Comportement à long terme d’un ouvrage hydraulique atteint de Réaction Alcali Granulats
Conditions nécessaires
Malgré la diversité des hypothèses concernant l’origine de la propagation du gel, les auteurs sont unanimes vis-à-vis des conditions nécessaires à son apparition. Elles sont notamment énoncées par Diamond (1975) : – présence de silice réactive dans les granulats, – quantité susante d’alcalins dans la totalité du béton, – humidité relative interne du béton susamment élevée.
La silice réactive
Il s’agit de la silice des granulats présente dans le mécanisme réactionnel. Elle est présente en plus ou moins grande quantité dans les granulats en fonction de leur roche d’origine. Les recommandations du Laboratoire Central des Ponts et Chaussées (L.C.P.C.) (1994), remplacées depuis par le fascicule de documentation FD P18-464, établissent un classement des granulats selon leurs roches d’origine et leurs potentiels de gonement. Ils sont ainsi classés selon une des trois catégories suivantes, en fonction de leur réactivité aux alcalins (NF P18-594) : – granulats non-réactifs (NR), – granulats réactifss (Rs), – granulats potentiellement réactifs à eet de pessimum (PRP). Selon Poyet et al. (2004) qui complètent une étude antérieure (Sellier et al. 1999), outre la nature minéralogique des granulats, leur taille ont également une inuence sur la RAG. En eet, la distribution granulaire du béton modie la cinétique de la réaction. Les granulats de petites dimensions étant distribués de manière plus homogène, le temps nécessaire à la diusion des alcalins de la porosité vers les sites de silice réactive est considérablement réduit, ce qui a pour conséquence d’accélérer la réaction. Toujours selon Poyet et al. (2004), la taille intervient non seulement sur la cinétique mais aussi sur le potentiel de gonement du béton. En considérant une porosité connectée indépendante de la taille des granulats, les plus volumineux d’entre eux provoquent un gonement plus lent, mais plus important. En eet, leur potentiel de gonement est supérieur à ceux de dimensions plus réduites. Le volume de gel produit est plus important et comble la porosité connectée au voisinage de ces granulats, qui dans le cas des granulats de taille plus modeste sut à absorber la totalité du gel produit.
Les alcalins
Autres réactifs de la RAG, les alcalins sont majoritairement apportés par le ciment sous forme de sulfates. Pour Dron et Brivot (1992, 1993) leur concentration au sein du béton conditionne l’initiation de la RAG. Pour ces chercheurs, l’attaque de la silice réactive par les ions hydroxyles n’est possible que dans le cas d’un pH élevé du béton, qui est la conséquence d’une forte concentration en alcalins au sein de la solution interstitielle du béton. Une fois diusés dans la solution interstitielle du béton, les alcalins se transforment en oxydes de sodium et de potassium, respectivement Na2O et K2O. La concentration de ces oxydes dans la solution interstitielle peut être estimée grâce à des formules empiriques (Brouwers & Van Eijk 2003). Cependant, ces formules ne sont capables de prédire ces concentrations et ne sont vériées expérimentalement que dans le cas d’un état stable du béton. En eet, elles ne prennent pas en compte le lessivage possible des alcalins, qui se traduit par la migration des ions alcalins de la porosité vers le milieu extérieur (Bérubé et al. 2007). La notion « d’équivalent Na2O » est conventionnellement utilisée (équation 1.3) pour établir un seuil limite d’oxyde de sodium à ne pas dépasser an de limiter les risques d’apparition de la pathologie. Na2Oeq = Na2O + 0, 658K2O (1.3) D’abord établi à 0.6% de la masse de ciment selon les recommandations du L.C.P.C. (1994), ce seuil est depuis remis en question. En eet, d’autres sources d’alcalins peuvent exister, à savoir un apport externe, mais également des apports internes par des constituants du béton autre que le ciment : Certains granulats, de par leur nature minéralogique (micas ou feldspaths), et certains adjuvants peuvent eux aussi fournir une quantité supplémentaire d’alcalins (Berube et al. 2002). Il est donc préférable de calculer une teneur totale en alcalins de la formulation de béton et xer une valeur de seuil limite, souvent prise inférieure à 3,5 kg/m3 de béton. Dans le cas où ce seuil ne peut pas être respecté, par exemple avec des ciments avec une forte teneur en alcalins, la réactivité de la formulation à la réaction peut être testée par essais accélérés (NF P18-454).
