Contribution à l’évolution du retour d’expérience en tunnel routier vers un outil de compréhension du comportement humain
La mémoire humaine
Le modèle d’Atkinston et Shiffrin (1968, 1972) Dans le modèle du traitement de l’information d’Atkinson et Shiffrin, l’architecture générale du système cognitif est composée de trois systèmes mnésiques principaux qui possèdent leurs propres capacités de traitement et de stockage de l’information : deux systèmes de stockage transitoire de l’information (la Mémoire Sensorielle et la Mémoire à Court Terme) et un système de stockage permanent (la Mémoire à Long Terme). Dans ce modèle, l’activité cognitive est décrite comme une séquence d’étapes du traitement de l’information. L’intérêt est porté sur la manière dont l’information est saisie, traitée, stockée et récupérée en mémoire pour élaborer une réponse (comportement) (Figure 1). STIMULUS Son, lumière… Figure 1 : Modèle « modal » d’Atkinson et Shiffrin (1968, 1972) Les organes des sens (œil, peau, etc.) reçoivent une multitude de stimulations provenant de l’environnement. Les informations sensorielles sont enregistrées pendant quelques fractions de secondes en mémoire sensorielle. Chaque modalité sensorielle (vue, olfaction, toucher, etc.) a son propre registre, le temps de conservation de l’information varie d’une modalité à une autre. La mémoire sensorielle dépend de la mémoire de travail, elle est très sensible aux interférences attentionnelles. Si l’information est l’objet d’une attention particulière, elle est identifiée et introduite en MCT. Sinon elle est désintégrée ou elle disparaît. La mémoire à court terme a des capacités de stockage limitées, l’empan mnésique est de 7 +/- 2 éléments. Un trop grand nombre d’informations devant être traité au même moment peut entraîner une saturation des capacités de stockage. Dans cette structure, l’information est l’objet de plusieurs processus de contrôle : • encodage : responsable du transfert en MLT ; • récupération : activation et transfert en MCT de l’information emmagasinée en MLT ; • autorépétition : « répétition mentale », permet le maintien de l’information en MCT ; • décision : mise en œuvre de la réponse (comportement) face au stimulus. Les informations peuvent disparaître sous l’influence de deux effets : la dégradation temporelle et l’interférence avec des informations récemment incorporées. La mémoire à long terme possède des capacités de stockage (durée et volume) potentiellement illimitées mais l’information peut être momentanément ou potentiellement inaccessible. Elle contient l’ensemble des connaissances acquises par le sujet tout au long de sa vie. Ce modèle est une base pour comprendre le fonctionnement de l’activité cognitive, via des structures mnésiques, ainsi que la construction de paradigmes et de modèles récents. A partir des limites qu’il présente (perspective bottum-up et séquentiel7 de l’information, non prise en compte de l’attention), de nouvelles conceptions sur le fonctionnement cognitif de l’homme apparaissent.
Evolution du modèle
Dans le modèle modal, la mémoire à court terme est avant tout une structure de stockage. Le modèle de mémoire de travail de Baddeley et Hitch (1974) insiste plus sur la notion de traitement, tout en conservant l’idée de stockage et en ajoutant celle de ressources attentionnelles. La mémoire de travail est un système hiérarchisé en plusieurs sous-systèmes articulés entre eux : Les traitements les plus bas doivent être achevés pour que les autres puissent avoir lieu.• l’administrateur central : sa tâche principale réside dans le contrôle de l’attention. Il sélectionne, coordonne et contrôle les opérations de traitement de deux autres soussystèmes ; • la boucle phonologique : stocke les informations verbales (auditives ou visuelles) ; • le calepin visuo-spatial : les représentations visuelles et/ou spatiales y sont construites, stockées et transformées. Dans le cadre de l’ergonomie, cette notion de mémoire de travail sera reprise sous le concept de mémoire opérationnelle. A travers l’évolution des recherches, la mémoire à long terme est l’objet de plusieurs distinctions sur la base de leur contenu (type de connaissances). Les informations y sont stockées sous la forme de représentations de notre environnement et de nous-mêmes. • mémoire épisodique : souvenirs et expériences personnels, opposée à la • mémoire sémantique : connaissances générales sur le monde ; • mémoire déclarative : connaissances verbalisables (faits), opposée à une • mémoire procédurale : « savoirs-faire » ou habilités sensori-motrices. Selon Jacques (2007), les comportements peuvent être appréhendés à partir du concept de « schémas ». Un schéma est une structure de connaissances élaborée par l’expérience et/ou par socialisation et stockée dans la mémoire. Un schéma est constitué de composantes et des relations entre ces composantes. Les processus de catégorisation divisent l’expérience en éléments et placent ces éléments dans des catégories. Ces processus sont fondamentaux pour la perception, la pensée, le langage et l’action car ils allègent la mémoire et la perception de détails. Les schémas contiennent deux types de connaissances : un savoir déclaratif et un savoir procédural. Les schémas comportent donc des souvenirs personnels (mémoire épisodique) ainsi que des concepts et des règles culturelles et sociales (mémoire sémantique). Ils guident, parfois inconsciemment, les attentes, les actions, ainsi que l’interprétation et le stockage des informations. Ils donnent des cadres de référence et contribuent à la simplification et à l’organisation des informations. Par ailleurs, les schémas procurent une capacité de prédiction et de contrôle du monde social. Ils peuvent aussi faciliter le rappel d’informations. Les différentes activités des usagers analysées ainsi que nos méthodes de recherche font appel aux mémoires énoncées.
