronautique (majoritairement militaire) utilise des pièces issues de la métallurgie des poudres, les disques de turbines terrestres de diamètre supérieur à 1 m étant coulés et forgés.
Voie lingot-forgeage : Plus un superalliage est allié, plus il est résistant et plus il y a des risques de ségrégations pendant la solidification du lingot. L’essor des superalliages s’est donc produit concomitamment à la maîtrise des procédés d’élaboration sous vide et de refusion. Le four à induction sous vide (VIM pour « Vacuum Induction Melting ») a permis d’introduire dans les alliages des teneurs significatives en titane et aluminium, très réactifs à l’air. En revanche, les structures de solidification à l’issue du procédé VIM sont moins favorables qu’après une élaboration classique. Deux opérations ultérieures de refusion sont donc indispensables : sous laitier (ESR pour « Electroslag Remelting ») et/ou sous vide (VAR pour « Vacuum Arc Remelting ») .
La gamme complète de fabrication des superalliages pour disque nécessite donc la succession des étapes suivantes :
triple-fusion du lingot « VIM/ESR/VAR » : la première fusion sous vide permet une bonne maîtrise de la composition chimique de l’alliage, puis la refusion sous laitier et la refusion sous vide conduisent à un meilleur contrôle de la solidification et de la pureté. refoulement du demi-produit, contrôle par ultrason, matriçage du disque (pièce au plus près des cotes finales), contrôle par ultrason, usinage. Métallurgie des Poudres : La MdP permet d’élaborer des superalliages très fortement chargés et qui présentent un fort risque de ségrégation en cours de solidification. Les ségrégations dues à l’élaboration par MdP correspondent aux dendrites de solidification des particules de poudre. La taille des hétérogénéités n’excède donc pas le micron.
Le procédé de fabrication MdP comporte les étapes suivantes : la poudre est obtenue par atomisation sous gaz inerte, ou par pulvérisation centrifuge. L’atomisation consiste à désintégrer le métal liquide par un jet de gaz sous pression. Le liquide se désintègre en fines gouttelettes qui prennent une forme sphérique sous l’effet de la tension superficielle.
deux voies de densification et de mise en œuvre sont ensuite couramment employées : extrusion puis forgeage isotherme (la poudre peut également être pré-densifiée avant extrusion par une compaction uniaxiale). compression Isostatique à Chaud (CIC) puis forgeage (isotherme ou non). les étapes de la CIC : après atomisation, la poudre est mise en conteneur par l’intermédiaire d’un queusot de remplissage. Le dégazage permet ensuite de faire le vide entre les particules de poudre et d’éliminer une partie des espèces chimiques adsorbées en surface. Le conteneur est ensuite rendu étanche par soudage des queusots, puis transféré dans l’enceinte de CIC pour l’étape de consolidation de la pièce.
Faisabilité d’un disques de turbines de RHT en Udimet 720 par voie lingot-forgeage et par CIC
La taille maximale des disques de turbines d’Udimet 720 forgés s’élève aujourd’hui à environ 0,85 m. La gamme de forgeage d’un disques de turbines en Udimet 720 ayant une taille similaire à un disque de RHT pourrait être la suivante [A&D Alliages 2003] :
élaboration (triple fusion VIM/ESR/VAR) et refoulement d’un lingot de plus d’une tonne pour obtenir une billette de 0,351 m de diamètre. Ces étapes paraissent réalisables par rapport aux billettes élaborés couramment. L’homogénéité de la microstructure et la taille de grain finale dépendent fortement de ces étapes.
matriçage du disque, réalisable sur une presse conventionnelle de capacité 65 000 t (mais pas sur une presse isotherme), traitement thermique, critique par rapport à la taille de grain souhaitée. Une grande maîtrise de l’homogénéité de la température de traitement thermique est nécessaire sur toute la hauteur de la pièce.
Par rapport à la voie lingot-forgeage, la MdP permet de pallier les problèmes de ségrégations inhérents à la solidification du lingot. L’homogénéité de la microstructure après la densification permet de mieux contrôler la taille de grain. En outre, l’effet de taille de la pièce n’est pas critique pour réaliser un demi-produit.
Le procédé de densification par CIC est préféré à la voie extrusion et forgeage, car il semble mieux adapté pour réaliser des pièces de grandes dimensions. Le principal paramètre critique actuel est la taille de l’enceinte nécessaire pour introduire l’ébauche de diamètre supérieur à 1,5 m, en tenant compte de la réduction en volume d’environ 30% après densification et de l’épaisseur du conteneur. La plus grande enceinte aujourd’hui disponible se trouve aux États-Unis, elle possède un diamètre de 1,625 m. Cette dimension dépend cependant de la température à laquelle doit être réalisée la CIC, car les résistances de chauffe empiètent sur la zone utile de l’enceinte. Il faut donc vérifier si le cycle de CIC est compatible avec le diamètre de la pièce. Toutefois, si aucune enceinte de CIC ne semble aujourd’hui assez grande pour réaliser une ébauche de disque, un demi-produit cylindrique brut de CIC peut être réintroduit dans la gamme de procédé de forgeage au niveau du matriçage. La forgeabilité d’une telle ébauche d’Udimet 720 n’est cependant pas encore démontrée.