L’humidité relative
L’eau via l’humidité relative du béton est indispensable au développement de la RAG. L’humidité relative est conditionnée par la formulation du béton par le biais du rapport Eef f /C (eau ecace sur ciment) et par l’hygrométrie ambiante du béton. Dans le cas des bétons à faible rapport Eef f /C, l’humidité relative au sein de leur porosité sera initialement faible. L’eau étant le milieu réactionnel de la RAG, celleci ne pourra s’amorcer. Cependant, d’après certains chercheurs (Baron et al. 1992), cette faible humidité va de pair avec une augmentation de la concentration en alcalins dans la solution interstitielle, qui amplie le risque de développement de la pathologie. L’eau intervenant aussi en tant que réactif, les chercheurs ne s’accordent pas sur un seuil limite en dessous duquel la réaction est impossible. Poole (1992) considère que la RAG ne peut avoir lieu en dessous de 70% d’humidité relative et que les conditions semblent optimales au-dessus de 80%. Selon Multon (2003), ce seuil n’existe pas et la réaction se produit quelle que soit l’humidité relative. L’amplitude des gonements est directement reliée à l’humidité. Ainsi, des bétons réactifs avec une faible humidité goneront, mais dans des proportions minimes. En se basant sur cette hypothèse et en reliant l’humidité relative au degré de saturation, il est possible d’établir pour un degré de saturation supérieur à 30% une relation linéaire (Poyet 2003) ou polynomiale (Morenon et al. 2017) entre celui-ci et les expansions nales.
Facteurs inuents
De nombreux facteurs peuvent inuencer la cinétique et l’amplitude de la RAG, soit en modiant les propriétés physiques du béton, soit en agissant directement sur le processus de la réaction chimique.
Les adjuvants et les additions minérales
Forster et al. (1998) ont synthétisé les diérentes actions des adjuvants et des additions minérales sur la réaction. En modiant les propriétés intrinsèques du béton telles que la porosité ou la teneur en eau initiale, les adjuvants et les additions minérales peuvent limiter les gonements, voire empêcher la réaction. De par leur nature minéralogique, les additions pouzzolaniques limitent les risques de réaction en diminuant le pH et la consommation de calcium par la réaction. Parmi les additions pouzzolaniques, la fumée de silice atténue le développement de la RAG en consommant les alcalins présents qui, de fait, seront en moindre quantité pour réagir avec la silice des granulats.
La température
Les premières études menées sur la RAG en laboratoire ont mis en évidence que la cinétique de gonement augmente avec la température. Cette inuence est nettement visible sur la gure 1.3 issue des travaux de Larive (1998), qui montre seulement une accélération de la réaction à 38◦C sans impact sur son potentiel de gonement nal. Temps( jours) Gonflement longitudinal (jours) 0.25 0.20 0.15 0.10 0.05 0.00 0 100 200 300 400 500 600 Conservation à 38°C Conservation à 23°C Bétons réactifs, cylindres φ13Η24 , en enceinte humide Incertitude élargie sur la mesure Figure 1.3 Déformations longitudinales d’éprouvettes cylindriques à 23◦C et 38◦C (Larive 1998) 29 Selon Diamond et al. (1981), cet accroissement de la cinétique est aussi observée à 40◦C, mais avec une diminution de 20% des gonements naux. Larive (1998) et Gravel (2001) modélisent l’eet de la température sur la cinétique de réaction par une loi d’Arrhenius : ε˙ RAG T = ˙ε RAG Tref exp (Ea R ( 1 Tref − 1 T )) (1.4) avec : – ε˙ RAG T et ε˙ RAG Trefl les vitesses de gonement à la température ambiante (T) et de référence (Tref ) en Kelvin (K), – Ea l’énergie d’activation nécessaire à la réaction à l’échelle du matériau béton qui peut varier de 48000 J.mol−1 (Lombardi et al. 1997) à 53000 J.mol−1 (Renders et al. 1995), – R constante des gaz parfaits (8,314 J.mol−1 .K−1 ). 7 Les conditions hydriques extérieures L’eau étant indispensable au développement de la RAG, cette dernière est par conséquent inuencée par l’environnement hydrique du béton. Lorsque le béton est saturé après avoir été préalablement séché, Rivard et al. (2003) observent une diminution de la concentration en alcalins. Ils expliquent ce phénomène par un piégeage des alcalins à la surface des pores lors de la désaturation précédente. Dans le cas d’un apport d’eau tardif, une reprise brutale des gonements est observée (Larive 1998, Multon 2003). Ils expliquent une variation de masse diérente entre les bétons réactifs et des bétons sains par une porosité plus importante due à la ssuration induite par la RAG.
Manifestations mésoscopiques
Bien que les chercheurs proposent des hypothèses diérentes pour expliquer le développement de la RAG (partie 1.2.1.2), ils s’accordent néanmoins sur la manifestation mésoscopique de la pathologie. Quand ils sont libres de se déformer, les bétons atteints de RAG présentent tous un gonement typique dont l’évolution est facilement descriptible. Selon l’hypothèse du gonement des corps poreux de Couty (1999), ces gonements résultent de la microssuration de la matrice autour des granulats réactifs. Le gonement des granulats et le développement du gel à l’interface des granulats et de la matrice cimentaire engendrent une contrainte de traction aux abords des granulats réactifs. Lorsque la contrainte de traction devient supérieure à la résistance à la traction de la matrice, des microssures apparaissent. Ces microssures sont progressivement remplies par le gel qui se forme à son voisinage, ce qui permet leur propagation jusqu’à un autre granulat. Cette hypothèse est conrmée par (Shakoorioskooie et al. 2021) grâce à des analyses par micro-tomographie par rayons X d’un béton réactif à plusieurs taux de gonement, présentées dans la gure 1.4. Figure 1.4 Observation par micro-tomographie de l’évolution de la microssuration engendrée par la RAG (Shakoorioskooie et al. 2021)
Évolutions dans le temps des déformations d’expansion du béton
Larive (1998) a établi que les déformations de RAG d’un béton, dont le gonement n’est pas gêné, évoluent suivant une sigmoïde, comme représentée en gure 1.5. Cette forme de courbe en « S » et d’équation 1.5 peut être divisée en deux phases séparées par un temps dit de latence : 1. une première phase de croissance exponentielle où les gonements apparaissent progressivement et accélèrent une fois que la matrice du béton est ssurée ; 2. une deuxième phase caractérisée par une cinétique qui diminue pour tendre vers 0 à un temps inni, et qui est la conséquence d’un fort endommagement du béton. La porosité de ce dernier ayant fortement augmenté avec la propagation de la ssuration, le développement du gel n’est plus contraint et devient donc sans conséquence pour le béton. Cependant, cela ne signie pas un arrêt total de la réaction, d’autant que certains chercheurs n’observent pas de palier asymptotique (Carles-Gibergues & Cyr 2002, Duchesne & Bérubé 2003). εch(t) = ε∞ 1 − e −t τcarac 1 + e −(t−τlatence) τcarac (1.5) avec : – εch le gonement du béton, – ε∞ la déformation asymptotique du béton non chargé, – τcarac le temps caractéristique, – τlatence le temps de latence. Figure 1.5 Courbes caractéristiques de gonement libre de RAG du béton (Sigmoïde d’équation 1.5 d’après Larive (1998))
Anisotropie des gonements
L’anisotropie des déformations dues à la réaction est observée par plusieurs auteurs (Larive 1998, Multon 2003, Smaoui 2003, Pichelin 2020). Cette anisotropie est diérente selon les études, mais pour Larive (1998), les gonements observés dans le sens de coulage du béton sont deux fois plus importants que ceux observés perpendiculairement. Selon Clark (1991), l’anisotropie peut être expliquée par une ssuration plus importante dans le sens perpendiculaire au sens de mise en oeuvre du béton. Larive et al. (2000) complètent cette hypothèse en considérant que ce plan d’endommagement préférentiel pourrait s’expliquer par la forme des granulats. Smaoui (2003) observe que cette anisotropie peut aussi être in- uencée par d’autres facteurs tels que la forme des éprouvettes, leurs dimensions, ainsi que la vibration du béton lors de sa mise en place.
Faïençage du béton
Certains cas avancés de RAG peuvent se traduire par un faïençage en peau du béton (2 dans gure 1.6). Ce mode de ssuration s’explique par un diérentiel de gonement entre deux zones. Une zone plus humide (1 dans la gure 1.6), souvent à coeur, gone plus intensément que la surface, ce qui entraîne des contraintes de traction en surface (Forster et al. 1998). Ce mécanisme peut être accentué par la contraction supplémentaire de retrait de dessiccation du béton de surface. Dans le cas du béton armé, les armatures, en reprenant ces eorts de gonement, peuvent venir réorienter, voire diminuer l’apparition des ssures dans certaines directions. Figure 1.6 Schéma explicatif des gonements diérentiels amenant à un faïençage de la surface d’après Forster et al. (1998)
Conséquences sur le comportement mécanique du béton
L’endommagement de la matrice et des granulats induit par le développement de la RAG a des conséquences sur le comportement mécanique du béton. La pathologie aecte les propriétés mécaniques du béton, et son impact sur le uage en compression est variable selon l’état d’avancement de la réaction au moment de l’application du chargement.
Inuence de la RAG sur les propriétés mécaniques
Module d’élasticité Dans leur synthèse de travaux de recherche, Mohammadi et al. (2020) constatent que la diminution du module d’élasticité d’un béton atteint de RAG est observée dans toutes les études. Cette réduction varie entre 25% pour Larive (1998) et 48% pour Inoue et al. (1989). L’étude de Multon (2003) montre que la baisse du module d’élasticité s’opère pendant la première moitié des gonements. Selon (Godart & Le Roux 2008), la dégradation des caractéristiques mécaniques est une conséquence des désordres à l’échelle microscopique. Le décollement à l’interface des granulats et les ssures transgranulaires et intergranulaires en seraient la cause. Pichelin (2020) considère que la diminution du module d’élasticité des bétons atteints de RAG permet de détecter la pathologie avant la ssuration mésoscopique du béton. Capra & Sellier (2003) proposent une loi qui estime l’eet de la réaction sur le module d’élasticité. Cette loi d’équation 1.6 relie le gonement à l’endommagement par direction (i). Son évolution théorique est comparée à des évolutions expérimentales sur la gure 1.7. ε RAG i = ε RAG 0 d + i 1 − d + i (1.6) avec : – ε RAG i la déformation de gonement macroscopique du béton, – d + i l’endommagement du béton correspondant au gonement observé, – ε RAG 0 un paramètre de calage xé à 0,3% en se basant sur les études de Larive (1998) et de l’Institution of Structural Engineers (1992).
1 ETAT DE L’ART |