Les représentations
Eléments de définition
La notion de représentation est polysémique. Elle est définie de manière différente selon l’objectif visé et l’approche théorique utilisée. Etymologiquement, le terme vient du Audrey Auboyer_Thèse 2009 Chapitre 1 18 latin « reprasentare » qui signifie rendre présent une chose absente de notre champ perceptif. La psychologie cognitive définit une représentation mentale comme la manière dont un individu perçoit et interprète le monde qui l’entoure. Le terme « re-présentation » sous tend une première présentation mentale. Elle est élaborée à partir de connaissances (sémantiques ou épisodiques) activées de façon plus ou moins implicite en mémoire à long terme. Une représentation est un modèle mental, reflet plus ou moins fidèle de la réalité, qui permet d’orienter le comportement, d’interpréter les événements, d’anticiper les évolutions de la situation, etc. (Bisseret, 1995 ; Gallina, 2006). « Les représentations mentales sont élaborées pour pouvoir être utilisées par le sujet dans certaines situations et avec une certaine finalité. […] Les représentations ont une fonction dans le système cognitif. » (Gallina, 2006, p. 23). Les représentations mentales ont un rôle important dans le comportement des personnes. Elles participent notamment au guidage, à l’orientation et à la régulation des conduites humaines ainsi qu’à la communication entre les individus. De plus, comme le souligne également Gallina (2006) en citant Le Ny (2005), deux représentations du même objet élaborées par deux individus différents ne sont pas nécessairement identiques. La représentation qu’a une personne d’une situation, à un moment donné, peut aussi être différente de la réalité de la situation et la conduire à faire des « erreurs ». Lorsque les représentations de deux personnes sont compatibles, il leur est plus facile de communiquer et se comprendre.
Principales distinctions
Au sein de ce concept, il existe certaines distinctions, nous énonçons celles qui sont en lien avec notre objet de recherche. Les représentations permanentes sont relativement stables et implantées en MLT, et les représentations transitoires correspondent à des « projections » ou « extraits » de représentations permanentes chargées en mémoire de travail. Lorsque nous considérons les niveaux sensoriel et perceptif du traitement de l’information, il est possible de distinguer les représentations sensorielles : traits encodés par une modalité sensorielle donnée et les représentations perceptives : résultat de l’intégration des traits encodés par une modalité à des instants différents. Par ailleurs, les représentations déclaratives sont des représentations propositionnelles, elles sont verbalisables. A contrario, les représentations procédurales font référence à des traces mnésiques activées pour la mise en œuvre des habilités. Ces représentations sont un moyen d’éviter par anticipation les risques auxquels nous sommes exposés. L’homme peut avoir des connaissances déclaratives sur la ou les procédure(s) mise(s) en œuvre pour exécuter l’action. Certains « savoir-faire » de la conduite d’un véhicule peuvent être énoncés verbalement par les chauffeurs. Compte tenu de ces différences, il existe différentes méthodes qui permettent d’accéder aux représentations mentales des individus selon les objectifs d’étude. Nous préciserons cet aspect dans le chapitre 4 lorsque nous traiterons les aspects méthodologiques de notre recherche.
La perception
La notion de perception a souvent été étudiée et a été l’objet de nombreuses définitions. Delorme (1994) présente les mécanismes généraux de la perception à partir des différentes définitions parfois « incompatibles », données par de nombreux auteurs. Au travers de cette diversité de points de vue, nous retiendrons le travail de Sperandio (1984) qui aborde ce thème dans le cadre d’une présentation des principaux concepts de la psychologie cognitive en lien avec des études à caractère ergonomique. D’après cet auteur, il existe de nombreux liens d’interdépendance entre les processus de prise d’information et de traitement de l’information, cependant ils ne sont pas clairement distingués. La prise d’information viendrait en premier, elle est étudiée à travers les notions de sensation, de perception, d’attention et de vigilance. Puis l’information serait traitée, c’est à dire transformée pour qu’elle ait du sens. Sperandio évoque les facteurs intervenant dans le processus de prise d’information : « distinction du signal, discrimination (identification d’un signal parmi d’autres) et interprétation. » (1984, p. 27). Autrefois, la perception et la sensation étaient étudiées distinctement. Aujourd’hui elles sont traitées comme deux niveaux d’analyse d’un même processus. La sensation fait référence à une réponse spécifique faite à une stimulation sensorielle particulière. La perception est l’ensemble des mécanismes de codage et de coordination des différentes sensations élémentaires visant à leur donner une signification. La perception peut être définie comme un ensemble d’activités complexes de réception et d’analyse de l’information. La perception est le produit d’une intégration de messages provenant de sens différents (la gustation, l’olfaction, l’audition, la vision, le toucher, la proprioception8 ), elle est polysensorielle. D’après Dumas (2001), l’activité perceptive permet l’interprétation des messages sensoriels, l’acquisition de connaissance du milieu, de ses actions et l’organisation de l’ensemble des informations en un tout cohérent et significatif. La perception est un phénomène dynamique. Chez l’homme, il existe : la gustation, l’olfaction, l’audition, la vision, le toucher, la proprioception. Les signaux peuvent provenir de l’extérieur ou du corps propre. La conception actuelle en est : la perception est une activité adaptative. D’après Delorme (1994), la perception visuelle est le domaine le plus étudié et ses mécanismes peuvent être appliqués à d’autres modalités sensorielles.
Introduction |