Adaptations possibles des traitements HS et CR
Dans son étude de l’Udimet 720 forgé, Jackson remet en cause l’intérêt des deux vieillissements du traitement thermique HS préconisés par Sczerzenie pour la nuance initiale d’Udimet 720, car les deux vieillissements survieilliraient la nuance LI et altèreraient ses propriétés en fluage. Il montre en effet qu’un unique vieillissement de 24 h à 700°C augmente les propriétés de fluage à 750°C de l’Udimet 720 LI.
Furrer confirme qu’un unique palier de vieillissement est suffisant et plus pertinent pour l’Udimet 720 LI forgé ou CIC [Furrer 2000]. Cependant, il propose un vieillissement à 760°C. De plus, pour obtenir des propriétés mécaniques optimales, Furrer recommande un traitement thermique supersolvus suivi d’une trempe avec palier isotherme à T< TJ’solvus pour favoriser la formation de joints de grains dentelés et de fins précipités J’. Koul rappelle également que les joints de grains dentelés possèdent un effet bénéfique sur le temps à rupture en fluage de l’IN 738 et sur la vitesse de propagation de fissure de l’Udimet 720 [Koul 1993]. Les dentelures aux joints de grains permettent de limiter le glissement intergranulaire et de mieux redistribuer les contraintes.
Table des matières
INTRODUCTION ET CONTEXTE DE L’ETUDE
1 Contexte de l’étude : les Réacteurs à Haute Température (RHT)
1.1 Caractéristiques du réacteur RHT
2 Cahier des charges de la turbine du RHT
2.1 Cahier des charges du matériau des aubes
2.2 Cahier des charges du matériau du disque
2.2.1 Dimensions et température
2.2.2 Chargement mécanique
2.2.3 Environnement sous hélium impur et aspect nucléaire
2.2.4 Retour d’expérience
3 Choix du matériau pour disque de turbine RHT
3.1 Objectifs de la thèse
CHAPITRE 1 : ÉTUDE BIBLIOGRAPHIQUE
1 Caractéristiques des superalliages pour disques de turbines
1.1 Bref aperçu sur l’historique des superalliages
1.2 Principaux alliages pour disques de turbines
1.3 Procédés d’élaboration des disques de turbines
1.3.1 Voie lingot-forgeage
1.3.2 Métallurgie des Poudres
1.3.3 Traitements thermiques et microstructure
1.4 Élaboration et microstructure de l’Udimet 720
1.4.1 Faisabilité d’un disque de turbine de RHT en Udimet 720
1.4.2 Traitements thermiques de l’Udimet 720
1.4.2.1 Traitement thermique HS
1.4.2.2 Traitement thermique CR
1.4.3 Adaptations possibles des traitements HS et CR
1.5 Contrôle de la taille de grain et de la précipitation γ’
1.5.1 Influence de la température de mise en solution sur les précipités γ’
1.5.2 Matériaux MdP et croissance de grain
2 Mécanismes de déformation de fluage des superalliages
2.1 Généralités sur le fluage
2.1.1 Définition
2.2 Approche macroscopique
2.2.1 Modèles de prédiction du temps à rupture ou de la déformation critique
2.2.1.1 Relation de Monkman-Grant
2.2.1.2 Modèles de type Larson-Miller
2.2.2 Modèles basés sur la vitesse de déformation stationnaire
2.3 Approche microscopique
2.3.1 Les différents mécanismes de fluage
2.3.1.1 Fluage-dislocations
2.3.1.2 Fluage-diffusion et glissement intergranulaire
2.3.1.3 Influence de la taille de grain
2.3.2 Carte d’Ashby
2.3.3 Modèles de comportement de fluage
2.3.3.1 Modèles de fluage basés sur mécanique d’endommagement continu (CDM)
2.3.3.2 Comparaison des lois CDM avec d’autres méthodes de prédiction
2.4 Description des modes de franchissement des précipités γ’
2.4.1 Les différents mécanismes
2.4.1.1 Contournement
2.4.1.2 Cisaillement
2.4.2 Transition entre les mécanismes
2.4.2.1 Approche de Bhowal, Wright et Raymond
2.4.2.2 Approche de Jackson et Reed
2.4.2.3 Approche de Locq, Marty et Caron
2.5 Récapitulatif
CHAPITRE 2 : MATERIAUX ET TECHNIQUES EXPERIMENTALES
1 Matériau de l’étude
1.1 Composition et mise en œuvre
1.2 Traitements thermiques
1.3 Les différentes microstructures obtenues
1.3.1 Comparaison de l’Udimet 720 HS et CR
1.3.2 Relation entre le traitement thermique et la croissance de la taille de grain
2 Mode opératoire des essais mécaniques
2.1 Essais sur éprouvettes lisses
2.1.1 Essais de traction
2.1.2 Essais de fluage
2.1.3 Essais de relaxation
2.2 Essais sur éprouvettes axisymétriques entaillées
3 Synthèse
CHAPITRE 3 : RESULTATS DES ESSAIS MECANIQUES
1 Essais de traction à 20°C, 650°C, 700°C et 750°C
2 Essais de fluage
2.1 Bilan des essais de fluage menés à rupture
2.2 Exploitation macroscopique des résultats
2.2.1 Évolution du temps à rupture en fonction de la contrainte : Représentation de Larson-Miller
2.2.2 Sensibilité de la vitesse à la contrainte : diagramme de Norton
3 Essais de relaxation à 650°C, 700°C et 750°C
4 Essais de fluage sur éprouvettes axisymétriques entaillées
4.1 Bilan des essais
4.2 Effet de l’entaille sur le temps à rupture
5 Synthèse
CHAPITRE 4 : OBSERVATION DES MECANISMES DE DEFORMATION ET
D’ENDOMMAGEMENT
1 Observations au MET des mécanismes de franchissement des dislocations aux
premiers stades de déformation en fluage
1.1 Bilan des essais de fluage interrompus à 650°C et 750°C
1.2 Observations au MET de la structure de dislocations après fluage à 650°C
1.2.1 Udimet 720 HS déformé de 1,3% et 3,5% (650°C, 750 MPa)
1.2.2 Udimet 720 CR déformé de 1,6% (650°C, 750 MPa)
1.3 Observations au MET de la structure de dislocations après fluage à 750°C
1.3.1 Udimet 720 HS déformé de 1% (750°C, 140 MPa) et de 3% (750°C, 280 MPa)
1.3.2 Udimet 720 CR déformé de 1% (750°C, 140 MPa)
2 Observation de l’endommagement
2.1 Observation de l’endommagement à 650°C
2.1.1 Faciès de rupture
2.1.2 Coupes longitudinales
2.2 Observation de l’endommagement à 750°C
2.2.1 Faciès de rupture
2.2.2 Coupes longitudinales
2.3 Observation des éprouvettes entaillées
3 Synthèse
CHAPITRE 5 : DISCUSSION
1 Aptitude de l’Udimet 720 à répondre au cahier des charges du disque RHT
1.1 Stabilité de la microstructure
1.1.1 Suivi de dureté
1.1.2 Observations au MET
1.1.3 Conséquences du vieillissement de l’Udimet 720 HS sur les propriétés mécaniques
1.1.3.1 Essais de traction sur l’Udimet 720 HS vieilli
1.1.3.2 Essais de fluage sur l’Udimet 720 HS vieilli
1.2 Ductilité
1.3 Critère de résistance au fluage pour atteindre 0,2 % et 1% de déformation en 60 000 h
2 Origines du stade tertiaire de fluage
2.1 Définitions
2.2 Cavitatio
2.3 Coalescence des précipités
2.4 Augmentation de la contrainte vraie au cours de l’essai
3 Modes de déformation et comportement
3.1 Mécanismes de déformation dans le domaine des contraintes intermédiaires et fortes
3.2 Mécanismes de déformation dans le domaine des contraintes faibles
3.3 Essais de relaxation à 650°C, 700°C, et 750°C
3.4 Écart au modèle classique de contournement des précipités
3.5 Origines possibles de l’adoucissement observé en fluage 650°C et 700°C pour des contraintes intermédiaires
3.5.1 Adoucissement par localisation de la déformation
3.5.2 Lien entre le cisaillement et l’adoucissement
3.5.2.1 Augmentation de la densité de dislocations mobiles
3.5.2.2 Effet d’une pré-déformation avant fluage
3.6 Conclusions sur les mécanismes de déformation de fluage
4 Modèle de comportement de type Dyson et McLean
4.1 Détermination des paramètres
4.1.1 Grandeurs mesurables
4.1.1.1 Le volume d’activation, V
4.1.1.2 L’énergie d’activation intrinsèque ∆G0=∆G +σV
4.1.2 Paramètres ajustables
4.1.2.1 ε0
4.1.2.2 H, variable d’écrouissage
4.1.2.3 Paramètres de dommage
4.1.3 Critère de rupture dans le domaine de fluage tertiaire de structure
4.2 Comparaison entre résultats expérimentaux et simulation
4.2.1 Fluage de type tertiaire de structure dans le domaine des contraintes fortes
4.2.1.1 Fluage à 650°C et à 700°C de l’Udimet 720 CR
4.2.1.2 Fluage à 650°C et à 700°C de l’Udimet 720 HS à forte contrainte
4.2.1.3 Essais de traction
4.2.2 Fluage de type tertiaire précoce dans le domaine des contraintes intermédiaires
4.2.3 Fluage de type tertiaire précoce dans le domaine des contraintes faibles
4.2.3.1 Fluage à 750°C de l’Udimet 720 CR
4.2.3.2 Fluage à 750°C sur l’Udimet 720 HS
5 Conclusions
CONCLUSION ET PERSPECTIVES
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES